logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Vie des entreprises

La fête au bureau, antidote au stress du boulot

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.06.2007 | Marie-Pierre Noguès-Ledru

Repas, week-ends sportifs, clubs de théâtre… Des entreprises misent sur la convivialité pour apaiser les tensions et renouer avec la motivation. Avec le risque de tomber dans le gadget ou le piège de l'affectif.

La DRH nous avait donné rendez-vous au petit matin gare du Nord, sans plus de précisions, se souvient encore Madeleine. Mal réveillés, nous avons découvert que nous partions pour la journée à Londres avec l'Eurostar. » C'était en décembre 1994, mais Madeleine se rappelle avec émotion cette journée organisée par les éditions Taitbout. « En fin de journée, on a été conduit chez Harrods, où nous avons pu dépenser les 50 livres que la direction nous avait distribuées pour nos emplettes de Noël. Nous étions franchement bluffés ! » raconte la jeune femme. Au fil des ans, les 80 heureux salariés de cette société ont couru le marathon de New York, sauté en parachute ou descendu la vallée Blanche à ski. Et certains ont eu droit à une croisière en Méditerranée, pour fêter un gros appel d'offres. Madeleine, qui a quitté l'entreprise, en garde une grande nostalgie. « Certains collègues sont devenus des amis, indique-t-elle. Ces événements exceptionnels que nous avons vécus ensemble ont contribué à renforcer nos liens. » Madeleine décrit la société comme un paradis perdu… Opinion qu'elle ne partageait pas à l'époque : « Nous étions contents de profiter de toutes ces opportunités mais cela ne nous empêchait pas d'être très critiques à l'égard de l'entreprise. »

Sur les planches chez Dassault. Paradoxe : alors que salariés, syndicalistes, médecins du travail et autres sociologues dénoncent un durcissement des relations de travail et une montée en puissance du stress, les efforts pour resserrer les liens en interne et créer de la convivialité se multiplient. Dassault a monté une comédie musicale avec ses salariés ; CSC, le groupe de conseil en informatique RH, a institué « le pot du vendredi soir » ; le Lyonnais continue de remporter un franc succès avec la Gobette, sa grande fête annuelle déclinée dans toute la France… Les salariés hexagonaux, longtemps hostiles aux fêtes d'entreprise et autres manifestations de convivialité prisées des Anglo-Saxons, sont-ils en train de virer leur cuti ?

« J'ai abandonné l'idée que nos initiatives suscitent l'unanimité, avoue, philosophe, Stéphanie Gorre-Matillon, responsable de la communication interne de Bayer CropScience (1 800 salariés). Il y a toujours 20 % de râleurs, 20 % de salariés motivés… et le reste au milieu ! » s'amuse-t-elle. Ce qui ne l'empêche pas de se donner beaucoup de mal pour organiser de « petites choses ». Lors d'un mois de décembre tendu pour l'activité, Stéphanie Gorre-Matillon a lancé un concours du plus beau sapin de Noël. « J'ai été surprise de voir comment certains se sont pris au jeu, raconte-t-elle. L'un des services avait décoré son arbre avec des photos de tous les salariés enfants. Cette opération, c'est un peu une échappatoire à la pression. »

Point de vue partagé par Évelyne Lamidey, directrice de la communication du groupe de conseil RH BPI : « La convivialité est dans les gènes de la société. Elle demeure – et nous y contribuons –, malgré le développement du cabinet, soumis à une pression croissante des clients et à un rythme de travail plus soutenu. C'est une façon de reconnaître qu'il y a des moments où il faut se lâcher et partager autre chose que du stress. »

Gare au gadget décoratif ! De fait, de plus en plus d'entreprises voient dans la convivialité un outil de management nécessaire pour compenser la pression croissante en interne. « Les salariés sont preneurs de moments plus chaleureux. L'entreprise est devenue triste, elle ne donne plus envie, constate Jean-Marc Le Gall, directeur des études à Entreprise & Personnel. Mais cela n'est possible que si le management est perçu comme correct et non manipulateur. Sinon, c'est du gadget décoratif. » Et de citer la réussite de la « Coupe du monde » de football organisée par Danone entre ses filiales de tous les pays, avec phases éliminatoires et finale au Portugal. « Les salariés se sont amusés. Mais la convivialité ne peut se décréter d'en haut, poursuit Jean-Marc Le Gall. Elle passe par le management et par le recrutement. Vérifier si une nouvelle recrue sera solidaire de l'équipe est essentiel. »

Moins de temps gratuit. Sylvain Breuzard renchérit : « L'entreprise perd de la relation humaine. Il faut tout traiter en temps réel. On a moins de temps disponible à passer “gratuitement” avec ses collègues. Partout, la multiplication des fusions déstabilise les salariés. Où vais-je ? Pourquoi je travaille ? Voilà les questions que tous se posent. » Sylvain Breuzard n'est ni syndicaliste ni sociologue mais P-DG de Norsys, une SSII lilloise de 170 salariés. « La perte de sens dans sa vie professionnelle entraîne une perte de motivation induisant une baisse de la performance », poursuit l'ancien président du CJD. Il a fait de la convivialité une valeur centrale de Norsys. Un signe ? La « place publique », 80 mètres carrés au cœur de l'entreprise, est le centre névralgique de la SSII, accueillant conférences, manifestations et fêtes en tout genre.

