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Vie des entreprises

La démission est morte : vive l’autorupture !

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.09.2007 | Jean-Emmanuel Ray

Inconnue ou presque il y a encore cinq ans, la prise d’acte de la rupture par le salarié – l’autolicenciement – connaît une singulière fortune en droit du travail… et dans la pratique. C’est devenu, par la grâce de la chambre sociale de la Cour de cassation, un mode de rupture alternatif à la démission. État des lieux de cette jurisprudence très protectrice du salarié.

Entre la rentrée et la relative embellie de 2007, la mobilité externe semble en hausse. Mais alors qu’il y a dix ans elle se traduisait par une augmentation des démissions, les chiffres vont en sens inverse : 15 788 démissions en mai 2006 et seulement 14 816 en mai 2007. Curieux ? Ce n’est peut-être qu’un début. Car trouvera-t-on à l’avenir des salariés assez faibles d’esprit pour démissionner sans reprocher quoi que ce soit à leur employeur, et surtout s’y tenir ensuite alors que les arrêts du 9 mai 2007 les invitent à remettre en cause, sans prendre aucun risque, des démissions données par écrit et « pour des raisons personnelles » ? A fortiori s’agissant de délégués, puisque l’arrêt du 27 juin 2007 a cru devoir reprendre l’étonnante solution du 5 juillet 2006 admettant l’autolicenciement, forcément nul, du représentant du personnel (voir flash).

Interdite à l’employeur et inconnue ou presque il y a cinq ans, la prise d’acte par le salarié connaît une singulière fortune en droit du travail. Comme le remarquait en mars dernier un commentateur particulièrement averti, la chambre sociale a en effet créé « un mode de rupture autonome alternatif à la démission » (Jean-Yves Frouin). Mais au sens latin du terme (« renoncer, laisser tomber » : parents démissionnaires) : bref un droit de retrait qui se veut définitif pour le salarié estimant que son employeur ne remplit pas tous ses devoirs. Et ils sont nombreux, a fortiori lorsque l’obligation de sécurité de résultat vise également le harcèlement moral dont l’on connaît la définition panoramique : dans notre société d’individus, l’enfer, c’est les autres. Or la vie en entreprise n’est pas un long fleuve tranquille : il y existe parfois des tensions, des chefs et des collègues, voire des logiciels de paie capricieux. Sans aller chercher trop loin, chaque salarié (surtout gaulois) peut avoir des griefs à faire valoir à l’encontre de son employeur.

Il est vrai que, pour le collaborateur voulant partir, cette solution n’a que des attraits : sans respecter un quelconque préavis, il quitte l’entreprise à la date de son choix, faisant parfois obstacle à une renonciation à la clause de non- concurrence par l’employeur pas assez réactif et obligeant ainsi ce dernier à lui verser la solide contrepartie prévue (cf. Cass. soc., 13 juin 2007 : nécessité d’un « délai raisonnable de notification à compter de la réception de la prise d’acte par le salarié »). Sans parler de ces quelques docteurs en Assedic voulant prendre des vacances aux frais de la collectivité, mais à qui leur méchant et méfiant employeur a refusé un licenciement pour convenances personnelles. Grâce à cette troisième voie new-look et avec un peu de chance sinon de victimisation, ils vont pouvoir prétendre aux allocations chômage : mais dans combien de temps ? Car, dans l’immédiat, l’employeur ayant reçu une lettre intitulée « démission pour raisons personnelles » va cocher sur le formulaire Assedic la case « démission », ce que la jurisprudence lui interdit de faire en cas de prise d’acte (case « autres motifs »). En décidant, le 3 mai 2007, que la prise d’acte justifiée entraînait également le remboursement des allocations à l’Assedic, la Cour de cassation a implicitement reconnu que le salarié avait été involontairement privé d’emploi, cette qualification devenant opposable à l’Assedic.

DÉMISSION ET VICES DU CONSENTEMENT

Depuis fort longtemps et en raison des effets désastreux de ce type de résiliation pour son auteur présumé (perte des indemnités de rupture, mais aussi et surtout des allocations Assedic sauf motif légitime), la chambre très sociale de la Cour de cassation avait adopté une politique très protectrice, sinon paternaliste, afin de protéger le salarié contre lui-même, mais aussi d’éventuelles manœuvres patronales.

Ainsi de la démission orale du type coup de tête, sur laquelle il pouvait revenir unilatéralement s’il se présentait le lendemain à son travail ou envoyait immédiatement un très tactique arrêt maladie démontrant tout à la fois un état psychologique affaibli et une volonté de poursuivre les relations contractuelles.

Ainsi de la démission signée sous la pression, voire, parfois, une certaine violence morale, depuis toujours requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse : solution sans doute juridiquement critiquable, mais pratiquement satisfaisante. Le mieux est le pire ennemi du bien, surtout en matière juridique où l’équilibre est la recette du bonheur social.

Mais les arrêts du 9 mai 2007 ont voulu nous donner un petit cours de droit des obligations (« Les vices du consentement : articles 1109 à 1118 du Code civil »). Après avoir rappelé que « la démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail », la chambre sociale en déduit que le salarié peut donc ultérieurement « invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de sa démission ». Que la démission soit annulable car la volonté de rompre a été viciée par la violence, l’erreur ou le dol n’a rien de nouveau puisque la volonté libre et éclairée de l’auteur de l’acte n’a alors jamais existé. C’est d’ailleurs ce que rappelle l’article L. 122-49 s’agissant de harcèlement moral : « Toute rupture du contrat de travail qui en résulterait est nulle de plein droit. » Sur le plan pratique, cependant, on imagine mal un employeur tout à fait enthousiaste pour réintégrer immédiatement le démissionnaire qui en fait la demande. Le salarié devra alors l’assigner en justice pour pouvoir reprendre son travail, dans l’ambiance conviviale que l’on devine : la bonne vieille requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse n’était pas si inadéquate.

Les juges n’auront donc pas à se plaindre dans les années qui viennent du surcroît de travail qu’ils ont eux-mêmes créé : car ces arrêts vont judiciariser des pratiques ancestrales, laissant les plaideurs – et surtout le salarié de bonne foi – dans une grande incertitude pendant un à cinq ans.

DÉMISSION ÉNONÇANT DES GRIEFS = PRISE D’ACTE

« La démission d’un salarié en raison de faits qu’il reproche à son employeur s’analyse en une prise d’acte qui produit les effets soit d’un licenciement si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission ». Depuis l’arrêt du 13 décembre 2006, la démission expressément motivée par des manquements patronaux constitue en droit une prise d’acte, sans aucun examen préalable de la réalité ou du sérieux de ceux-ci. Verre à moitié plein côté entreprise : malgré la volonté équivoque de véritablement démissionner de la part du collaborateur, il ne s’agit pas automatiquement d’un licenciement. Verre à moitié vide : tout démissionnaire a intérêt à invoquer d’éventuelles, sinon d’hypothétiques fautes patronales, au cas où.

Car tout oppose le formalisme strict d’un licenciement à la prise d’acte : « La prise d’acte n’est soumise à aucun formalisme et peut valablement être présentée par le conseil du salarié » (Cass. soc., 4 avril 2007). Et surtout, contrairement à la lettre de licenciement, celle de prise d’acte ou ici de vraie-fausse démission ne fixe pas les limites du litige : « L’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige ; le juge est tenu d’examiner les manquements de l’employeur invoqués devant lui par ce salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit » (Cass. soc., 5 juillet 2006). Quid, alors, du salarié démissionnant par écrit « pour convenances personnelles » mais contestant – plutôt que rétractant, acte nécessitant l’accord du cocontractant – quelques semaines plus tard cette démission en invoquant des manquements qu’il impute à son employeur ?

Réponse avec les quatre arrêts du 9 mai 2007 présentés comme « voulant sauver la démission » mais qui auront peut-être l’effet inverse.

DÉMISSION REQUALIFIABLE EN PRISE D’ACTE

« Lorsque le salarié remet en cause une démission en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée celle-ci était équivoque, l’analyser en une prise d’acte de la rupture qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d’une démission. »

Les arrêts rendus le 9 mai 2007 invitent le juge saisi par un salarié ayant démissionné sans invoquer aucun grief particulier à raisonner en trois temps :

1° Au moment où la démission a été donnée, des « circonstances antérieures ou contemporaines de la rupture » la rendaient-elle équivoque ? On conçoit en effet que des événements postérieurs soient réputés sans effet sur l’acte en cause, même si le passage à la concurrence le lendemain de la prise d’acte et des attestations rédigées quatre ans après semblent devoir faire réfléchir nos magistrats (Cass. soc., 12 juillet 2007). Si c’est le cas, le juge peut « analyser la démission en une prise d’acte de la rupture ». Pas « qualifier de » : « analyser en une prise d’acte ».

2° Mais le vrai-faux démissionnaire n’a pas encore gagné : le conseil de prud’hommes va maintenant devoir examiner « si les faits invoqués – in extremis, mais pas trop (Cass. soc., 20 juin 2007 : six mois après = trop tard) – justifiaient la rupture ». « Simple erreur de calcul sur le taux de majoration des heures supplémentaires » : non (Cass. soc., 30 mai 2007). Mais « différend relatif à des heures supplémentaires que l’employeur n’avait payées que partiellement » : oui (deuxième arrêt du même jour).

3° Cette démission analysée en prise d’acte produira donc « soit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, ceux d’une démission ». Dans cette dernière hypothèse, retour à la case départ pour le salarié : la démission sans réserve, analysée en une prise d’acte, produira quelques années et honoraires plus tard les effets… d’une démission. La Palice, reviens…

FLASH
Prise d’acte par un RP

« Lorsque le salarié titulaire d’un mandat prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit soit les effets d’une démission, soit les effets d’un licenciement nul pour violation du statut protecteur lorsque les faits invoqués par le salarié le justifiaient ». L’arrêt du 5 juillet 2006 n’a sans doute pas voulu discriminer les représentants du personnel en leur interdisant de faire ce que la jurisprudence permet aux salariés classiques. Le problème est que les conséquences sont extrêmement différentes. En refusant de condamner une entreprise pour défaut de procédure de licenciement que l’employeur ne pouvait matériellement pas mettre en œuvre, l’arrêt du 4 avril 2007 avait laissé entrevoir une éclaircie : car on voit mal comment l’employeur peut alors demander une quelconque autorisation à l’inspecteur du travail. Et il ne servirait à rien qu’il la demande après : le contrat étant rompu, cette demande serait sans objet. Mais l’arrêt du 27 juin 2007, à propos d’un DP ayant pris acte et sa retraite quelques jours plus tard, montre que la chambre sociale veut maintenir son cap : « Ayant estimé que la rupture du contrat de travail était justifiée, la cour d’appel a décidé à bon droit que les effets de la prise d’acte par un salarié protégé étaient la nullité du licenciement pour violation du statut protecteur. » Après le « crime impossible » (exemple : tuer un mort), la procédure impossible.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray