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Enquête

L’offshore gagne du terrain

Enquête | publié le : 01.10.2007 | Valérie Devillechabrolle

Entre l’externalisation des tâches administratives et leur délocalisation aux quatre coins du monde, il n’y a qu’un pas… que les sociétés françaises franchissent encore timidement. Car les écueils restent nombreux.

Les prestataires se frottent les mains. Les entreprises françaises sont désormais mûres pour délocaliser certaines tâches administratives classées sans valeur ajoutée, de préférence dans un pays à bas coût. Les IBM Global Services et autres Genpact se pressent au portillon pour vanter les mérites du nearshore (pays de l’Est et méditerranéens) et de l’offshore (pays asiatiques). Ainsi, cédant aux sirènes des coupeurs de coûts, Thomson Multimédia, qui avait déjà confié en 2001 sa comptabilité fournisseurs à un centre de services partagés d’Accenture en Pologne, s’apprête à récidiver cette année en externalisant la gestion de la formation auprès d’une SSII. Lequel Accenture n’hésite pas à s’appliquer à lui-même les recettes qu’il préconise : il vient de centraliser la gestion de ses CV à Buenos Aires et sa « comptabilité projet » à Prague. Principal intérêt de la manœuvre, dénommée business process outsourcing (BPO) en anglais ? « Cela améliore la qualité de service des fonctions support en permettant aux clients de se recentrer sur les tâches à forte valeur ajoutée », assure Fabrice Dersy, directeur général de l’activité externalisation d’Accenture France, l’un des leaders du marché avec ADP et Capgemini.

Pas d’externalisation des RH à 100 %. L’argumentaire semble avoir convaincu les banques et les assurances : certaines de leurs opérations administratives (comme la gestion des chèques ou des contrats) représentent la moitié du marché mondial du BPO. Quant à l’autre moitié, elle est constituée de fonctions comme la finance, les achats, la gestion des relations avec la clientèle et les ressources humaines. Selon l’enquête réalisée en juin par le cabinet américain Markess International auprès de 220 entreprises, plus d’un tiers d’entre elles seraient engagées dans l’externalisation de tout ou partie de leurs activités RH d’ici à 2009, pour un chiffre d’affaires estimé à 1 milliard d’euros. Principales activités « externalisables », selon Fabrice Buhler, directeur du marketing et du développement d’Arinso, l’un des prestataires interrogés à cette occasion : « la paie, l’administration du personnel ainsi que les traitements de masse liés au recrutement et à l’administration de la formation ». S’il paraît impossible d’externaliser la fonction RH à 100 %, la ligne de démarcation entre ce qui doit être conservé et ce qu’il est possible de faire exécuter par un tiers, voire dans un pays à bas coût, est variable selon les processus. Exemple dans le recrutement : « Nous nous concentrons sur la partie administrative du processus (première évaluation des CV en fonction des diplômes ou de l’expérience) et sur la logistique des entretiens (réservation des salles et gestion des convocations). À charge pour le client de sélectionner ses candidats », explique Éric Rigal, responsable de l’externalisation RH d’Accenture France.

Si le marché mondial du BPO progresse de 10 % par an, il reste toutefois embryonnaire en France, comparé à d’autres pays comme les États-Unis ou le Royaume-Uni. « Les règles sociales en vigueur dans ces pays permettent d’externaliser plus facilement qu’en France », concède Fabrice Dersy, d’Accenture. « Et quand les entreprises françaises s’y intéressent, elles sont davantage motivées par l’obsolescence de leur système d’information que par la modernisation de leurs processus RH, dont elles méconnaissent l’effet de levier », regrette Najah Naffah, vice-président chargé du BPO au sein d’EDS. Une SSII qui se targue pourtant de faire économiser près de 150 millions d’euros par an au ministre britannique de la Défense grâce à l’externalisation de la paie de quelque 300 000 soldats et 800 000 retraités de l’armée de Sa Gracieuse Majesté. « Penser qu’il suffit de demander aux salariés délocalisés du prestataire de travailler exactement de la même façon que les anciens salariés de l’entreprise externalisatrice constitue une source d’échec assuré », reprend Fabrice Dersy.

De fait, l’externalisation entraîne de profonds changements dans la manière d’exécuter des tâches. Comme le souligne Najah Naffah, d’EDS : « Pour profiter des évolutions techniques et moderniser la fonction, il est nécessaire d’introduire les meilleures pratiques de la profession, fondées sur une analyse extrêmement fine. » Rien que pour les RH, EDS a identifié 70 fonctions, recouvrant 285 tâches, traduites en processus informatiques reliés à un système d’information unique. L’art du BPO repose sur une rationalisation très poussée d’une activité, fondée d’abord sur l’introduction d’un « self-service » chez le donneur d’ordres de façon que les salariés aient accès aux informations qui les concernent. « Cette saisie directe d’informations par les salariés permet déjà de faire économiser environ 30 % de coûts de personnel », a calculé Najah Naffah.

