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Politique sociale

La banlieue, nouveau terrain de chasse des recruteurs

Politique sociale | publié le : 01.09.2007 | Anne Fairise

Forums dédiés, tournées en camion, portails spécialisés… les entreprises lorgnent le vivier des banlieues pour embaucher. Mais le marché du recrutement « diversité » n’est pas encore mature.

Pas d’équivoque ! Ce matin de juin à Villeneuve-Saint-Georges, Karim Zéribi a mis les points sur les i : « Ce n’est pas un coup de pub, ni une démarche misérabiliste, encore moins une approche de quotas. Nous recherchons des compétences et de nouveaux profils. À vous de nous séduire », a martelé le Monsieur Égalité des chances de la SNCF venu animer dans cette commune du Val-de-Marne (13 % de chômage) le 17e rendez-vous « Égalité et compétences ». Un forum qui n’a rien de classique : les 211 jeunes présélectionnés par l’ANPE, les missions locales et les associations pouvaient, l’après-midi même, décrocher un entretien de prérecrutement. Et les offres, 110 postes de conducteurs, de techniciens de la circulation ou d’opérateurs de maintenance, étaient réelles, sans pour autant leur être réservées. La première question a levé toute ambiguïté : « Nos chances d’être embauchés ? » Moins de 10 %, à en croire les statistiques de la SNCF : sur les 4 000 jeunes participant en 2006 à cette campagne ciblant les quartiers populaires, 350 sont devenus cheminots. Une paille, comparé aux 5 600 embauches réalisées dans l’année, mais un pas de géant en matière de diversification des canaux de recrutement !

Une sémantique très travaillée. Rien à voir avec une politique de discrimination positive stricto sensu, qui réserve un quota d’emplois à certaines populations pour compenser les discriminations sexuelles, raciales et les inégalités socio-économiques. Sujet hautement délicat dans l’Hexagone, où l’égalité de traitement est un principe constitutionnel. Karim Zéribi parle d’opération « rétablissant une réelle égalité des chances. Le processus de recrutement [n’étant] pas modifié. Seules les qualifications et les compétences priment à terme ». Pascal Bernard, vice-président de l’ANDRH, évoque, lui, des « actions d’égalité positive », qu’il appelle à généraliser. « Le recours au vivier “diversité” devrait être systématique lors des recrutements. » En fait, il n’y a que Nicolas Sarkozy à avoir osé, pendant la campagne présidentielle, le mot tabou de « discrimination positive à la française fondée non pas sur des critères ethniques qui nourriraient le communautarisme » mais sur des critères économiques et sociaux… Ce que nombre d’entreprises font déjà, avec mille précautions, lorsqu’elles orientent vers les quartiers populaires le choix du territoire de recrutement, participent à des forums dédiés à la promotion de l’égalité des chances ou s’appuient sur des recruteurs spécialisés en « diversité ».

Car la démarche de la SNCF fait des émules. Toujours en juin, 40 DRH se sont retrouvés à Stains et à Nîmes face à des bac + 3 à bac + 5 issus de l’immigration ou résidant en zones sensibles lors des « Rencontres improbables » de l’Association pour faciliter l’insertion professionnelle des jeunes diplômés (Afij). Un intitulé choisi à dessein : « À niveau de qualification égal, ces jeunes éprouvent de vraies difficultés à rencontrer des DRH de grandes entreprises. Déficit de réseau professionnel, adresse mal perçue, voire propre déqualification, ils cumulent les obstacles », rappelle Naouel Amar, directrice adjointe de l’Afij qui a suscité 1 478 entretiens d’embauche en 2006 grâce à ce dispositif.

Casting d’Élite à Rosny. Dans le quartier de la Villeneuve, à Grenoble, une vingtaine de DRH, 400 jobs en poche, ont rencontré en juin dernier à la maison de quartier 350 jeunes réunis par le cabinet Nes. À Rosny-sous-Bois, l’agence de mannequins Élite a organisé son deuxième casting en banlieue de l’année. En juin toujours, la fédération Syntec a fait le bilan d’une opération menée fin 2006 avec APC Recrutement. Plutôt que de recourir à la filière des grandes écoles, 12 sociétés ont pioché dans les masters 2 de quatre universités de banlieue parisienne. Après six mois, près de 17 % des 433 entretiens s’étaient conclus par un stage de fin d’études ou un emploi. Une liste non exhaustive.

Depuis l’embrasement des banlieues, il y a deux ans, les initiatives se multiplient pour établir des passerelles vers les quartiers populaires et rapprocher l’offre de la demande d’emploi. Le gouvernement a réagi par une loi sur l’égalité des chances, mobilisé l’ANPE afin que les jeunes des 750 zones urbaines sensibles (ZUS) se voient proposer une solution, poussé à la création d’une plate-forme centralisant les CV des bac + 3 des ZUS. Que cinq chargés de mission promeuvent auprès des entreprises d’Ile-de-France. « L’ANPE a toujours mené des actions spécifiques envers les jeunes diplômés, mais jamais sous l’angle de l’appartenance aux quartiers sensibles », précise Odile Marchand, chargée du programme à l’ANPE. Le bilan est mitigé. La plate-forme revendique 572 embauches en dix-huit mois et comptabilisait, avant l’été, à peine 2 000 CV en souffrance. « L’envoi de CV est volontaire », relativise Odile Marchand.