Une philosophie partagée par certaines entreprises du CAC 40 qui comprennent que l'épanouissement personnel des salariés contribue à la réussite de l'entreprise. Axa France a organisé dans ses entités une remontée des bonnes pratiques, dont cinq ont été désignées comme priorités nationales. Parmi elles : reconnaître et favoriser les talents personnels des collaborateurs. « Il existe beaucoup d'initiatives éparses où les collaborateurs expriment leurs talents artistiques dans l'entreprise : chorales, concerts, expositions..., explique Emmanuel Frizon de Lamotte, coordinateur du projet Gagner la préférence. Notre objectif est de fédérer et de soutenir ces actions. Cela participe au décloisonnement de la société. Quand les gens apprennent à se connaître, ils travaillent mieux ensemble. »

Au cœur de la SSII Norsys, la “place publique” accueille manifestations et fêtes en tout genre

Chez Saint-Gobain, la directrice de la communication interne, Valérie Perruchot-Garcia, croit aussi que le bien-être au travail passe par les échanges et le décloisonnement de cet immense siège de béton et de verre, à la Défense. Et elle multiplie les initiatives dans ce sens. L'une d'elles, les Talents (expositions et spectacles organisés par les salariés), a pris d'emblée. « Nous avons eu 25 exposants, et un club de théâtre s'est monté qui produit une pièce chaque année. Mine de rien, cela fait bouger les mentalités et fédère les salariés, affirme-t-elle. Cela donne aussi une fierté d'appartenir à une entreprise dans laquelle les salariés osent s'exprimer, sans peur du jugement des collègues. » Chez Manutan International, Sophie Leprettre, responsable de la communication, résume le credo du P-DG, Jean-Pierre Guichard de la façon suivante : « Venir travailler, ce n'est pas seulement venir gagner sa vie, mais aussi rencontrer des gens et se faire plaisir. »

Les salariés apprécient la convivialité mais en voient aussi les limites. « Le risque est une utilisation abusive de l'esprit convivial par la hiérarchie, note une consultante de BPI. « On t'aime bien, on compte sur toi, tu ne peux pas nous laisser tomber sur ce dossier ! Voilà ce qu'on entend parfois. » Un salarié de Manutan pointe aussi le danger de l'affectif dans l'entreprise. « Le cadre de travail est humain. Les rapports se font de personne à personne plus que de responsable à responsable. Ce qui a des avantages : on peut nouer de bonnes relations avec ses collègues et travailler dans une ambiance détendue. Et des inconvénients : une remarque d'ordre professionnel à un collaborateur sera vite prise de façon personnelle. Et que dire quand il faut se séparer d'un salarié ? Difficile de licencier quelqu'un avec qui l'on a partagé moult déjeuners et week-ends… »

Pour autant, c'est un problème inhérent au management, résume Jean-Marc Le Gall. « Les managers peu sûrs d'eux maintiennent une certaine distance afin de pouvoir recadrer leurs collaborateurs. Les bons managers savent à la fois favoriser la convivialité et diriger leurs équipes. »

La convivialité une fois par an

On connaissait déjà J'aime ma boîte, la manifestation lancée par Sophie de Menthon, P-DG de Multilignes, voici le Printemps de la convivialité, initié par Philippe Détrie, fondateur du cabinet de conseil Inergie, sur le modèle de l'opération Immeubles en fête qui invite les voisins, une fois par an, à se réunir pour favoriser rencontres et dialogue. Son projet : inciter les entreprises à organiser, le 21 mars, jour du printemps, une action conviviale. Petit déjeuner ou déjeuner, pot, fête, loterie, activité ludique ou sportive : toute initiative est bienvenue si elle favorise des relations plus humaines entre collègues. « On ne mesure pas assez combien la convivialité dans l'entreprise entraîne l'efficacité collective et le mieux-être individuel, explique Philippe Détrie. C'est pour diffuser cette conviction que j'ai créé, avec neuf entreprises qui partagent mon point de vue, le Printemps de la convivialité. »

À côté de cette journée est créé un prix de l'Action conviviale, décerné chaque année à l'entreprise qui aura organisé l'événement le plus original. Premier lauréat du prix : l'Onera, un centre français de recherche aérospatiale, récompensé pour ses réunions de salariés utilisant des techniques créatives et clôturées par un pique-nique où chaque participant apporte une réalisation maison… créative, bien sûr !

Auteur

  • Marie-Pierre Noguès-Ledru