Autre grande source d’optimisation des coûts, le transfert de tâches à un centre de services partagés externalisé. Une opération qui dégagerait de substantielles économies de personnel, avec un ratio de l’ordre « de 1 salarié de plate-forme pour 300 salariés à gérer en moyenne, voire 1 pour 500 quand la tâche ne recouvre que des calculs », assure le responsable d’EDS. Le gain est d’autant plus important quand le transfert à un centre de services partagés se combine à une délocalisation dans un pays à bas coût. « S’agissant de processus très formalisés et donc facilement industrialisables, le BPO est souvent délocalisé dans des centres offshore », confirme Cyril Meunier, délégué aux affaires économiques et européennes du Syntec Informatique.

Dans un centre de services partagés externalisé, le ratio est de 1 salarié pour 300 salariés à gérer en moyenne

Organisées autour d’un système d’information unique, d’un centre d’appels et du regroupement d’experts du métier, ces plates-formes ont poussé comme des champignons, au cours des dernières années, dans les pays à main-d’œuvre bon marché. Les grands cabinets disposent ainsi de centres de services partagés dispersés dans le monde entier, à l’instar d’Accenture, qui en a ouvert une douzaine, du Mexique à l’île Maurice en passant par la Slovaquie, l’Inde et les Philippines.

Sans aller aussi loin, les SSII ont également mis en place de nombreux CSP en province, spécialisés notamment en infogérance. « Il existe enfin une jungle de prestataires originaires de pays à bas coût qui cherchent à se faire référencer coûte que coûte sur les moteurs de recherche Internet en adoptant des noms commençant par AAA et dont le principal atout réside dans leur habilitation CMMI 5 (Capability Maturity Model Integration 5), une norme de productivité internationale », observe Jean-Christophe Berthod, du cabinet Secafi Alpha, coauteur en 2005 d’une étude sur le phénomène offshore dans le secteur informatique. Selon lui, une spécialisation par pays semble se dessiner. Tandis que la Roumanie se concentre sur la finance et l’informatique, la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie et les pays Baltes (Estonie en tête) seraient plutôt dédiés à l’administration de la paie.

« En matière d’offshore, le curseur varie de 0 à 100 % selon les clients et les pays, nuance Éric Rigal, d’Accenture. Si la formation à l’anglais peut être délocalisée à 100 % à Bangalore, la paie d’un site espagnol d’une multinationale doit rester à Madrid car certaines déclarations ne peuvent se faire qu’à partir du pays d’origine. Tout dépend ensuite des processus externalisés et du niveau de qualité de service qui aura été négocié avec le client. »

L’obstacle des langues. La gestion d’une plate-forme de services délocalisée est toutefois loin de ressembler au long fleuve tranquille décrit par les plaquettes des consultants. Premier obstacle à franchir : le nombre de langues maîtrisées par les salariés du donneur d’ordres, particulièrement en Europe. C’est, de loin, le principal casse-tête à résoudre pour les prestataires de BPO qui se sont rués vers les pays d’Europe de l’Est. À l’instar d’Accenture. Alors que toute la comptabilité des projets s’effectue dans la langue de Molière, « seule une personne sur les six recrutés à Prague pour s’occuper de cette tâche parle français », déplore un délégué syndical CFDT. « S’il est possible de recruter 5 à 10 personnes capables de parler français dans un pays de l’Est, cela devient très difficile quand il s’agit d’en recruter 1 000 pour satisfaire aux besoins d’un client, reconnaît Najah Naffah, d’EDS. C’est la raison pour laquelle nous venons de créer un joint-venture avec la Caisse des dépôts marocaine afin d’y démarrer une activité d’outsourcing tournée vers les entreprises de langue française. »

Les centres de services partagés exotiques recrutent des green : des jeunes diplômés très malléables et sans expérience

Autre casse-tête à résoudre par les prestataires de centres de services partagés exotiques, le turnover. Alors que ces plates-formes ne recrutent que des green, c’est-à-dire des jeunes diplômés, très malléables et sans expérience, ces derniers se révèlent, en contrepartie, très volatils en raison, notamment, de la multiplication du nombre de ces plates-formes. Si bien que « le turnover sur les plates-formes offshore atteint souvent 30 à 40 % par an en moyenne », reconnaît Fabrice Buhler, d’Arinso. Du coup, les prestataires sont contraints de déployer des trésors d’imagination pour retenir leurs poulains. Confronté à une menace de démission collective de ses salariés si la formation prévue était dispensée non plus à Paris, comme annoncé, mais sur place, l’un d’entre eux a été contraint de céder. Quitte à exiger une clause de dédit formation en cas de démission anticipée.

