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Vie des entreprises

Comment PSA et Renault mettent leurs salariés sous pression

Vie des entreprises | Match | publié le : 01.06.2007 | Fanny Guinochet

Pour renouer avec une rentabilité en berne, les deux constructeurs s'imposent un régime sec à base de réduction des coûts, d'externalisation et de réorganisation.

Attachez vos ceintures : les plans de redressement sont en route dans l'automobile. Peugeot Citroën vient d'annoncer la suppression de 4 800 postes en 2007. Après avoir réduit le recours à l'intérim et aux CDD, le tout nouveau P-DG du groupe, Christian Streiff, lance son plan d'action baptisé Cap 2010. Cette fois, les cols blancs sont visés. Une mesure de restriction déjà précédée d'un vaste plan de restructuration : en 2006, PSA s'est séparé de plus de 7 000 de ses collaborateurs, notamment en fermant l'usine de Ryton, en Angleterre. « On est loin des 10 000 embauches que le groupe a connues entre 2000 et 2005. Le groupe doit produire plus vite et moins cher. Une équation difficile dans un marché européen qui ne progresse pas », prévient Richard Verglas, consultant chez Say Partners.

Ce casse-tête, Carlos Ghosn le connaît par cœur. Arrivé en mai 2005 à la tête de Renault, le redresseur de Nissan a administré sa cure d'austérité en février 2006. L'objectif de son « contrat 2009 » ? Faire de Renault le constructeur automobile le plus rentable d'Europe et atteindre d'ici à 2009 une marge opérationnelle de 6 %. En 2006, Renault n'a pas sorti un seul nouveau modèle et ses ventes ont chuté de 135 000 véhicules. En France, les usines tournent au ralenti, comme à Sandouville, où les ouvriers ont chômé une soixantaine de jours en 2006, soit des baisses de salaire allant jusqu'à 300 euros mensuels. Cet été, à Flins, pour s'adapter à la décrue, l'équipe de nuit sera supprimée. Mais PSA ne fait guère mieux. Voici plusieurs années que l'entreprise familiale connaît elle aussi une baisse de sa rentabilité. « Le gre esoupt géré pour fabriquer 4 millions de voitures, et nous stagnons à 3,4. Nos structures sont trop lourdes par rapport à nos ventes », explique Jean-Luc Vergne, le DRH.

Le dialogue social ne rassure pas. Dans ce climat tendu, les constructeurs verrouillent la communication. « Fini le laboratoire social que représentait l'automobile naguère. Le dialogue social ne suffit pas à calmer l'inquiétude », assure Hubert Landier, expert en relations sociales. PSA a beau avoir signé 56 accords depuis 2000 sur la diversité, la responsabilité sociale mondiale ou les salaires… en avril, c'est par des fuites dans la presse que la plupart des syndicalistes ont appris les suppressions de postes à venir. Pas de plan social couperet mais des départs au fil de l'eau. « Nous craignons pourtant la suppression de milliers d'emplois. Rien ne justifie ces coupes dans les effectifs. PSA s'apprête à verser 317 millions d'euros de dividendes à ses actionnaires », dénonce Bruno Lemerle, délégué CGT de PSA à Sochaux. Chez Renault, les salariés sont aussi sur leurs gardes. « Les contre-performances de la filiale Nissan et le scepticisme que le patron autrefois adulé suscite au Japon ne rassurent pas », confie un cadre de Flins. L'heure est aux économies. Le coût élevé de la main-d'œuvre française a du mal à résister. Renault a préféré la Slovénie pour produire sa nouvelle Twingo, alors que la version sortante était assemblée à Flins.

Guerre aux frais généraux. La marque au losange s'attaque également aux frais généraux : l'objectif est de passer de 5,2 % du chiffre d'affaires en 2006 à 4 % en 2009. Restrictions sur les billets d'avion, baisse des notes de frais… « Un effort est mené pour recentrer les budgets formation en 2007. Nous redéployons les actions sur 2008 et 2009, années qui promettent d'être plus fastes », justifient les ressources humaines. « L'effort n'est pas le même partout, le groupe investit dans la formation en Europe de l'Est, là où est produite la Logan », tranche un salarié.

Lancée par l'ancien P-DG Louis Schweitzer, la politique d'externalisation est renforcée. Les services généraux et les tâches d'accueil sont confiés à des entreprises annexes. Même credo chez PSA où la direction dit « réfléchir à l'approfondissement des partenariats existants pour baisser les frais fixes ». Et, pour dégonfler la note, Christian Streiff parie sur la mutualisation entre les deux marques. Car, dans les bureaux, « les salariés se considèrent encore comme concurrents. Pour les mêmes projets, il faut souvent maintenir un Monsieur Peugeot et un Monsieur Citroën, sinon ça ne fonctionne pas », constate Stéphane Andrieux, consultant informatique qui a passé près de deux ans au siège de PSA.

Les salariés n'en sont toutefois pas encore à devoir partager leurs bureaux, comme le font depuis juillet 2006 ceux de Renault à Boulogne. « Sur 20 000 postes de travail de la région parisienne, environ 40 % sont inoccupés du fait des déplacements, des RTT… Sachant que chaque bureau coûte 10 000 euros par an, c'est une marge de 20 millions d'euros qui peut être économisée », note un porte-parole de Renault.

Afin d'améliorer le fonctionnement de Renault, Carlos Ghosn a instauré dès juillet 2005 des équipes transversales. Onze équipes de choc composées d'une vingtaine de hauts potentiels et rapportant directement à Carlos Ghosn réfléchissent à la « maîtrise de la complexité produits » ou à la « qualité du management »… À eux de localiser les gisements de productivité, mais aussi de relever les problèmes. « Des mouchards aux postes clés », critique un salarié. « Nous voulions que ces équipes jouent les poils à gratter, qu'elles challengent la structure », assure un membre du comité exécutif. Délégué syndical central de la CFDT, Fred Dijoux regrette « que les conclusions de ces équipes soient devenues parole d'évangile et qu'elles laissent peu de place à la négociation ».

