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Enquête

Réforme mode d’emploi

Enquête | publié le : 01.09.2007 | Stéphane Béchaux

Les dysfonctionnements de notre modèle social sont connus. Certains des remèdes aussi. Pourtant, plus d’un gouvernement a mordu la poussière. Pour éviter les blocages, mieux vaut respecter quelques règles éprouvées.

Chercher des noises aux cheminots et aux étudiants est un jeu dangereux. En lançant, cet été, les chantiers du service minimum et de l’autonomie des universités, Nicolas Sarkozy et François Fillon ont misé gros. Que les dépôts et les facs se tiennent tranquilles à la rentrée, et on vantera leur habileté et leur courage. Qu’ils soient bloqués par des piquets de grève, et on dénoncera leur manque de savoir-faire et leur inconscience. Car, en France plus qu’ailleurs, réformer est un art difficile. Certains s’y sont cassé les dents, comme Alain Juppé sur la Sécu ou Dominique de Villepin sur l’emploi des jeunes. D’autres ne s’y sont même pas risqués, tels Michel Rocard et Lionel Jospin, laissant à leurs successeurs le soin de toucher aux régimes de retraite. La recette miracle ? Elle n’existe pas. « Il est très difficile de définir des règles. Selon que vous traitez de la réforme du mode de prélèvement des cotisations sociales ou des questions de santé, les méthodes à appliquer ne sont pas les mêmes », analyse Dominique-Jean Chertier, ancien conseiller social de Jean-Pierre Raffarin à Matignon. Reste qu’il vaut mieux respecter quelques principes de base afin de limiter les dégâts.

Règle numéro 1

Convaincre l’opinion publique

À l’heure des nouvelles technologies et de la société de l’information, la tentation de la réforme en douce, ou en force, est à remiser aux oubliettes. « La réforme silencieuse, c’est fini. On est passé d’une démocratie représentative à une démocratie d’opinion. Les médias constituent une caisse de résonance considérable », explique Guy Groux, chercheur au Cevipof. « Il est indispensable que la population s’approprie le débat. Il faut pour cela interroger des experts qui ne sont pas tenus par des obligations tactiques », précise le consultant Bernard Brunhes. Pour avoir oublié cette règle élémentaire, Jean-Louis Borloo s’est pris, en juin, les pieds dans le tapis. Évoquer devant les caméras, sans aucun travail de pédagogie préalable, l’instauration d’une TVA sociale relevait de l’opération suicide. Cette préparation de l’opinion nécessite du temps. Et des talents de VRP. « En France, les politiques pensent qu’une bonne réforme est forcément sacrificielle, avec du sang et des larmes. Il faut au contraire savoir expliquer pourquoi la situation n’est pas satisfaisante et en quoi le projet l’améliorera », assène le cédétiste Jean-Marie Toulisse, qui a négocié la loi Fillon sur les retraites au printemps 2003. « Une réforme, ça se vend. En menant, d’abord, une campagne très forte sur les carences du système. Puis en montrant les avantages du changement », abonde Jean-Louis Giral, ex-président de la commission sociale du CNPF.

Règle numéro 2

Impliquer les partenaires sociaux

« Le pouvoir doit montrer qu’il n’est pas brutal, mais à l’écoute. Les Français sont demandeurs d’une méthode participative, dans laquelle la phase de discussion avec les partenaires sociaux n’est pas pipée », remarque Brice Teinturier, directeur général adjoint de TNS Sofres. Le parfait contre-exemple ? Le CPE. En choisissant d’ignorer les corps intermédiaires et de recourir au 49-3 pour écourter les débats dans l’Hémicycle, Dominique de Villepin a signé l’arrêt de mort de son projet. Et démontré, par l’absurde, la nécessité d’inscrire dans la loi la concertation des partenaires sociaux avant toute réforme relevant de leur champ d’attribution. Un principe qui n’a jamais coulé de source. « Il y a une vraie difficulté à reconnaître de façon continue ce qui relève légitimement du législateur et des partenaires sociaux », observe Jean-Paul Guillot, président de l’association Réalités du dialogue social. Depuis les 35 heures, les partisans du tout-État ont quand même du plomb dans l’aile. Même au sein du Parti socialiste, il ne se trouve plus guère de défenseurs de la méthode Aubry consistant à tout réglementer par la loi.

Règle numéro 3

Établir un diagnostic partagé

« L’État ne doit jamais se départir de la notion de calendrier raisonnable. Il ne peut pas demander aux partenaires sociaux de se déterminer en huit jours sur un sujet modifiant la vie des salariés pour les trente prochaines années. » Selon Jacques Dermagne, président du CES, toute négociation implique des travaux préparatoires. « Si vous aboutissez à un diagnostic partagé, vous avez fait 40 % du travail », abonde Jean-Marie Toulisse. Livre blanc, rapport Charpin, création du Conseil d’orientation des retraites… Sans cet énorme chantier de fond, démarré à la fin des années 80 sous le gouvernement Rocard, tout laisse à penser que la réforme des pensions des fonctionnaires de 2003 serait toujours dans les cartons. Pas besoin, sur tous les sujets, de laisser quinze ans aux esprits pour mûrir. Mais l’expérience montre que vouloir éluder la phase de diagnostic fait perdre du temps. Dernier exemple en date, les discussions sur la pénibilité. Inscrites dans la loi Fillon de 2003, ces négociations ont patiné durant trois ans, faute de préparation et de volonté commune d’aboutir. Résultat, Gérard Larcher a dû proposer aux partenaires sociaux, en début d’année, de mettre à leur disposition les services de l’État pour avancer dans le diagnostic, et sortir les négociations de l’ornière.

