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Enquête

Les Français ne sont plus hostiles au changement

Enquête | publié le : 01.09.2007 | Stéphane Béchaux, Fanny Guinochet

En portant Nicolas Sarkozy au pouvoir, les Français ont dit non à l’immobilisme. Mais sans lui donner pour autant un blanc-seing. Soucieux d’équité, redoutant la précarité, ils restent très vigilants sur le contenu des mesures.

Du passé, faisons table rase ! » Si l’Internationale n’est pas encore entonnée en clôture des meetings de l’UMP, certains de ses refrains pourraient trouver leur place dans les rangs sarkozystes. En déclinant à l’infini le thème de la « rupture » pendant la campagne présidentielle, le nouvel hôte de l’Élysée avait parfaitement senti la soif de changement des Français. Et leur volonté d’en finir avec les vieilles lunes. « La droite s’est engagée dans une bataille idéologique qu’elle a gagnée. Elle a réussi à s’approprier des valeurs d’habitude incarnées par la gauche, comme la réforme ou le travail », décrypte Stéphane Sirot, historien à l’université de Cergy-Pontoise. En portant Nicolas Sarkozy au pouvoir, les électeurs ont donc choisi de sanctionner le conservatisme… du Parti socialiste ! « La gauche n’a pas su sortir de ses vieux discours, qui n’embrayent plus. Elle aurait dû proposer une vraie alternative au libéralisme, en s’inspirant du modèle nordique », admet la sociologue Dominique Méda, qui a participé à la campagne de Ségolène Royal.

Pour avoir une chance d’être approuvée par l’opinion, toute réforme doit être perçue comme nécessaire et équitable

Des syndicats garde-fous. Pourtant, à en croire Stéphane Rozès, directeur de CSA Opinion, « la société française ne s’est pas droitisée. Elle est plutôt de gauche sur le souhaitable, mais plutôt de droite sur le possible ». Jugée peu crédible, voire démago, avec ses propositions d’abrogation des lois Fillon sur les retraites ou d’augmentation du smic à 1 500 euros, la candidate socialiste a aussi perdu des voix en renvoyant à la négociation collective des questions épineuses telle la généralisation des 35 heures. « Dans l’opinion, s’appuyer sur les partenaires sociaux pour prendre les décisions n’est pas porteur de changement. Les syndicats sont perçus comme des remparts, des garde-fous, pas comme des acteurs de la réforme », souligne Brice Teinturier, directeur général adjoint de TNS Sofres. Entre les deux tours de la présidentielle, l’institut de sondage a sondé 4 000 électeurs. Verdict sans appel : Nicolas Sarkozy incarnait le changement pour 62 % des personnes interrogées, contre seulement 38 % pour Ségolène Royal.

De quoi donner des ailes au nouveau chef de l’État, qui martèle sur tous les tons qu’il entend bien mettre en musique l’intégralité de son programme. Sauf qu’en pratique la donne est plus compliquée. « Nicolas Sarkozy a été élu sur un projet, pas sur l’addition des mesures. Les Français n’ont pas plébiscité ses propositions de réforme prises une à une », prévient Stéphane Rozès. « Dans les urnes, les Français ont choisi une équipe. Mais ils ne lui ont pas donné quitus. Ils exigent maintenant d’être entendus avant toute décision publique. Sinon, ils rejetteront le projet sans même l’avoir étudié », confirme Jacques Dermagne, président du Conseil économique et social. Illustration parfaite : l’instauration d’une TVA sociale. Entre les deux tours des élections législatives, la majorité s’est pris une volée de bois vert pour avoir simplement évoqué, par la voix de Jean-Louis Borloo, cette éventualité. La mesure était pourtant inscrite noir sur blanc dans le programme du candidat de l’UMP…

