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Enquête

Les entreprises exilent leurs administratifs

Enquête | publié le : 01.10.2007 | Anne Fairise

Hier concentrée sur les activités de production, l’externalisation gagne les tâches administratives. À la clé, une refonte de l’organisation du travail et des coupes claires dans les effectifs.

Gare aux erreurs ! Dans 19 500 foyers de salariés de Rhodia, les feuilles de paie d’octobre seront soigneusement décortiquées. Les troupes hexagonales du groupe chimique recevront, pour la première fois, des bulletins de salaire élaborés hors des murs de l’entreprise et, même hors des frontières, puisque l’opération est désormais réalisée à Budapest. La CGT est sur le pied de guerre. « S’il y a des erreurs, les ateliers débraieront. La fiche de salaire d’un ouvrier posté à l’usine du Pont-de-Claix, c’est deux pages format A 4. Aucune ligne ne doit manquer. C’est aux outils informatiques de s’adapter aux appellations conventionnelles et aux particularités de notre Code du travail, pas le contraire », prévient Pascal Ughetto, délégué central CGT, opposé à cette externalisation de la paie, la dernière étape du vaste plan de réduction des frais généraux, engagé fin 2003 alors que Rhodia frôlait le dépôt de bilan.

En confiant à ADP la gestion mondiale de la paie et à IBM le traitement des process administratifs RH, du recrutement à la formation, le chimiste redessine radicalement le périmètre de ses services de ressources humaines. Une fonction RH aux troupes bientôt amputées de moitié (120 personnes en 2008), recentrées sur les tâches dites à valeur ajoutée, et dont le coût, rapporté aux effectifs, satisfait désormais aux meilleurs canons internationaux : 1 656 euros par salarié. Cela ne se fait pas sans chambouler les pratiques dans les 15 usines. Au lieu de pousser la porte du « correspondant paie », les ouvriers appelleront dorénavant un numéro de téléphone unique qui sonnera chez l’un des deux prestataires, à Budapest ou à Prague. Même relation à distance pour le manager : au lieu d’être contacté par la DRH, il le sera par la plate-forme de recrutement de Prague avec qui il précisera le profil du candidat recherché. Une gestion new-look déjà pratiquée dans d’autres services, approvisionnement ou comptabilité, délestés aussi des tâches administratives.

L’externalisation préparée. Rhodia est loin d’être un cas isolé, même s’il est le premier grand groupe français à avoir brisé l’omerta et communiqué, fin 2006, sur sa démarche d’externalisation vers des plates-formes de services localisées dans des pays à bas coût. Chez Philips France, c’est chose faite depuis les années 2000. « Comptabilité en Pologne, gestion des frais en Inde… Toutes les fonctions ont été successivement externalisées dans le cadre d’un plan mondial », confie Joël Marias, responsable des services généraux, qui ne gère plus que des prestataires extérieurs. Les groupes internationaux, aux effectifs administratifs dispersés, se sont vite convertis à ce type d’organisation light, qui gagne du terrain parmi les fonctions support. Hier, l’informatique ou les finances ; aujourd’hui, la gestion de la comptabilité, le traitement de la paie ou les process administratifs RH. Autant de tâches répétitives que les nouvelles technologies permettent de rationaliser et de traiter à distance.

Mais pas de quoi encore déclencher un exode. « Externalisation des RH ne rime pas avec délocalisation », martèle Armand Angeli, directeur du développement et de l’externalisation chez Grant Thornton. Selon une étude menée conjointement avec l’Ifop, seules 15 % des entreprises de moins de 2 000 salariés envoient leur compta hors des frontières. Celles qui externalisent la paie et les RH sont encore plus rares, 4 % à peine. Le réflexe reste de privilégier un prestataire tricolore. Ou, dans les grands groupes comme Renault, Michelin, Air France, EADS ou Axa, de créer un centre national de services partagés (CSP) entre plusieurs établissements ou filiales. Rien de comparable avec une centralisation administrative. Le CSP est une business unit, responsable de ses moyens, de la qualité et du coût des prestations à l’égard des clients internes à l’entreprise. La promesse de substantielles économies, selon le benchmarker américain Hackett, qui recense une baisse moyenne de 13 % des coûts de RH et de 15 % des effectifs.