Il n'empêche, Christian Streiff a jugé la méthode de son concurrent suffisamment efficace pour s'en inspirer. À peine arrivé, le P-DG a créé 10 groupes de travail dont le rôle est d'auditer. Au total, une centaine de personnes planchent sur des pistes pour réorganiser l'entreprise. Attendues, leurs conclusions devraient fournir l'ossature de Cap 2010. En attendant, Christian Streiff a déjà chamboulé l'état-major. Afin d'accélérer la prise de décisions, il a concentré les responsables dans un nouveau directoire réduit à cinq membres. Quant à Carlos Ghosn, il a repris une organisation déjà existante chez PSA, en donnant aux membres du conseil exécutif, en plus de leur tâche, un rôle opérationnel dans une zone géographique. Ces top managements allégés mais plus réactifs viennent compléter les fonctionnements transversaux que les deux constructeurs avaient mis en place au début des années 90.

Objectifs chiffrés. « Le culte du profit à tout prix est un choc pour ceux habitués à l'époque où l'entreprise était adossée à l'État », confie un directeur de Renault. La pression ressentie par les managers se répercute en cascade. Si la charge de travail est patente et la compression des délais souvent incriminée, les salariés fustigent l'individualisation des tâches. « D'un côté on nous demande de nous impliquer dans le contrat 2009, de l'autre l'ambiance se déshumanise. Tout passe par des objectifs froids, calibrés, chiffrés », assure un membre de l'association des actionnaires salariés de Renault. Cette année, les cadres se sont vu assigner individuellement quatre ou cinq objectifs chiffrés, les KPI (key performance indicators). Selon la direction, cette nouvelle méthode de cotation vise à une meilleure équité. Pour ce cadre du technocentre, « cela renforce surtout la scission que vit Renault avec les opérationnels qui ne craignent pas grand-chose et, de l'autre, l'ingénierie, pour qui c'est toujours plus ! ».

Chez PSA l'engagement quantifié domine aussi les entretiens individuels. Un catalogue de 160 références est affiché dans toutes les usines. « Toute personne sait précisément les points qu'elle doit améliorer pour être promue », souligne Jacques Pompanon, directeur du développement des RH. L'harmonisation concerne aussi les primes de poste. Chez Renault, nouveauté, celles-ci sont indexées sur la marge opérationnelle. « Ouf ! cette année, l'objectif a été atteint de justesse. Mais qu'en sera-t-il en 2007 ? » s'interroge Jean-Paul Remy, secrétaire CFE-CGC du CE de Cléon.

La paie, nerf de la guerre. Dans les deux groupes, la feuille de paie reste le nerf de la guerre. En témoigne les six semaines de grève à l'usine d'Aulnay-sous-Bois de PSA en mars dernier, dont les revendications comprenaient une augmentation de 300 euros et un salaire à l'embauche de 1 525 euros net. En réponse, Jean-Luc Vergne, le DRH, se targue d'assurer « des contrats à l'embauche (sans qualification) à 1 300 euros net, primes et treizième mois compris, hors intéressement et participation ». Un accord annuel signé en février prévoit une augmentation générale de 1,6 %, avec un effort sur les bas salaires. Renault se place à un niveau de rémunération similaire. « Les plus bas salaires se situent à 1 648 euros brut, primes incluses », assure la direction. Quoi qu'il arrive, une chose semble intacte : la fidélité à la marque. Arborant un pin's à l'effigie du losange, un cadre confie : « J'en bave, mais à quoi bon en parler dans la presse si ce n'est au risque de faire chuter l'action ? Renault doit rester une référence. » En France, dans les deux groupes, le turnover ne dépasse pas 1 %. De quoi faire rêver n'importe quel DRH. Cet attachement résistera-t-il aux cures de minceur ? Rien n'est moins sûr.

PSA

Chiffre d'affaires : 56,6 milliards d'euros

Salariés : 211 700 dont 80 000 en France

Véhicules vendus : 3,36 millions (chiffres 2006)

Renault

Chiffre d'affaires : 41,5 milliards d'euros

Salariés : 128 893 dont 70 000 en France

Véhicules vendus : 2,4 millions (chiffres 2006)

Trop de pression

Trois suicides en quatre mois chez Renault, deux chez PSA. Quel malaise envahit donc les constructeurs ? En cause : la course à la productivité, la pression sur les résultats, la multiplication des objectifs parfois contradictoires… « Aujourd'hui, on est plus sous pression chez les ingénieurs, techniciens et designers que sur les lignes de fabrication », affirme un directeur chez Renault, peu étonné que les drames aient tous eu lieu au technocentre, baptisé « la ruche ». « C'est là que sont conçus la plupart des modèles : six par an, c'est le double de ce qui était requis auparavant. »

Déléguée nationale CFE-CGC à PSA, Anne Valleron déplore que « le mode de travail par plates-formes des années 90 ait beaucoup augmenté le stress ». Pour ramener la quiétude, les constructeurs misent sur le management. « Du temps va être donné aux responsables pour écouter leurs équipes. Leur charge de travail sera allégée grâce à des embauches », assure le DRH de Renault, Gérard Leclercq. La cellule chargée de la planification sera renforcée. En avril, un second directeur « chargé de la gestion de la vie sur le site » est arrivé. Le 7 mai, le premier suicide a été reconnu comme accident du travail par la Cpam des Hauts-de-Seine. Chez PSA, la direction se dit « préoccupée » et devrait lancer des mesures concrètes.

Auteur

  • Fanny Guinochet