Grâce à un cabinet spécialisé, Gaz de France dépasse son objectif de recruter tous les ans 10 % de candidats dans les quartiers sensibles

Des recettes classiques. Côté entreprises, la mobilisation monte aussi. En deux ans, le nombre de signataires de la Charte de la diversité, certes simple déclaration d’intention à lutter contre les discriminations, a été multiplié par cinq pour atteindre 1 500. Boosté par Laurence Parisot, le Medef veut généraliser le parrainage de diplômés issus des quartiers sensibles – « Nos quartiers ont des talents » –, lancé dans le « 9-3 » avec succès. Réseau d’entreprises partenaires, cadres sup accordant quelques heures mensuelles, coaching : les recettes classiques ont fait effet, bien que les entreprises n’arrivent pas avec des postes sous le bras. « En 2006, un tiers de nos 200 jeunes ont trouvé un emploi », se félicite Yazid Chir, président du Medef 93 Ouest, qui a lancé cette opération en « raison des actes de malveillance que subissaient les employés des sociétés nouvellement arrivées dans le département ». Afin de soutenir la mobilisation, le Medef vient d’éditer, avec IMS-Entreprendre pour la cité, un guide recensant dispositifs publics et associatifs. « Passer à des volumes importants de recrutement suppose d’outiller les entreprises. Elles ont besoin de savoir qui peut les aider à recruter autrement », note Patricia Charrier, de l’IMS.

Le portail Internet diversite-emploi.com, réservé aux demandeurs d’emploi se sentant victimes de discrimination, ne figure pas dans ce guide. Le lancement de cet outil, né mi-2006 d’un partenariat entre l’ex-ministère de la Promotion de l’égalité des chances, l’ANPE, le Medef et le site américain Monster.fr, avait suscité quelques remous dans le landerneau du recrutement en ligne. Au point que le ministère a précisé qu’aucun centime d’argent public n’y avait été investi. « S’il s’agit d’ouvrir tous les emplois à la diversité, pourquoi confier à un seul site privé l’hébergement et la commercialisation du portail ? » tempête Valérie Vaillant. La présidente de l’Association des professionnels pour la promotion de l’emploi sur Internet (Appei) n’a pas digéré que ses 15 sites adhérents aient été exclus de l’initiative. Et conteste le contenu donné à l’opération, avec ses offres labellisées « prodiversité » et payantes (600 euros par offre). « Les emplois ne sont pas réservés, précise Claude Monnier, DRH Europe du Sud de Monster. Pour afficher ce label sur son offre, l’employeur s’engage à respecter la législation antidiscrimination. »

Reste que le marché du « recrutement diversité » ne décolle pas. Diversite-emploi.com affichait, en juin, 1 000 offres… toutes issues de Manpower. « Beaucoup ne correspondent pas aux profils des candidats, et vice versa. Il y a souvent un problème d’adéquation entre l’offre et la demande », reprend Claude Monnier. Une dizaine d’acteurs (voir encadré) proposent aux DRH des candidats issus de la diversité. En se faisant parfois rémunérer. Ce qui ne fait pas l’unanimité. « Nous participons à des forums payants dédiés aux candidats de la diversité. Nous ne souhaitons pas rémunérer, en plus, un cabinet », note Bénédicte Monneron, responsable du recrutement à BNP Paribas. « Rendre plus objectif le processus d’embauche ne suffit pas. Il faut diversifier en même temps les canaux de recrutement. Les cabinets spécialisés nous facilitent la tâche », estime, en revanche, Françoise Guichard, directrice du développement durable de Gaz de France, qui s’appuie notamment sur APC Recrutement pour présélectionner ses apprentis. Depuis, le groupe dépasse son engagement de recruter, chaque année, 10 % de candidats dans les quartiers sensibles. « Avec les cabinets spécialisés, nous rencontrons de nouveaux profils », renchérit Nathalie Louis, DRH d’Auchan Fontenay-sous-Bois, qui a sillonné, fin 2006, cinq cités dans un 30 tonnes affrété par le cabinet Nes.

Structurer l’offre. Même démarche à la SNCF, qui mobilise ANPE et associations avec l’agence ID Industry. La méthode fait florès : 98 % des recrues de 2006 ont reconnu qu’elles n’auraient pas postulé. Les réticences des entreprises n’ont pas lieu d’être pour Alain Gavand, fondateur du cabinet éponyme et initiateur de l’association À compétence égale, qui propose des outils objectivant les procédures d’embauche. « Les associations spécialisées pèsent 10 000 candidatures au mieux. C’est dérisoire face aux besoins. Plus l’offre sera structurée, plus la diversité pénétrera les entreprises. » Ce n’est pas pour demain. Car, comme le constate l’IMS, les initiatives en faveur de la diversité ethnique restent minoritaires, comparé à celles dédiées à l’égalité professionnelle et aux personnes handicapées. La discrimination positive à la française a beaucoup de progrès à faire.

Une poignée d’acteurs spécialisés

Ils sont une dizaine à peine à proposer aux DRH des candidats issus de la diversité. Pas exclusivement l’Afij : l’association, créée en 1994 par des organisations étudiantes, accompagne tous les diplômés du supérieur. Peu sont issus de réseaux communautaires, comme Africagora ou l’Afip (Association pour favoriser l’intégration professionnelle), qui organise parrainages et job datings. Beaucoup sont issus de démarches militantes et citoyennes, comme le cabinet Emploi & Diversité d’IMS-Entreprendre, APC Recrutement, l’un des seuls associatifs à se faire rémunérer, à hauteur de 10 % du salaire annuel brut de la recrue, ou, à Lyon, Nes, cabinet initialement spécialisé dans la médiation sociale et la lutte contre la violence. « Je veux mettre mon expérience au service des jeunes que j’ai vus grandir », souligne Abdel Belmokadem, fondateur de Nes, qui a lui-même grandi dans le quartier du Mas-du-Taureau, à Vaulx-en-Velin, et été le premier « médiateur » de l’Hexagone après les émeutes d’octobre 1990.

Auteur

  • Anne Fairise