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Vie des entreprises

À propos de la faute grave

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.06.2007 | Jean-Emmanuel Ray

On le sait, la faute grave rend impossible le maintien du salarié pendant son préavis. Et elle le prive d'indemnité de licenciement. Une double peine qui incite la Cour de cassation à être particulièrement vigilante. L'importance supposée de la faute interdit par exemple une mise en œuvre trop tardive de la procédure, vient notamment de rappeler la chambre sociale.

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise pendant l'exécution du préavis. » Ne devant pas être confondue avec la faute d'une gravité suffisante qui permet à l'inspecteur du travail d'autoriser le licenciement d'un représentant du personnel, la faute grave est logiquement privative du préavis mais, plus curieusement, aussi de l'indemnité de licenciement et de celle de clientèle pour les VRP. Double effet pervers. Faisant gagner de l'argent à l'employeur, elle incite certains d'entre eux à monter la sanction d'un cran, tout en étant prêts, s'ils sont assignés, à se montrer bons princes devant le bureau de conciliation en versant les indemnités de rupture.

L'effet devenant parfois le but, elle permet aussi une éviction quasi immédiate du fautif si elle est accompagnée d'une mise à pied conservatoire.

MESURES CONSERVATOIRES AVANT LE LICENCIEMENT

L'employeur ne peut sans risque judiciaire laisser un salarié gravement fautif travailler une semaine ou deux, le temps d'effectuer la procédure, pour ensuite le mettre à la porte dans la journée.

Statuant sur un responsable de paie s'étant octroyé des primes non prévues, l'arrêt du 31 janvier 2007 a, certes, confirmé que l'absence de mise à pied conservatoire n'interdisait pas à l'employeur d'invoquer ensuite une faute grave. Mais il a aussi rappelé que la procédure disciplinaire devait être initiée « dans un délai restreint après la connaissance des faits fautifs ». Il va de soi que le délai déjà maximal de deux mois de l'article 122-44 est ici manifestement excessif, sauf si les faits font l'objet de poursuites pénales : ce délai est alors suspendu dans l'attente du jugement répressif (Cass. soc., 26 avril 2007).

Et en cas de harcèlement sexuel qui, s'il est avéré, constitue automatiquement une faute grave pour la chambre sociale ? Un tel comportement exige de l'employeur une réaction rapide, mais non expéditive, comme l'y invite l'accord-cadre européen contre le harcèlement du 26 avril 2007 indiquant que les fausses accusations devront être sanctionnées : évidente nécessité d'une enquête approfondie visant à débusquer les règlements de comptes professionnels ou sentimentaux, voire l'extorsion de fonds. Mais que faire des protagonistes pendant cette indispensable enquête interne ? Soupçonné d'un tel délit à l'égard d'une collègue, un cadre avait été, dans l'attente du jugement pénal, muté dans un autre service. Licencié pour faute grave une fois condamné par le tribunal correctionnel, il contestait son licenciement en application de la règle non bis in idem. Où est le problème ? lui a répondu la Cour de cassation le 20 décembre 2006 : ce changement d'affectation constituait une mesure provisoire, prise dans l'attente de la décision pénale : elle n'interdisait donc pas une sanction ultérieure.

MESURES ALTERNATIVES AU LICENCIEMENT

Certains employeurs attentifs à la vie de leurs collaborateurs, bref, soucieux de vraie RSE, ne veulent pas mettre au chômage avec une telle casserole des salariés – surtout anciens – ayant commis de graves dérapages souvent dus à de graves événements dans leur vie privée. Mais, en droit social, faut-il être social ? Le directeur financier manifestement très créatif d'une filiale refuse la proposition patronale d'être simplement remis à disposition de la maison mère : il est licencié pour faute lourde et proteste contre cette sévérité excessive. Puisqu'on avait d'abord voulu le garder dans le groupe, les mêmes faits ne pouvaient ensuite fonder un licenciement, a fortiori privatif du préavis. La chambre sociale a essayé, le 31 janvier 2007, de ne pas décourager les entreprises vraiment sociales : « L'employeur qui soumet à l'accord du salarié dont il juge le comportement fautif une proposition alternative au licenciement conserve, en cas de refus, la possibilité de se prévaloir de ce comportement fautif s'il décide de le licencier. » Il en va de même en cas de rétrogradation disciplinaire refusée : « Lorsque le salarié refuse une mesure de rétrogradation, l'employeur peut le licencier », y compris pour faute grave, comme dans l'espèce du 27 mars 2007, mais il doit le convoquer à un nouvel entretien, « le délai d'un mois maximal prévu par l'article L. 122-41 courant après le second entretien ».

FAUTE GRAVE ET ÉVICTION IMMÉDIATE

Dans de nombreux cas, et au-delà des transactions à vocation fiscale ou autre (cf. suppression de la cotisation Delalande au 1er janvier 2008), l'imputation de faute grave ne convainc personne. Mais tout le monde comprend aussi que cela permet d'éviter d'avoir à se poser la question de l'exécution du préavis. Ainsi, en cas de refus d'un simple changement des conditions de travail (ex : mutation d'Orly à la Défense), pourquoi les entreprises l'invoquaient systématiquement avant que la chambre sociale ne réagisse en indiquant qu'on ne pouvait littéralement traiter « comme une voleuse » une mère de famille ayant refusé trois heures de transport en plus par jour ? Pour ne pas avoir à lui proposer d'effectuer ses deux mois de préavis là où, justement, elle a refusé d'aller.

