L’obligation de recenser les risques professionnels et de formaliser des plans de prévention dope l’offre de logiciels adaptés. Faute de modules proposés par les principaux SIRH, les entreprises interfacent leurs systèmes d’information avec des solutions dédiées.
Depuis l’explosion de l’usine toulousaine AZF, en septembre 2001, les pouvoirs publics ont lancé une offensive en règle contre les risques d’ordre professionnel. Avec des résultats mitigés. En France, le nombre d’accidents du travail est en léger reflux : 1,136 million en 2005 contre 1,152 million en 2004 (derniers chiffres connus). Idem pour ceux qui ont donné lieu à des arrêts de travail (708 000 en 2005 contre 713 000 en 2004). En revanche, la mortalité au travail reste élevée, avec 526 décès en 2005 contre 576 en 2004. Et le nombre de maladies professionnelles reconnues est en constante augmentation, soit 41 347 cas en 2005 contre 34 642 en 2004, les troubles musculo-squelettiques arrivant largement en tête (71,7 %).
Une obligation annuelle d’évaluation. L’ensemble de ces pathologies représente un coût élevé pour les entreprises. Auquel s’ajoutent les effets indirects sur leur image et les risques juridiques courus par les chefs d’entreprise, en vertu de la loi Perben II du du 9 mars 2004, entrée en vigueur fin 2005. Au titre de l’article L. 263-2 du Code du travail, l’employeur peut désormais être poursuivi pour le non-respect des règles d’hygiène et de sécurité au travail. À charge pour l’entreprise d’apporter la preuve qu’elle s’est efforcée de limiter les risques comme le prévoit le décret du 5 novembre 2001. Ce dernier oblige l’entreprise à évaluer chaque année ses risques professionnels et à formaliser son plan de prévention dans un document unique. « Une large majorité de grandes entreprises et de PME l’ont réalisé. Mais ce n’est pas le cas de toutes les TPE, reconnaît Stéphane Rio, directeur du département audit et conseil du Centre national de prévention et de protection. Par ailleurs, bon nombre d’entreprises négligent de réactualiser ce document alors qu’il y a une obligation de mise à jour annuelle. » Cette carence concerne notamment des entreprises dont le document d’évaluation est réalisé sur tableur Excel. Principaux inconvénients de ce type d’outil, la réactualisation et la compilation des données n’est pas aisée dès lors que plusieurs services sont concernés. Elles auraient donc intérêt à recourir à des logiciels dédiés. Eurocopter, filiale d’EADS, vient ainsi d’adopter un logiciel d’évaluation des risques mis au point par la société Preventeo.
Même démarche de la part d’entreprises du CAC 40. Alcatel-Lucent, PPR ou Plastic Omnium se sont dotées du logiciel d’Enablon, concurrent de HR Access, d’Infor ou d’Oracle. Cette approche n’est pas l’apanage des grands comptes. PME et TPE cherchent aussi à réduire la fréquence et la gravité des accidents du travail. D’autant que, dans le domaine de l’évaluation et de la prévention du risque, l’offre est plutôt abondante, avec des éditeurs spécialisés dans ce domaine, à l’instar d’Accompagnement informatique, de Preventeo, Preventech, Val Solutions santé et prévention ou TDC Software. Généralement, ces outils sont utilisés par des responsables de la prévention ou par des comités chargés de l’hygiène, de la sécurité et de l’environnement. Mais certains, comme Préventiel de Val Solutions santé et prévention ou AutoScore HSE de l’éditeur Accompagnement informatique, sont aussi destinés aux DRH ou aux chefs d’entreprise. Commercialisé en mode ASP, ce dernier a été mis au point par l’université Paul-Sabatier de Toulouse. « Notre logiciel utilise une méthode statistique pour évaluer et gérer les risques professionnels », indique Emmanuel Liais, gérant d’Accompagnement informatique. Le logiciel comporte un questionnaire qui, en fonction des réponses cochées, va calculer le degré de conformité de l’entreprise avec ses obligations réglementaires, que ce soit en matière de locaux, d’équipement ou de conditions de travail. Le logiciel intègre en outre la gestion et le suivi des actions correctives.
Également disponible en mode ASP, le logiciel Securitech de Preventech permet l’identification et le suivi des risques inhérents aux différentes tâches dévolues aux salariés, à l’exemple des chauffeurs-livreurs. « Notre logiciel intègre 38 000 fiches de risques et la réglementation en vigueur dans 15 secteurs d’activité. Nous pouvons y inclure des documents autres que des fichiers texte, comme des photos ou des cartographies », indique Marjorie Dumont, directrice de Preventech, dont le logiciel équipe la société de restauration Eliance, filiale d’Elior. En partenariat avec l’École des mines de Paris, Preventeo, une société de conseil, propose un logiciel qui couple une base de connaissances dédiées à la veille documentaire et des recommandations émises par des spécialistes. « Cet outil nous permet de réaliser un audit de santé et de sécurité associé à une évaluation globale des risques. Ce qui nous aide à hiérarchiser nos actions correctives, témoigne Serge Vespa, responsable du département prévention rattaché à la DRH d’Eurocopter. Autre avantage, il permet de faire des études a priori. Nous le testerons l’an prochain sur de nouveaux projets industriels. »
Des SIRH en phase embryonnaire. La démarche d’Eurocopter rejoint celle du constructeur automobile espagnol Seat, qui fait partie du groupe VAG. Ce dernier a demandé à T-Systems, SSII filiale de Deutsche Telekom, de développer des outils basés sur la réalité virtuelle. L’objectif pour l’entreprise espagnole est d’identifier, dès la conception d’équipements industriels, les problèmes d’ergonomie pouvant se poser sur certains postes de travail. Aussi bien dans la phase de développement que dans celle de production d’un nouveau modèle. « Les DRH veulent d’une part connaître les risques qui pèsent sur les salariés et s’assurer qu’ils bénéficient des formations nécessaires pour y remédier », souligne Philippe Tesler, directeur du développement d’Enablon, un des leaders du marché des logiciels d’évaluation des risques financiers, environnementaux et sociaux. Il souligne que les modules de gestion du risque proposés par les principaux SIRH du marché sont encore en phase embryonnaire. À l’exception de PeopleSoft 8.3 qui offre des modules pour gérer la conformité professionnelle ou la santé et la sécurité des salariés.
Du coup, les entreprises utilisatrices interfacent leur système d’information RH avec des solutions dédiées pour réaliser leur évaluation. « Notre logiciel se connecte aux SIRH pour récupérer les informations relatives aux salariés (âge, qualification, expérience…) », détaille Philippe Tesler. En cas d’accident, cet outil peut automatiquement déclencher auprès des RH une alerte via SMS, e-mail ou tout autre mode préalablement défini. « Notre outil produit aussi des tableaux de bord pour suivre les taux de fréquence et de gravité des accidents du travail. Ainsi que des indicateurs en matière d’absentéisme lié aux accidents du travail. »
Autant d’informations qui alimentent le reporting social d’entreprises comme PPR ou Alcatel-Lucent. Des entreprises cotées, donc soumises à la loi NRE (nouvelles régulations économiques) de 2001, qui ont pour obligation d’inclure un rapport sur l’environnement et le développement durable à leur rapport annuel. Consultant senior SIRH chez Micropole-Univers, Arnaud Kerhervé constate, en tout cas, que de plus en plus de SIRH se dotent d’outils pour améliorer la connaissance RH et mieux maîtriser les risques. Des efforts que l’ensemble des entreprises devront accomplir. L’Union européenne s’est fixé en effet pour objectif de réduire de 25 % les accidents du travail d’ici à 2012. Avec, à la clé, une réglementation certainement plus contraignante.
Pour limiter les accidents du travail, former le personnel de production à son poste de travail ne suffit pas. Ces salariés doivent également acquérir les pratiques et les postures nécessaires à leur sécurité. C’est ce qui est mis en œuvre chez Canon Bretagne qui, grâce à son logiciel maison développé sur tableur Excel, vérifie que ces compétences ont bien été acquises.
Les résultats sont éloquents : « Notre site connaît un des taux de gravité d’accidents du travail les plus bas, soit 0,12 en 2006 », indique Patrick Mercier, directeur adjoint chargé des ressources humaines chez Canon Bretagne. Ce site, basé à Liffré (Ille-et-Vilaine), regroupe près de 700 personnes dont une centaine travaille au désassemblage et au recyclage des cartouches d’encre. Une activité qui peut entraîner un risque d’explosion. Ou un danger chimique lié à la présence de l’azote utilisé pour le broyage des cartouches. « Nous avons mis en place un système d’évaluation des risques recensés par les responsables de chaque zone de travail. »
Ces derniers ont en charge d’y apporter des actions correctives et d’en faire le bilan auprès du service prévention des risques qui dépend de la DRH. « Avec notre logiciel, nous pouvons vérifier que les compétences acquises par nos salariés, en matière de sécurité notamment, correspondent bien aux exigences définies par nos référentiels métiers. »
Par ailleurs, Canon Bretagne dispose d’un logiciel, en l’occurrence celui de CCMX RH fourni par Cegid, pour assurer le suivi des formations. Lesquelles portent, entre autres, sur la sécurité et les pratiques ergonomiques. L’objectif étant de diminuer les risques de troubles musculo-squelettiques qui touchent certains opérateurs en raison de la répétitivité des tâches.