C’est souvent une étape vers l’externalisation. Chez Rhodia, la création de plates-formes de paie et de formation a été un préalable. « Nous conseillons toujours à nos clients de créer des centres de services internes avant d’externaliser. Ils forcent l’harmonisation et la standardisation », commente, à Budapest, Patrick Cogny, directeur de Genpact Europe, un concurrent d’ADP et de Capgemini. « Les CSP préparent l’organisation au changement et permettent d’avoir une référence robuste, en matière de coût et de niveau de service, avant l’externalisation », renchérit Guy-Noël Javaudin, président de la commission RH de l’European Outsourcing Association (EOA). Et, en cas d’externalisation sur le sol français, le recours au L. 122-12 sera facilité puisque la plate-forme est une activité autonome.

Socialement acceptable. Surtout, la création d’une plate-forme en France est plus facile à vendre socialement. « Cela explique pourquoi les DRH de l’Hexagone raisonnent actuellement davantage CSP qu’externalisation », reconnaît l’EOA. Michelin, qui a confié la paie de ses 28 000 salariés français à une plate-forme interne, ne s’y est pas trompé. « L’externalisation directe aurait constitué un gros défi social. Pourquoi tenter l’épreuve de force alors que les départs à la retraite se multiplient parmi les personnels administratifs ? » interroge Georges Brochot, de la DRH. Le fabricant de pneumatiques a donc pris son temps, commençant par mutualiser le traitement de la paie, hier réalisé sur chacun des 25 sites avec 4 systèmes différents. Entre le début du projet et sa concrétisation (fin 2007), presque trois ans se seront écoulés. Un timing accepté : la réduction d’un tiers des effectifs s’est faite sans douleur, grâce aux départs à la retraite.

Michelin a mis trois ans pour centraliser le traitement de la paie, hier réalisé sur chacun de ses 25 sites, sur une plate-forme installée à Clermont-Ferrand. Une mutualisation qui s’est traduite par une réduction d’un tiers des effectifs concernés

Pas de drame, non plus, en matière de localisation : la plate-forme a été installée à… Clermont-Ferrand. Chez EADS France, certains des 88 agents dédiés au traitement de la paie des huit sociétés du groupe ont été moins chanceux. Comme les anciens d’Eurocopter. En rejoignant début 2007 le service de la plate-forme unique, ils ont allongé de 35 kilomètres leur trajet et perdu des avantages. « Passés sous statut EADS France, ils n’ont plus droit aux semaines de quatre jours en vigueur à Marignane », note Didier Hacquart, de la CFDT. Mais le groupe aéronautique a octroyé aux volontaires des compensations afin de maintenir une équivalence de statut. Une précaution rare lors des opérations d’externalisation. Même si, depuis l’arrêt Perrier, les juges sont très vigilants quant à la qualité des nouvelles conditions d’emploi des salariés externalisés chez le prestataire. « L’application du L. 122-12 est de plus en plus difficile à sécuriser juridiquement », commente Sabine Knust-Matt, avocate du cabinet Vaughan. Mais, que les entreprises mutualisent leurs services administratifs ou les externalisent, les effets sont quasi identiques. Tout est chamboulé.

Aussi les consultants conseillent-ils qu’une attention particulière soit portée à la remise à plat des process et de la répartition des responsabilités. Un travail de titan, comme celui de la spécification informatique : chez Rhodia, le mode d’emploi des règles de paie françaises tient en 250 pages ; celui de la gestion des temps, en 200 pages ! Pour contourner les résistances, Michelin a associé les services RH des sites à la création du centre de services partagés. « L’externalisation fragilise les équipes. Il faut les aider à se repositionner afin qu’elles ancrent leur légitimité dans autre chose que l’administration des process », souligne Jean-Michel Rale, directeur des projets de changements RH chez Rhodia. « Externaliser, c’est passer du droit social au droit commercial, renchérit Jean-Benoît Chauveau, du cabinet Tiefree Partners. Le donneur d’ordres doit se professionnaliser lors de l’externalisation. » Sous peine de la mettre en échec.