Règle numéro 4

Impulser et encadrer les négociations
Le passage en force ne paie pas. En recourant au 49-3, Dominique de Villepin a signé l’arrêt de mort du CPE, et démontré la nécessité d’en passer par la concertation avant toute loi

« Le gouvernement doit fixer en toute transparence les objectifs, la frontière entre ce qui est négociable et ce qui ne l’est pas, la date butoir pour aboutir. » Pour Nicolas Tenzer, directeur de la revue le Banquet, c’est à l’État de définir clairement les règles du jeu. Un point de vue partagé par Dominique-Jean Chertier : « La pire des choses, c’est la confusion des responsabilités. Il faut que l’État fixe les grands principes et renvoie à la négociation les modalités d’application, les détails. » Pas simple, alors que la légitimité des acteurs syndicaux pose plus que jamais question.

En la matière, deux négociations sensibles, vieilles d’une vingtaine d’années, méritent d’être scrutées à la loupe. La première portait, en 1986, sur la suppression de l’autorisation administrative de licenciement. Philippe Séguin, alors ministre de l’Emploi, avait procédé en deux étapes : une loi, votée en juillet, abrogeant au 1er janvier 1987 l’autorisation administrative, puis une invitation faite aux partenaires sociaux à négocier, d’ici là, de nouvelles procédures de licenciement, qu’il s’engageait à reprendre dans la loi. Promesse tenue. Deuxième exemple, les négociations sur le travail temporaire, en 1990. Sous la menace d’une loi anti-CDD et anti-intérim, le CNPF avait convaincu Michel Rocard de lui laisser la main pour négocier avec les syndicats. « On a revalorisé le statut des travailleurs temporaires contre le maintien d’une certaine souplesse », se souvient Jean-Louis Giral, grand artisan de l’accord. Un texte repris tel quel par les parlementaires. Et pour cause : une clause d’autodestruction prévoyait sa nullité en cas de modification de la moindre virgule…

Règle numéro 5

Garder l’initiative

A contrario, tout attendre des partenaires sociaux n’est pas la panacée. Inutile, notamment, d’espérer qu’ils prennent seuls l’initiative de réformer le modèle social. « Tant que les syndicats seront en situation de division et de concurrence, il y a quelque chose d’impossible à la négociation. On ne les voit jamais s’entendre sur un grand sujet autrement que pour s’y opposer », explique Bernard Brunhes. Depuis la négociation de 1970 sur la formation professionnelle, pas le moindre accord d’envergure à mettre intégralement à leur actif. Pas même celui voté à l’unanimité, à l’automne 2003, instaurant le DIF.

« L’euphorie du moment est retombée. Certains commencent à douter de la portée réelle du texte », observe Jean-Paul Guillot. Cette incapacité des partenaires sociaux à prendre leur autonomie n’étonne guère Marie-Laure Morin, chercheuse au CNRS et actuellement conseillère à la Cour de cassation. « En France, les relations professionnelles ont toujours fonctionné de fait sur un modèle de tripartisme implicite. Tout au long du XXe siècle, chaque fois que l’État s’est mis en retrait, il ne s’est rien passé », souligne-t-elle.

Règle numéro 6

Soigner le « service après-vente »

Si les partenaires sociaux respectent la feuille de route, et débouchent sur un accord majoritaire, le gouvernement a tout intérêt à s’en saisir. Et à l’endosser. Au risque, sinon, de délégitimer les signataires. À la CFDT, on garde un souvenir cuisant des négociations sur le Pare, en 2001, marquées par l’immixtion tardive de Martine Aubry dans le jeu. Mieux, il faut même veiller à conforter ceux qui prennent le stylo, en évitant les couacs de fin de négo. La même CFDT en sait quelque chose, qui a payé un lourd tribut en termes d’image et d’adhérents pour son soutien à la réforme Fillon. En cas d’échec des discussions, pas d’autre solution que de reprendre la main, quitte à intégrer des pans de l’accord inabouti dans la loi. « La démocratie reprend alors tous ses droits. Il est normal que le politique tranche », conclut Jacques Dermagne.

Grenelle, mythe tenace

Les idéaux de 1968 ne sont peut-être plus en odeur de sainteté. Mais la grand-messe tenue à l’époque au ministère du Travail a fait date. Pas une semaine sans qu’un leader syndical ou politique n’en appelle à l’organisation urgente d’un Grenelle de la santé, des salaires ou des services publics ! Ou, subtile variante, à la tenue d’une conférence, d’une convention ou d’états généraux. Et pourtant, de mémoire d’expert du social, aucun de ces grands raouts n’a jamais débouché sur rien.

« Mettre 40 personnes dans une salle, c’est l’assurance de ne pas discuter du fond. Tous se connaissent par cœur, et beaucoup mentent à la sortie devant les journalistes », assure Bernard Brunhes qui, en 2001, a participé au Grenelle de la santé. « L’intérêt, c’est ce qui se passe dans les coulisses, tempère Nicolas Tenzer. Ce qui suppose, au préalable, une préparation solide, avec de vrais échanges fondés sur une information partagée et la moins contestable possible. »

Parfaits exemples de grand-messes ratées : la conférence sur l’emploi et les revenus de Dominique de Villepin (décembre 2006) et celle de Lionel Jospin sur l’emploi et les salaires (octobre 1997). Mal préparés, dénués d’objectifs clairs et de méthode, ces rendez-vous ont fait pschit ! Instruits par d’innombrables précédents, les observateurs attendent donc avec scepticisme les trois conférences prévues pour la rentrée, qui cumulent les handicaps : thèmes larges (conditions de travail, égalité salariale entre hommes et femmes, salaires), sujets épineux, calendrier surchargé…

Auteur

  • Stéphane Béchaux