Comment ne pas se trouver confronté à pareille situation ? Une méthode sociale consiste évidemment à la licencier pour simple cause réelle et sérieuse, avec dispense d'effectuer son préavis. Mais ce choix coûteux est aussi risqué si l'on en juge par l'arrêt du 6 mars 2007. Licencié pour usage abusif d'Internet, un technicien reproche à son employeur « ce comportement brutal, dans des circonstances vexatoires susceptibles de lui porter préjudice ». La chambre sociale répond que « la gravité de la faute et le risque de réitération ne permettaient pas à l'employeur de maintenir sur les lieux l'intéressé » et rejette sa demande de dommages et intérêts : ouf !

Seconde méthode, plus pernicieuse : attendre que le salarié refuse d'exécuter son préavis dans ces conditions, pour constater qu'il ne lui sera pas payé. Insatisfaisant dans les deux cas.

Pas même motif, mais même logique d'éviction rapide dans les affaires touchant à la santé ou à la sécurité : il est des risques qu'il ne faut pas courir. Ainsi de l'alcoolisme mettant en cause des chauffeurs ou des machinistes. Même si ce comportement est intervenu en dehors de l'entreprise, il paraît impensable de faire effectuer deux ou trois mois de préavis au chauffeur d'un 35 tonnes ayant été contrôlé le dimanche à 2 grammes au volant de sa propre voiture. Si, évidemment, l'imputation d'une faute fait un peu désordre s'agissant du comportement du citoyen et non du salarié subordonné, viser le trouble objectif et la faute grave permet une éviction immédiate et peut-être deux morts et trois blessés de moins sur l'A5.

Si la chambre sociale a créé une obligation de sécurité de résultat à l'égard du chef d'entreprise, elle a, dans le même temps, cherché à lui permettre de la faire respecter : la faute grave est ici omniprésente.

Ainsi d'un responsable de chantier pourtant non délégataire : « Selon l'article L. 230-3 du Code du travail, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé ainsi que de celles des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail. Dès lors, alors même qu'il n'aurait pas reçu de délégation de pouvoir, il répond des fautes qu'il a commises dans l'exécution de son contrat de travail. » (Cass. soc., 30 septembre 2005.)

L'employeur est ainsi invité à réagir rapidement en cas de harcèlement moral ou sexuel. Ainsi, s'agissant de l'absence de réaction de l'employeur en présence de harcèlement moral d'une employée d'un service après-vente de la part d'une collègue : « Sans avoir à rechercher la preuve d'un manquement fautif à ses obligations de la part d'un employeur tenu à une obligation de sécurité de résultat, la cour d'appel a fait ressortir l'absence, de la part de la société, de mesures propres à mettre un terme aux agissements en cause. » (Cass. soc., 21 février 2007.) Or quelles peuvent bien être ces mesures si les faits sont vraiment avérés ? Muter le fautif pour qu'il puisse récidiver ou invoquer la faute grave permettant l'éviction immédiate ? L'intelligence consiste aujourd'hui à choisir entre de grands inconvénients.

MIEUX VAUT VOLER SON EMPLOYEUR QU'UN CLIENT ?

Contrairement à l'adage populaire sur l'œuf et le bœuf, s'agissant de vol, la chambre sociale se montre très tolérante et entre dans une casuistique complexe fonction de l'ancienneté du salarié, du montant du vol (un faible montant ne justifie plus la rupture) et parfois du secteur en question (le commerce n'est pas la métallurgie). Mais si l'ancienneté du salarié peut atténuer le degré de gravité de la faute, elle ne doit pas forcément le faire (par exemple, des propos ouvertement racistes ou antisémites, Cass. soc., 2 juin 2004). Si, enfin, « l'existence d'une faute grave est indépendante du préjudice éventuel qui peut résulter des agissements reprochés au salarié pour l'employeur ou pour des tiers » (Cass. soc., 21 décembre 2006), elle a dû admettre le 16 janvier 2007 que « le vol commis par un salarié au préjudice d'un client de l'employeur caractérise, alors même que l'objet soustrait serait de faible valeur, une faute grave de nature à rendre impossible la poursuite du contrat de travail pendant la durée du préavis ». Le client est roi.

En permettant au salarié de rompre son CDD avant terme seulement pour faute grave de l'employeur, le législateur a estimé que seul ce degré de faute autorisait le salarié en CDD à prendre acte de la rupture. À l'instar des chambres civiles autorisant désormais l'une des parties à rompre le contrat « en cas de violation flagrante par son cocontractant d'une obligation essentielle », il semblerait légitime que ce même niveau de faute soit retenu par la chambre sociale s'agissant d'un salarié en CDI : un acte aussi grave ne peut, à notre sens, être validé que si la situation est intenable, et exige un départ immédiat.

Flash
Faute grave et poursuites pénales

Nombre de fautes graves – autrefois qualifiées de lourdes – constituent également des délits pénaux : vol, violence, abus de confiance… Si, avant la loi du 5 mars 2007, certaines entreprises n'hésitaient pas à porter plainte pour conforter le licenciement prononcé tout en retardant l'issue de l'éventuel procès prud'homal pour défaut de cause réelle et sérieuse, en application de l'adage d'ordre public selon lequel « le criminel tient le civil en l'état » (ex-article 4 du Code de procédure pénale), une telle tactique est beaucoup plus risquée depuis la loi sur la prévention de la délinquance.

Désormais, « la mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil ». En pratique, alors qu'auparavant le juge prud'homal devait surseoir à statuer dans l'attente du jugement du tribunal correctionnel, il n'est plus tenu de le faire, à moins que, introduite séparément de l'action publique, l'action civile n'ait « pour unique objet la réparation du dommage causé par l'infraction ».

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray