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Politique sociale

Pour les stagiaires, rien n’a changé

Politique sociale | publié le : 01.09.2007 | Stéphane Béchaux

Activité, suivi, rémunération : les stages étudiants en entreprise restent l’objet de multiples abus. Pourtant, charte et loi aidant, un début de cadrage s’esquisse.

Crème solaire, préservatifs et… convention de stage. Cet été, quelques dizaines de milliers d’étudiants ont vérifié, avant de boucler leur sac, que le précieux sésame s’y trouvait bien. « Le secteur du tourisme abuse des stagiaires d’été. En particulier des étudiants en éducation physique de la filière Staps, très recherchés par les bases de loisirs, les centres équestres ou les clubs », affirme Philippe Delacourt, responsable de la vie étudiante à l’université Montpellier I. Certaines annonces sont édifiantes. « Vous préparez les repas pour les clients et l’équipage (maxi 14 personnes) pendant les croisières. » « Possibilité de découvrir tous les postes de l’entreprise : accueil, bar, boutique, animation, guidage. » « Agencement et vente des produits-souvenirs aux visiteurs. » Des stages dont la dimension pédagogique ne saute pas aux yeux. Et, de surcroît, illégaux puisqu’il s’agit d’emplois saisonniers.

Ces dérives ne sont pas l’apanage des métiers du tourisme. Tous secteurs confondus, embaucher des stagiaires pour suppléer ses collaborateurs en vacances, ou en congé maternité, relève de la pratique courante. « La mission consiste à vendre des appartements ou des maisons pendant les congés du conseiller commercial titulaire », proposait ainsi, avant l’été, le promoteur immobilier Promogim. En jeu, une vingtaine de postes dans toute la France, rémunérés « 925 euros brut plus primes ». Un cas de recours totalement interdit. « Aucune convention de stage ne peut être conclue pour remplacer un salarié en cas d’absence », précise noir sur blanc un décret du 29 août 2006. Une règle que les entreprises ignorent superbement. Sans grand risque : les visites de l’Inspection du travail sont exceptionnelles, et les recours des stagiaires devant les tribunaux rarissimes.

Faut-il conclure de ces exemples que rien n’a changé depuis l’émergence du mouvement Génération précaire ? Presque. L’an dernier, dans la foulée des manifestations anti-CPE, le recours aux stagiaires a, certes, connu un début de cadrage. Mais la loi égalité des chances de mars 2006, ses trois décrets d’application et la charte des stages étudiants en entreprise concoctée par les partenaires sociaux et signée le mois suivant par le ministère du Travail et celui de l’Éducation nationale peinent à combler les vides juridiques, et à modifier les pratiques. Le seul changement notable est à mettre à l’actif des universités. Accusées de délivrer des conventions bidon à tire-larigot, elles ont toutes revu leurs procédures. « Désormais, on exige des étudiants qu’ils fassent valider leur demande de stage par un enseignant. À charge pour lui de s’assurer qu’il y a bien adéquation avec les cours suivis », précise Françoise Boursin, responsable du service d’information et d’orientation de l’université Paris IV (Sorbonne). Un filtrage en amont qui permet de ralentir le flot des étudiants fantômes. Mais pas de s’assurer que les stages tiennent, ensuite, leurs promesses. « Il y a un vrai suivi dans les masters professionnels, qui comportent tous un stage obligatoire. Mais pas dans les autres cursus. On a très peu de retours des étudiants et on ne peut pas les pister », admet Nadine Billion, chef du service des scolarités à Paris II (Assas).

Strict encadrement. Définition des activités confiées au stagiaire, accueil et encadrement, horaires de travail, gratification… Sur le papier, pas grand-chose à reprocher à la nouvelle convention type, annexée à la charte des stages. « On a mis en place un encadrement relativement strict. La charte rappelle clairement que le stage s’inscrit dans un processus de formation, avec un suivi, et qu’il ne peut s’agir en aucun cas d’un travail », insiste Laurence Danon, présidente de la commission nouvelles générations du Medef. Mais, sur le terrain, les pratiques s’avèrent moins vertueuses. Inscrire le nom d’un tuteur sur une convention ne garantit pas la qualité de l’encadrement du jeune, pas plus que la description succincte de la mission ne prémunit contre les mauvaises surprises. « Si elles voulaient respecter les textes, les entreprises devraient rédiger des contrats de stage plus longs que les contrats de travail. En pratique, la charte n’a rien changé du tout », assure François Taquet, professeur de droit à l’ESC Lille et à l’Escem (Tours-Poitiers).

Les abus sont légion. Pour les étudiants, la probabilité de jouer les petites mains est fonction de la notoriété de leur établissement. « Vis-à-vis des grandes écoles, les pratiques sont saines. Les entreprises ont une image de marque employeur à soigner. Elles utilisent les stages dans une optique de prérecrutement », assure Éric Charvet, directeur général d’Hobsons France. « L’année dernière, 48 % de nos étudiants ont été embauchés dans l’entreprise où ils ont fait leur stage », confirme Brigitte Hennequart, responsable des relations avec les entreprises à l’Université de technologie de Troyes. « Les entreprises viennent chercher nos étudiants un an et demi avant leur sortie. Elles ne peuvent se permettre des pratiques non éthiques », abonde Pierre Aliphat, directeur de l’École supérieure d’informatique électronique automatique.

Dans les écoles moins cotées, en revanche, les abus sont légion. Les étudiants doivent se débrouiller seuls pour trouver leur stage de fin d’études, et la vive concurrence entre congénères les contraint à ne pas faire la fine bouche. Témoin cette étudiante en commerce, embauchée pour six mois par Idéal Gourmet, une agence de réservation en ligne de restaurants. « En plus du patron, il y a trois salariés et une quinzaine de stagiaires. Sans nous, la boîte ne peut pas tourner », confie cette jeune commerciale. Qui s’accroche, néanmoins, pour valider son diplôme. Hormis les start-up, d’autres secteurs ont mauvaise réputation, tels que la communication, la pub, la presse et l’édition. Et les récentes tentatives d’encadrement n’y ont rien changé. « Certaines agences tournent toute l’année avec des étudiants, au gré des budgets qu’elles remportent. Mais on voit aussi régulièrement des jeunes embauchés à la fin de leur stage », tempère Anne Dugast, responsable du service stage et emploi de Sciencescom, une école nantaise de communication.

Sans surprise, les abus sont, aussi, fonction du marché de l’emploi. Dans les secteurs au fort recrutement, pas de problèmes majeurs. SSII, compagnies d’assurances et établissements bancaires n’ont pas attendu la charte des stages pour offrir des projets haut de gamme. « Dans les banques, on n’a pas à se plaindre. On travaille dans de bonnes conditions et on nous confie de vraies missions », atteste Sandra. Étudiante lilloise en école de commerce, elle termine un stage de neuf mois dans une banque d’affaires avec, à la clé, une quasi-promesse d’embauche pour la fin de ses études. Dans la communication ou la pub, en revanche, changement de décor. Âprement disputées, les places sont rares, donc chères. Les employeurs en profitent, en contournant sans scrupule la nouvelle réglementation. « L’an dernier, il y a eu des problèmes sur certains stages, dont les missions étaient sans rapport avec ce qui était annoncé. On doit donc être très vigilant », confie Pierre, en fin de master Management de la communication à Sciencescom.

Chez les stagiaires, la communication, la pub, la presse et l’édition ont mauvaise réputation

Un décret très attendu. Impossible d’en rester là. Fin mai, le ministre du Travail, Xavier Bertrand, s’est d’ailleurs prononcé en faveur de la création d’un « statut pour les stagiaires ». Une perspective qui n’enchante pas le Medef. « Il n’est pas nécessaire de surréglementer le recours aux stages. Si on rigidifie le système, on privera les jeunes qui en ont le plus besoin, ceux dont les formations sont les plus éloignées du marché de l’emploi », plaide Laurence Danon. Reste que, sans créer une énième usine à gaz – par exemple en imposant un taux de stagiaires maximal par entreprise –, pouvoirs publics et partenaires sociaux pourraient déjà tenir leurs engagements. Prévu en préambule de la charte des stages, son comité de suivi n’a jamais vu le jour. Pas plus que l’État n’a créé l’outil statistique promis. Quant à la question, essentielle, de la gratification des stages, elle reste entière. À l’exception des avocats et des pharmacies d’officine, aucune branche n’a signé le moindre accord. Au grand bénéfice des employeurs puisque le décret fixant, à défaut d’accord, les minima n’est toujours pas sorti des cartons – les syndicats étudiants l’espèrent pour le mois d’octobre. Une fois ces « formalités » enfin accomplies, il sera toujours temps de serrer, ou non, la vis…

Entourloupes sur les gratifications

Il y a des découvertes qui énervent. Pour un stagiaire en banque d’affaires, apprendre que son successeur va gagner, au même poste, 40 % de plus parce qu’il est issu d’une école de commerce mieux cotée en fait assurément partie. Surtout quand on forme le petit veinard à ses futures missions pendants trois semaines !

En matière de stage, il n’existe aujourd’hui aucun barème de gratification. Dans son article 9, la loi égalité des chances prévoit, certes, que « lorsque la durée du stage est supérieure à trois mois consécutifs, celui-ci fait l’objet d’une gratification dont le montant peut être fixé par convention de branche ou par accord professionnel étendu ou, à défaut, par décret ». Sauf qu’en l’absence de tout texte – on parle d’un décret pour octobre – les employeurs interprètent la loi à leur guise.

Privilégiés, les étudiants des meilleures écoles peuvent toucher de 1 000 à 2 000 euros brut mensuels. Mais la grande masse doit se contenter, au maximum, de 379 euros, titres-restaurants inclus. La somme correspond au seuil au-dessous duquel la gratification n’est pas soumise à cotisations sociales. Les entreprises ont d’autant moins de raisons de le dépasser qu’il existe, au-delà, des incertitudes fiscales. Question : si je paie mon stagiaire 380 euros, dois-je payer des charges sur l’intégralité de la rémunération ou sur le dernier euro ?

« Tous les employeurs affirment qu’il ne faut réintégrer les cotisations que sur la différence. Mais ça n’est pas écrit clairement dans les textes, sinon dans une circulaire de l’Acoss qui n’est pas opposable aux Urssaf », prévient le juriste François Taquet.

Les plus mal lotis parmi les stagiaires peuvent toucher nettement moins. Après tout, rien n’interdit à leur patron de leur verser, chaque mois, l’euro symbolique ! Plutôt que d’en venir à cette extrémité mesquine, les entreprises ont trouvé d’autres astuces pour réduire leur obole. La plus répandue : considérer que la gratification des stagiaires n’est due qu’à partir… du premier jour du quatrième mois.

Autre technique, interrompre le stage quelques jours àla fin du troisième mois. Puis reprendre le jeune au même poste, de telle sorte que sa mission ne dépasse pas les fatidiques « trois mois consécutifs ».

Enfin, rien n’interdit formellement au patron de ne verser la gratification qu’à la fin du stage. Ou de n’en verser qu’une partie chaque mois, et le solde au moment du départ. C’est l’astuce choisie par le patron d’Idéal Gourmet pour fidéliser ses stagiaires, plutôt volatils compte tenu des conditions de travail.

« En fin de mois, on ne touche que 180 euros, soit 50 % de la somme promise. L’autre moitié est versée en une seule fois, en fin de stage », explique une recrue. Et tant pis pour ceux qui partent en cours de route !

Auteur

  • Stéphane Béchaux