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Idées

Le système de la franchise peut-il freiner les dépenses de santé ?

Idées | Débat | publié le : 01.09.2007 |

L’annonce, fin juillet, par le président de la République, de la mise en place d’une franchise de 0,50 euro par boîte de médicaments a provoqué une levée de boucliers, bien qu’il s’agisse de financer notamment un plan de lutte contre la maladie d’Alzheimer, et non de renflouer les caisses de la Sécurité sociale, comme il avait été envisagé initialement. Trois experts donnent leur point de vue sur ce type de mécanisme.

Pierre-Yves Geoffard Directeur de recherche au CNRS

“Une franchise peut contribuer à réduire la part des dépenses inutiles”

Il y a plusieurs manières d’aborder cette question. Dans une logique comptable, une telle mesure viserait à équilibrer le budget de la Sécurité sociale : ce serait alors un très mauvais outil. Mais, dans une logique d’efficience, elle peut contribuer à réduire, dans l’ensemble des dépenses de soins, la part des dépenses inutiles en incitant à une certaine modération. Cependant, il faut que la franchise s’applique aux dépenses potentiellement inutiles ou peu efficaces. Un exemple simple permet d’illustrer cet argument : supposons qu’une franchise de 10 euros soit appliquée sur les soins prodigués lors d’un accouchement ; une telle franchise ne diminuerait pas le nombre des naissances : d’un point de vue budgétaire, son impact serait maximal. Mais, d’un point de vue incitatif, pas d’effet : elle ne conduirait à aucune amélioration de l’efficience de la dépense de soins. Il faut donc savoir à quelles dépenses doit s’appliquer ce dispositif de franchise. D’une certaine manière, la question est de savoir quel type de soins est davantage déterminé par la demande, c’est-à-dire par des décisions de la part des patients, ou plutôt par l’offre de soins, c’est-à-dire par des décisions des professionnels de santé.

Dans le premier cas, une franchise peut jouer un rôle positif : en réduisant certaines dépenses inutiles, elle permettrait de diminuer (ou de ne pas augmenter) les cotisations d’assurance maladie. Il s’agit, dans tous les cas, d’un pis-aller : s’il était possible d’identifier formellement, pour chaque dépense de soins, son utilité et son efficacité, alors il conviendrait simplement d’exclure du remboursement celles qui ne sont pas suffisamment utiles. Mais cette identification est impossible à réaliser de manière systématique. Si on pense que, dans certaines situations, le patient peut avoir une bonne idée de l’utilité de telle ou telle dépense, alors imposer une franchise peut être raisonnable : l’efficacité de la franchise repose sur la responsabilité du patient…

Aux États-Unis, l’expérience conduite dans les années 70 a montré qu’une participation modérée aux dépenses permettait de diminuer significativement la dépense totale de soins, sans impact négatif sur l’état de santé. De la même façon, la mise en place d’une franchise annuelle en Suisse ou aux Pays-Bas n’a pas conduit à un désastre en termes de santé publique ni d’accès aux soins. Mais, dans tous les cas, agir sur la demande de soins ne dispense pas de chercher à réguler l’offre de soins.

Thierry Debrand Maître de recherche à l’Irdes

“Ce n’est pas l’outil miracle pour réduire les dépenses et préserver l’avenir de la Sécu”

Il est regrettable que l’on réponde à la croissance des dépenses de santé par le comment avant d’avoir réfléchi au pourquoi. Cette croissance des dépenses de santé est le seul fait des assurés ? Si oui, la franchise pourrait peut-être s’avérer efficace. Or les choses ne sont pas si simples. Le vieillissement, considéré comme la principale cause de la progression des dépenses de santé, se révèle avoir un impact plus faible sur la croissance des dépenses que le progrès technique, les nouveaux traitements coûtant généralement plus cher que les anciens. Restent les comportements des acteurs, à savoir les professionnels de santé et les malades. C’est sur ces derniers qu’il est le plus facile d’agir. La franchise est une réponse. Mais s’il s’agit d’un simple transfert des poches des patients vers les producteurs de soins, alors non seulement cela n’a que très peu d’impact économique, mais cela ne peut avoir comme conséquence que la croissance des inégalités. La franchise appelle une réflexion globale sur le fonctionnement de notre système de santé, sur ce que nous voulons en faire et ce que nous voulons financer collectivement : prévention, recherche, lutte contre les inégalités. Il ne faut pas oublier que l’augmentation de certaines dépenses de santé est source de croissance économique et d’amélioration sociétale.