Car le lien de proximité en prend un coup. « Avant, chacun avait son réseau sur lequel s’appuyer en cas de problème. On savait qu’en recourant à untel le dossier serait traité plus vite. Avec l’externalisation ou le CSP, c’est fini », résume un consultant. « C’est la déshumanisation de l’entreprise, critique Claude Barbault, délégué FO chez Air France, qui met en place des plates-formes partagées pour réduire de moitié ses services de paie. Avant, un agent gérait 200 dossiers, qu’il finissait par connaître par cœur. Sur la plate-forme téléphonique, il s’occupe de tous les dossiers et utilise des réponses préétablies. » « L’entreprise perd en proximité physique mais gagne en garantie de traitement conforme aux procédures. Il n’y a plus de passe-droit », rassure Armand Angeli, de Grant Thornton.

Reste que les utilisateurs sont souvent mis dans le bain. Car, avant l’externalisation ou la création d’un CSP, des guichets « self-service » sont mis en place. Chez Thomson Multimédia, les salariés entrent directement leurs souhaits de formation sur des logiciels fournis par Unilog, qui gère la formation externalisée. « Pour qu’un projet d’externalisation réussisse, l’utilisateur doit y trouver des avantages en termes de services supplémentaires ou de disponibilité accrue de ses interlocuteurs », estime Jean-Michel Rale. C’est le cas dans le groupe, où tous les salariés, « même les travailleurs postés de nuit », pourront à tout moment consulter leur dossier grâce aux PC mis en place sur les 15 sites. Et accéder en un clic au portail Web dédié aux RH. Suffisant ? Il faut croire que non. Après un sondage auprès des salariés, le groupe a décidé de mettre en place des correspondants locaux afin de faciliter le maniement des outils informatiques. « Avec quels effectifs ? interroge, sceptique, la CGT : la DRH ne compte plus que 40 personnes en France. »

GLOSSAIRE

BPO ou business process outsourcing : forme la plus poussée de l’externalisation. Elle consiste à confier à un prestataire la gestion entière du process administratif, souvent pris en charge par une plate-forme de services délocalisée dans un pays dont le coût du travail qualifié est bas.

CSP ou shared services centers : mutualisation de services dans une unité autonome, souvent sur un site distinct, qui sera responsable, au travers de contrats de services, de la qualité et du coût des prestations offertes aux clients internes à l’entreprise.

38 %

des entreprises recourent à l’externalisation des RH (ou projettent de le faire). Principaux domaines concernés : l’administration de la paie (pour les moins de 2 000 salariés), la gestion de la formation et du recrutement (plus de 2 000 salariés).

Source : Markess International, 2007.

Axa : l’administratif du cœur de métier sur la sellette

Victoire pour les syndicats d’Axa France, emmenés par la CFDT : ils ont obtenu, en juillet, des garanties sur le maintien de l’emploi administratif dans l’Hexagone et la préservation des bassins d’emploi à l’horizon 2012. Ce point d’accord, précisé lors de la négociation de la GPEC relancée en septembre, est le fruit de quatorze mois de blocage. Depuis début 2007, les syndicats sont vent debout contre le plan Ambition 2012, qui prévoit un doublement du chiffre d’affaires et un triplement du résultat. Car cette croissance est prévue à effectifs quasi constants en France et s’accompagne de la création de 1 500 emplois (150 dès 2008) dans une succursale d’Axa France au Maroc. Présentée comme un « site d’exploitation » supplémentaire, celle-ci abritera une plate-forme téléphonique qui relaiera celles situées en France.

« Notre hostilité ne vise pas les créations d’emploi au Maroc, note la CFDT, mais les transferts d’activité qui s’opèrent au détriment des activités françaises, sans croissance induite au bénéfice du marché marocain. » En clair, si la création de la succursale n’est ni une délocalisation ni une externalisation, elle entérine néanmoins pour la CFDT un virage dangereux. « L’activité va croître, mais pas l’emploi administratif. Selon la direction, tous les métiers continueront à être exercés en France. Mais il est certain qu’il y aura de moins en moins d’emplois administratifs à faible valeur ajoutée », reprend la CFDT. D’autant que l’assureur, dont le leitmotiv est aussi de mutualiser les services administratifs non liés au métier, vient d’externaliser des services RH auprès d’ADP.

A. F.

1 614

euros par salarié et par an

Coût moyen de gestion des RH après mise en place d’un centre de services partagés pour la fonction RH, soit 13 % de réduction.

Source : Hackett Group, 2006.

Auteur

  • Anne Fairise