Cette poussée d’adrénaline était cependant prévisible. Ni préparé ni vendu, le projet de TVA sociale a immédiatement été ressenti par les Français comme une menace pour leur porte-monnaie. Et non comme un moyen de favoriser l’économie hexagonale face aux importations. Or, pour avoir une quelconque chance de passer l’épreuve de l’opinion publique, tout projet de réforme se doit d’être perçu comme nécessaire, et surtout équitable. « Si une large fraction de salariés, notamment au bas de l’échelle, ne voit pas de contreparties positives aux efforts demandés, ça ne peut pas passer », prévient Nicolas Tenzer. « La question de l’équité d’une réforme est absolument centrale. En 2003, c’est cet argument qui a permis d’aligner la durée de cotisation retraite des fonctionnaires sur celle du privé. Pas l’argument financier », souligne Brice Teinturier. Inutile de chercher plus loin les raisons du rejet du CPE, perçu comme injuste à l’égard des jeunes générations.

Pas de chèque en blanc. Ce psychodrame ne doit pas pour autant occulter le désir de réformes. « Les Français n’ont pas donné carte blanche à Nicolas Sarkozy. Mais ils ont très clairement montré qu’ils étaient prêts à accepter le deal d’un changement audacieux pour peu qu’il y ait une direction et une méthode », assure Pierre Giacometti, directeur général d’Ipsos. C’est particulièrement vrai sur le service minimum. Nicolas Sarkozy a soufflé le chaud et le froid. Certes, il n’a eu de cesse de souligner l’inégalité entre « un petit nombre » et « les autres travailleurs pris en otage ». Mais, en privilégiant la négociation d’entreprise au sein d’une loi-cadre, il a laissé une chance au dialogue. « C’est la réforme la plus approuvée par l’opinion publique, de l’ordre de 80 % », confirme Pierre Giacometti. « On n’a jamais été aussi proche de son instauration. La CGT, le syndicat le plus rétif, peine à s’y opposer frontalement au niveau confédéral, de peur de ne pas être en phase avec l’opinion », note Stéphane Sirot. De fait, les centrales ont préféré concentrer leurs revendications sur un principe perçu comme intangible et historiquement fort : le droit de grève.

Le ressentiment né d’une France partagée entre une poignée de privilégiés et une flopée de mal-lotis reste particulièrement acerbe. En ligne de mire, les retraites des employés de la SNCF, d’EDF et de la RATP. Pour l’opinion, le retour de leur régime dans le droit commun a valeur de symbole. « Les salariés et les syndicats vont avoir du mal à s’y opposer. Leur discours ne passe plus depuis que les fonctionnaires sont passés à quarante ans de cotisation », analyse Stéphane Sirot. Même volonté des Français d’en finir avec ceux qui abuseraient de la solidarité. « Il s’est développé une méfiance généralisée. On entend de plus en plus que le chômage est de la responsabilité individuelle de ceux qui refusent de travailler », remarque Dominique Méda. Dans ce contexte, la réforme de l’assurance chômage, avec un renforcement des obligations des demandeurs d’emploi, a tout lieu de faire florès.

Encore plus sensible, la question du contrat de travail renvoie à une peur farouche du chômage, partagée par l’ensemble de la population, des cadres aux employés, des jeunes aux seniors. « Les Français ne soutiendront pas l’assouplissement du licenciement tant qu’ils n’auront pas la garantie de ne pas se retrouver sur la case départ à 43 ans. La pédagogie reste insuffisante », analyse Jacques Dermagne. « Je ne pense pas que l’opinion soit mûre. Elle a vécu et continue à vivre cette problématique de façon réactive et très négative », confirme Dominique-Jean Chertier, longtemps directeur général de l’Unedic. Cette extrême sensibilité des Français risque de freiner le projet d’unification du contrat de travail. « Pour le mettre en place, le gouvernement a besoin d’un climat apaisé. Sinon, l’angoisse majeure de la précarité révélée par le CPE réapparaîtra », diagnostique Pierre Giacometti. Des inquiétudes qui pourraient déclencher des réactions violentes.

50 %

des Français jugent qu’il faut réformer la société radicalement ou en profondeur,

34 %

qu’il faut l’aménager sans toucher à l’essentiel

Source : TNS Sofres, mars 2007.

Auteur

  • Stéphane Béchaux, Fanny Guinochet