Pour que cette franchise soit efficace économiquement et non créatrice de nouvelles injustices, cinq postulats doivent être énoncés. Tout d’abord, elle ne doit pas être couverte par les assureurs complémentaires. Dans le cas contraire, elle n’aurait plus aucun rôle incitatif et pénaliserait ceux qui ne bénéficient pas d’une complémentaire. Deuxième postulat, il faut dissocier la couverture des petits et des grands risques. Les patients atteints de pathologies graves ne doivent pas être sanctionnés financièrement. Troisième critère, le montant de la franchise et sa modulation ou non en fonction des revenus. Le quatrième postulat concerne la mise en place d’un réel droit individuel à la prévention. Enfin, cinquième facteur : la population qui sera soumise à cette franchise. Plus on réduit la base des cotisants, plus on doit augmenter le montant de la franchise. Celle-ci n’est pas l’outil miracle pour réduire l’augmentation des dépenses et préserver l’avenir de notre Sécurité sociale. Si les gouvernements ne cherchent pas mieux à lutter contre les sources réelles de dérapages et à transformer notre système de santé, alors la franchise sera inefficace économiquement et socialement risquée.

Claude Le Pen Professeur à l’université Paris-Dauphine

“Une franchise tenant compte du revenu serait plus juste que le régime actuel”

L’annonce récente du président de la République de la création d’une série de forfaits sur des actes et des produits de santé destinée à financer un plan d’action contre la maladie d’Alzheimer est tactiquement habile. Elle permet en effet de respecter la promesse présidentielle de franchise médicale tout en étant beaucoup moins agressive que ne le craignait l’opposition, surtout si les assurances complémentaires sont autorisées à la prendre en charge. Pour autant, en affectant ces ressources nouvelles à des dépenses nouvelles, le président laisse ouverte la question du financement de l’assurance maladie, qu’il faudra bien réétudier très prochainement. Alors, le débat sur les franchises a-t-il été inutile ? Je ne le crois pas, car il a permis d’aborder des questions importantes.

La première tient à la participation financière des usagers. Ceux qui critiquent le projet de franchise sont rarement explicites quand il s’agit de savoir s’ils sont pour ou contre la franchise en tant que telle ou s’ils sont pour ou contre tout principe de participation des usagers au coût des soins. Une généralisation du 100 % est irréaliste mais est-elle souhaitable ? Je ne crois pas. La gratuité des soins est ambiguë dans la mesure où elle donne l’illusion que la santé est sans coût, que c’est un bien libre qui n’est à la charge de personne. Elle tend paradoxalement à occulter ce principe de solidarité. Rien n’est gratuit mais tout est payé par des tiers : voilà le message que la gratuité fait oublier. Nombreux sont ceux que l’idée de responsabilisation choque. N’est-ce pas accabler le malade que de l’accuser d’irresponsabilité ? Ne faut-il pas impliquer les médecins, les industriels, voire les caisses d’assurance maladie ? Mais il convient de dégager cette notion de responsabilisation de toute connotation morale. Tout individu normalement constitué tend à abuser d’une ressource libre. Rien de choquant à cela. Il faut simplement maintenir ou créer les incitations positives pour que cela ne soit pas le cas.

Un autre thème du débat est le constat, nié par personne, que le système actuel de ticket modérateur couvert par les mutuelles avec prise en charge à 100 % des ALD laisse aux ménages un « reste à charge » d’autant plus élevé (en termes relatifs) que les revenus sont faibles : 10 % des revenus pour les ménages les moins riches ; 1 % pour les plus riches. Un mécanisme de franchise capitalisable tenant compte du revenu serait, n’en déplaise à ses détracteurs, plus juste que le système actuel.