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“Le syndicalisme français est devenu l’affaire de professionnels”

Actu | Entretien | publié le : 01.09.2007 | Stéphane Béchaux, Fanny Guinochet

Coauteur d’une enquête pour le ministère du Travail sur les effectifs syndicaux, ce chercheur en science politique dresse un état des lieux accablant.

Vous venez d’achever une large enquête sur l’évolution des syndiqués français entre 1990 et 2006. Le syndicalisme français a-t-il repris des couleurs ?

Non. Depuis une quinzaine d’années, la syndicalisation est en recul dans pratiquement tous les secteurs. Seule la fonction publique territoriale connaît un léger progrès en termes d’effectifs. Les bastions traditionnels, eux, s’effondrent. À La Poste, dans l’énergie, chez les cheminots ou bien à l’Éducation nationale, le taux de syndicalisation a diminué de moitié, passant de 30 % à 15 %. Globalement, le syndicalisme s’est réduit à une affaire de militants professionnels, d’élus sans troupes. Sur le terrain, on ne voit plus guère de vie militante ou de réunions de section. La France a atteint un plancher de syndicalisation, autour de 6 à 7 %.

Les confédérations affirment pourtant gagner des adhérents…

Quand on retravaille les données officielles des centrales et qu’on les recoupe avec des enquêtes de terrain, on aboutit à des résultats beaucoup moins flatteurs. Cette surévaluation découle notamment du calcul des adhérents à partir du volume des cotisations mensuelles. À la CFE-CGC, six cotisations font un adhérent. À la CFDT, c’est huit. Or le prélèvement automatique mensuel des cotisations, quasi généralisé, oblige à compter un adhérent pour 12 timbres – ou plutôt 11,5 en tenant compte du turnover. D’après nos estimations, la CGT compte aujourd’hui 530 000 adhérents, la CFDT 450 000, la CGT-FO 300 000, l’Unsa 130 000, la CFTC 100 000 et la CFE-CGC 80 000. Ces chiffres sont probablement généreux.

Les organisations syndicales parviennent-elles à renouveler leurs troupes ?

Les arrivées ne compensent pas les départs, massifs, dus notamment au papy-boom. Certaines structures, telles l’Union départementale CGT du Nord ou la CGT Commerce, font de gros efforts pour recruter de nouveaux adhérents. Mais les résultats sont dérisoires au regard de l’énergie déployée. Dans le commerce, la syndicalisation ne dépasse toujours pas 2 %, toutes organisations confondues ! Les confédérations ont beau marteler leur attachement à un syndicalisme d’adhésion, ça n’est qu’un mot d’ordre, pas une réalité. Sur le terrain, les militants sont peu motivés à l’idée de faire du recrutement. Ils ne considèrent pas le développement comme une tâche noble, et ils ont tant à faire ailleurs…

Comment expliquez-vous cette désaffection ?

L’image des syndicats n’est pas en cause. Plus de la moitié des salariés les jugent positivement, ce qui n’est pas si mal. En revanche, les travailleurs ne comprennent rien à leurs divisions. C’est particulièrement vrai des jeunes qui, demandeurs d’un syndicalisme unifié, ne veulent pas choisir un camp. Par ailleurs, il existe des décalages entre les générations. Les militants, plutôt âgés, cherchent à recruter des jeunes avec des convictions fortes. Mais, chez ces derniers, c’est le pragmatisme qui l’emporte. Ils veulent des assurances, des renseignements précis, des réponses claires à des difficultés concrètes, des résultats. D’où une certaine incompréhension.

Les syndicats réussissent-ils à attirer le personnel d’encadrement ?

Ceux qui pensent qu’il y a de plus en plus de cadres qui s’engagent dans le syndicalisme se font des illusions. Les effectifs de la CFE-CGC stagnent. Et la CGT connaît plutôt une légère reprolétarisation de sa base. Il n’y a guère que la CFDT qui se soit un peu renforcée dans l’encadrement. Mais elle recrute des cadres moyens de la fonction publique ou des professions intermédiaires du privé, pas des managers ou des cadres sup. D’ailleurs, le rééquilibrage des confédérations au bénéfice du privé ne s’explique pas par un quelconque développement dans ce secteur. C’est l’effondrement du syndicalisme dans le public qui en est la cause.

Quelle est, en définitive, la représentativité réelle des syndicats français ?

Pour représenter les salariés, il faut être sur le terrain, à leur contact dans les entreprises. Or, dans la plupart des syndicats, vous n’avez plus que des permanents, plus ou moins déconnectés des réalités professionnelles, qui cumulent les mandats. Résultat, un certain nombre ne sont plus représentatifs que d’eux-mêmes. Le syndicalisme à la française est devenu un syndicalisme institutionnel de professionnels.

DOMINIQUE ANDOLFATTO

Maître de conférences en science politique à l’université de Nancy II.

TRAVAUX

Auteur de nombreux ouvrages sur le syndicalisme, il a mené l’an dernier, pour le compte de la Dares, une enquête sur la syndicalisation en France entre 1990 et 2006. Son rapport, corédigé avec Dominique Labbé et actualisé au printemps dernier, n’a pas été rendu public.

Auteur

  • Stéphane Béchaux, Fanny Guinochet