Pour toutes ces raisons, la qualité de service n’est pas toujours au rendez-vous. Même si les demandes nécessitant un certain niveau d’expertise ne représentent qu’environ 20 % des appels et si moins de 5 % des appels doivent être répercutés vers le pays d’origine du client, ces plates-formes semblent avoir bien du mal à gérer les spécificités locales. « Lorsque les rudiments du droit du travail français sont dispensés en l’espace d’une semaine, de surcroît dans une langue qui n’est pas celle des salariés de la plate-forme, il ne faut pas s’étonner de l’incohérence des réponses données par la suite aux salariés du client », note une juriste qui vient de dispenser ladite formation dans un centre de services partagés de Budapest.

Lointain retour sur investissement. « Lorsqu’un contrôleur de gestion pragois gère 60 à 100 contrats, contre 40 à 50 en France, le tchèque est obligé de rester dans le spectre des tâches qui lui est assigné et n’a pas les moyens de faire du zèle », se désole le délégué syndical CFDT d’un spécialiste du BPO. Côté prestataires, on se défend en mettant en avant, à l’instar de Fabrice Dersy, d’Accenture, « l’organisation locale par métiers de la plate-forme qui permet aux salariés d’acquérir une technicité importante ». D’autres prestataires, comme Arinso, misent sur « le maintien au pays d’origine des experts afin d’assurer la maintenance légale et réglementaire du système d’information ».

Quant aux économies d’échelle réalisées par le donneur d’ordres, le moins que l’on puisse dire est qu’elles ne sont pas immédiates. « Le bilan d’un BPO doit être mesuré à l’horizon de cinq, sept, voire dix ans. C’est un partenariat de très long terme », reconnaît Fabrice Dersy. « Le retour sur investissement doit aussi tenir compte des coûts de transformation de la fonction RH », renchérit Fabrice Buhler, d’Arinso. D’autant que, en réalité, « le modèle économique du vendeur de BPO repose sur la rédaction d’avenants au contrat de départ pour optimiser l’existant, note Jean-Christophe Berthod, de Secafi Alpha. Si bien que ce type d’externalisation coûte souvent plus cher que ce qui était envisagé ». Mais il est difficile de faire machine arrière lorsque le mouvement d’externalisation est lancé. Cela s’apparenterait à un constat d’échec pour le donneur d’ordres.

À Budapest, la tour de Babel de la plate-forme EDS

Les 10 000 salariés européens de ce fabricant allemand de pneumatiques ne s’en doutent pas. Et pourtant, quand ils contactent leur service d’assistance informatique, pour un mot de passe oublié ou un écran d’ordinateur à changer, c’est en réalité sur l’un des coteaux du mont Gellert, à Budapest, que leur communication atterrit. C’est là, dans un immeuble flambant neuf de la commerçante avenue Béla-Bartók, que Richard et ses quelque 80 collègues de la plate-forme d’EDS dédiés à ce client se chargent de résoudre leurs problèmes. Que cela se solde par l’envoi d’un simple e-mail, le transfert de la demande à un expert ou par l’intervention d’un technicien, « l’essentiel du travail repose moins sur la proximité géographique que sur la coordination de solutions qui peuvent être localisées très loin les unes des autres », explique cet ancien chargé de marketing recruté par EDS en novembre 2006.

La plate-forme informatique n’est que l’un des rouages du centre de services partagés de cette SSII américaine qui s’est implantée dès 1991 en Hongrie pour s’occuper de l’infogérance d’un constructeur automobile mondial. Une activité qui a souvent permis d’« ouvrir la voie à l’externalisation d’autres processus à plus haute valeur ajoutée, tels que la finance ou la paie », relève Zoltan Baliko, le directeur du centre de Budapest.

Seize ans plus tard, les quelque 1 600 salariés du centre sont de fait, s’enorgueillit-il, « capables d’offrir, en 17 langues, toute une gamme de services aux entreprises : applications informatiques, relation client, gestion des processus externalisés, de documents et de données ». Parmi eux, 320 personnes sont plus particulièrement affectées à la gestion des services financiers ou de la paie de gros donneurs d’ordres. Organisés à 70 % par métiers, ces salariés travaillent en réseau avec les 220 employés, majoritairement féminins, du centre de gestion des documents, installé à Vasvar, à proximité de la frontière autrichienne.

Transportés par camion en provenance de toute l’Europe, factures et autres documents comptables sont scannés là en vingt-quatre heures avant d’être basculés dans le système d’information en vue de leur exploitation. Mais les équipes de la plate-forme de BPO travaillent aussi avec celles demeurées dans le pays d’origine des différentes filiales du donneur d’ordres. « Nous estimons que seule la moitié de la paie d’un client peut être réalisée en Hongrie, car nous avons en réalité toujours besoin de compétences sur place pour les mises à jour et les réglementations locales », explique Zoltan Baliko.

Afin de faire tourner cette plate-forme, suivre le rythme effréné de développement (20 % par an en moyenne), le recrutement est le nerf de la guerre. Rien que pour le centre d’assistance informatique, « nous recrutons 200 personnes par an », explique Norbert Makk, responsable de cette activité. Avec, à chaque fois, une attention particulière accordée aux langues pratiquées par le candidat. Car, si 51 % des étudiants hongrois parlent volontiers anglais et 26 % allemand, la maîtrise d’autres langues est beaucoup plus restreinte : notamment en français (moins de 5 % de pratiquants), en espagnol et en italien (entre 3 et 4 %).

Dans ce contexte, les recrutements sont anticipés, en amont de la signature des contrats, en lien avec les universités locales. « Pour la création du centre de services financiers, la décision avait été prise en décembre, le centre était prêt en avril. Si bien qu’en juillet 140 personnes (dont 20 % expérimentées) étaient à pied d’œuvre », se félicite Zoltan Baliko.

Dans un contexte de concurrence exacerbée par la présence d’au moins 16 centres de services partagés rien qu’à Budapest, le niveau des salaires d’embauche est également stratégique. « C’est une information confidentielle, lâche Zoltan Baliko. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que nos salariés sont mieux rémunérés que les professeurs de langue de l’enseignement public. » Ce qui n’empêche pas le turnover d’atteindre 20 % par an, « un très bon niveau, comparé à la moyenne des autres centres », fait remarquer Kinga Kalocsai, la directrice de communication d’EDS Hongrie. En bonne entreprise américaine, pour lutter contre cette hémorragie, EDS a bien sûr mis en place un plan de « rétention des talents », fondé sur la promotion interne : 90 % des superviseurs et des chefs d’équipe sont ainsi issus de la promotion interne.

Quant à la différence de coûts salariaux par rapport à l’Europe de l’Ouest, elle est encore bien réelle : de l’ordre de « 20 % par rapport à la France, pour un salaire moyen hongrois égal à 1 100 euros par mois », indique Kinga Kalocsai, d’EDS. Mais le patron de la plate-forme essaie de voir plus loin : « Nous pensons que d’ici à vingt ans les salaires hongrois auront rattrapé les salaires d’Europe de l’Ouest. Dans cette perspective, notre compétitivité doit aussi se mesurer à toutes les autres sources d’amélioration de la productivité que nous serons capables de dégager grâce aux innovations technologiques et aux méthodes d’optimisation de l’organisation du travail les plus modernes, telles que le Six Sigma. » V. D.

Pléthore de couacs

Dans les processus d’externalisation, la multiplication d’intermédiaires peut pourrir le quotidien. « Le système de validation des factures est trop complexe, déplore ainsi un cadre d’un grand de la chimie qui a externalisé sa comptabilité à Prague. Nous nous retrouvons dans des situations ubuesques : des fournisseurs refusent de décharger leur camion et exigent un chèque tout de suite ; des sites industriels se voient menacés par EDF de coupure de courant pour cause d’impayés… »

Les pros de l’externalisation n’échappent pas à ces écueils :

Accenture, qui a externalisé sa comptabilité à Dublin, a finalement confié à un cadre en interne la résolution des problèmes de délais. « Il faut mieux décortiquer les processus collaboratifs et bien cerner leur réalité, commente Colette Soutis, consultante chez Biporis, cabinet spécialisé dans la gestion du changement. Entre la description qui en est faite et la réalité du terrain, il y a souvent de gros écarts. » D’où l’importance du pilotage. Chez l’éditeur de logiciels Cartesis (récemment racheté par Business Objects France), une personne à mi-temps avait remplacé les quatre agents assurant le règlement de la paie, désormais externalisée. « Je suis garant de la bonne réalisation du contrat », expliquait Gaëtan Lemaître, responsable paie-SIRH. « Nous avons coupé le cordon trop vite. Le transfert a été passif et trop rapide », déplore le DRH France d’un autre éditeur de logiciels américain, qui s’est vu imposer l’externalisation des process RH sur la plate-forme polonaise chargée des 7 800 salariés européens. Pointés, les délais de traitement trop longs : « Un CDD doit être délivré en 48 heures, sinon son bénéficiaire se retrouve en CDI. » À l’index encore, la connaissance imparfaite du droit social français des agents polonais, formés… quinze petits jours seulement en France ! A. F.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle