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Enquête

Une pouponnière pour les PME étrangères

Enquête | publié le : 01.06.2007 | Joris Zylberman à Xiaolan

Vivier de compétences, services partagés, liens privilégiés avec les autorités locales… le parc européen de Xiaolan, au sud de Canton, aide les PME primo-arrivantes à acquérir leur autonomie en terre chinoise. Une formule qui fait des émules.

Ici, même le recrutement du chauffeur est crucial. Lors de notre première sortie vers le centre-ville, il a fallu trois heures pour revenir chez nous ! » Ronald Raabe travaille en Chine depuis sept mois à l'ouverture de China Ribbon, la filiale d'une entreprise stéphanoise de rubans. Pour sa première expérience à l'étranger après vingt et un ans de maison, il a choisi une solution qui reste encore peu utilisée : s'implanter dans une zone d'activités. Lui, a opté pour le « parc européen » de Xiaolan, ville de 300 000 habitants, à deux heures de Canton. Concrètement, il a signé un contrat avec Joël Pujol, un Français qui préside ce parc d'activités, afin qu'il joue le rôle de directeur général pour le lancement. En fonction de la prestation choisie, chaque entreprise paie un forfait de 10 000 à 120 000 euros sur une période de dix-huit à vingt-quatre mois. « C'est Joël Pujol qui a trouvé les personnes clés, c'est-à-dire les assistantes de direction et de production. Il les a contactées, embauchées et formées avant qu'on arrive. » Dans le bureau de Ronald Raabe, le résultat est là : Coco Chen, une Cantonaise de 30 ans, titulaire, entre autres, d'une maîtrise d'administration économique et sociale à l'université de Nantes. « Je sers d'interprète entre M. Ronald et les ouvriers, explique-t-elle dans un français presque sans accent. J'organise avec lui le plan de recrutement et je l'aide à transmettre en chinois ses critères techniques. »

À chaque entreprise selon ses besoins. Dans les couloirs de China Ribbon, Joël Pujol, en chemise et en jean, ne tient pas en place. « Je reviens tout de suite », promet-il toutes les cinq minutes. Voilà bientôt quinze ans qu'il s'active ainsi dans l'empire du Milieu et en particulier dans le delta de la rivière des Perles, la région de Canton. À son tableau de chasse, une quarantaine de PME installées dans le pays. À la fin des années 90, cet ancien négociant en vins décide d'organiser ses activités dans une zone de développement. En mai 2002 il crée son parc industriel, grâce à l'accueil bienveillant des autorités de Xiaolan, dans l'esprit d'un incubateur. Avec deux mots d'ordre : le sur-mesure et la mutualisation des services pour les PME primo-arrivantes en Chine. Ce qui revient, d'une part, à leur offrir des locaux adaptables et, de l'autre, à mettre le maximum de services en commun, du juridique à l'agence pour l'emploi, des douanes à l'audit. « J'ai préparé un système qui se gère tout seul, explique Joël Pujol. Les entreprises s'en servent en fonction de leurs besoins. »

Le « système » de Joël Pujol repose sur le partage d'un vivier de personnel qualifié. « J'ai constitué un pool de consultants en free-lance capables de remplacer un directeur général au pied levé. Des personnes aptes à installer les procédures de travail comme le reporting ou les normes ISO. » Mais le joyau est ailleurs : « J'ai deux fées qui travaillent toujours avec moi et qui forment les fées pour chaque entreprise. » Comprenez : le duo d'assistantes chinoises multilingues formées à l'administration et pourvues d'un sens du réseau affiné, à l'image de Coco chez China Ribbon. Seules ces deux assistantes sont salariées de China JP Consulting, la société de conseil de Joël Pujol, qui continue d'accumuler des piles de CV de jeunes Chinoises étudiant en France et désireuses de revenir travailler au pays. « Une mine », jubile-t-il. Le vivier s'enrichit de toutes les petites mains difficiles à trouver lorsqu'on débute en Chine : chauffeur, comptable ou homme de confiance à la douane.

Aujourd'hui, le parc de Xiaolan compte 19 PME, dont 15 françaises. Parmi elles, Extruflex, leader mondial dans la fabrication de PVC souple pour portes industrielles ou commerciales. Son directeur général, Jean-Luc Chirat, est un ami de Joël Pujol. Lui aussi appartient à la famille des vieux routiers de la Chine, qu'il ratisse depuis 1979. « Il est déconseillé à une PME de venir seule, reconnaît-il, l'incubateur est obligatoire. Joël m'a aidé à établir l'organigramme. Ici, il faut beaucoup plus de salariés qu'en Europe dans tous les départements. » Installé en décembre 2005, Extruflex compte 40 employés. Lorsqu'il doit recruter des techniciens, Jean-Luc Chirat fait appel aux agences locales pour l'emploi. « Si ces agences ne trouvent pas ce que nous cherchons, je téléphone à Bill et à Ted. On les a surnommés les jumeaux », sourit le directeur d'Extruflex.

Bill et Ted, anges gardiens. En chinois, Ted s'appelle Li Taoyang et Bill, Pang Liubiao. Tous deux trentenaires, natifs du cru et parfaitement anglophones, ils travaillent pour une compagnie publique locale qui gère notamment l'accueil des investisseurs. Ils symbolisent à eux seuls le marché conclu entre Joël Pujol et les autorités de Xiaolan : investissements étrangers contre « conditions d'implantation en or », selon le président du parc européen. Entre autres, la levée des obstacles bureaucratiques, grâce à Bill et Ted, disponibles 24 heures sur 24 pour résoudre les problèmes des PME. « Des anges gardiens », estime Pujol.

Les autorités de Xiaolan ont mis à la disposition des investisseurs étrangers deux Chinois, parfaitement anglophones, chargés de lever les obstacles bureaucratiques

Joël a amélioré les services de notre compagnie en nous enseignant les normes occidentales, indique Bill-Pang. Une aubaine pour notre population active dont le gouvernement veut améliorer les qualifications. » En 2006, la mairie de Xiaolan a créé un service de formation continue au management et à l'anglais. L'agence municipale pour l'emploi organise des réunions avec les entreprises qui veulent recruter et leur donne accès aux bases de données d'autres agences. « Les services de Xiaolan sont spéciaux en Chine, car notre système d'accueil a été fondé il y a vingt ans », rappelle Ted-Li. En cinq ans, la ville a vu s'implanter 300 entreprises.

L'agglomération consacre désormais près d'un quart de sa superficie aux zones industrielles, tandis que les travailleurs migrants composent plus de la moitié de sa population. « Les services mutualisés ou les systèmes de DRH que je propose ne créent pas de dépendance, tient à préciser Joël Pujol. Chacun en fait ce qu'il veut. L'idée est seulement de permettre le pilotage autonome en monde chinois. » Ce n'est pas tout. Le dirigeant du parc a également instillé un esprit de concertation entre les PME du parc. Des rencontres régulières permettent d'échanger entre autres les CV d'employés compétents. Un « pacte de non-agression tacite » empêche même, selon Joël Pujol, de débaucher les bons éléments chez son voisin. « On évoque nos problèmes, nos solutions », témoigne Ronald Raabe, de China Ribbon, qui a profité de l'expérience de JeanLuc Chirat : « J'ai vu comment il obtenait des Chinois un travail de qualité en leur demandant toujours plus pour arriver à un résultat irréprochable. »

« Nous essayons d'harmoniser les salaires entre nous, avance pour sa part le directeur général d'Extruflex. Les Taïwanais paient leurs manœuvres 150 euros par mois pour douze heures de travail par jour. Nous leur donnons environ 100 euros, mais nous respectons, en revanche, les huit heures de travail par jour. »

Navigation en escadre. L'expérience de Joël commence, en tout cas, à faire des émules. En septembre 2005, Bernard Chambres, ancien directeur général chez Total Chine, a monté un « parc international » à Changshu, près de Shanghai. « J'ai adapté aux PME le modèle d'incubateur interne que j'avais conçu pour les filiales de Total. » Une entreprise japonaise de construction plastique y installe en ce moment ses machines.

À l'automne 2006, un second projet a été inauguré au sud de Shanghai, le parc sino-européen de Jean-François Sinagra, directeur Asie de Delta Plus, spécialisé dans le matériel de protection individuelle. « Mon P-DG, Jacques Benoît, était sollicité par de nombreux entrepreneurs de la région d'Avignon, désireux d'imiter son parcours en Chine. Aujourd'hui, cinq entreprises veulent rejoindre notre projet. » Jean-François Sinagra compte travailler en réseau avec Joël Pujol pour diriger les clients vers le site qui leur convient. Une « navigation en escadre » qui, selon lui, est la clé de la réussite en Chine.

Comment Uniross a adapté sa GRH

J'ai provoqué un électrochoc, ils ont élaboré le reste eux-mêmes. » Joël Pujol se souvient des débuts d'Uniross. Aujourd'hui numéro un mondial des batteries rechargeables, la PME s'est implantée en 2003 dans le parc industriel européen de Xiaolan, au sud de Canton. « Au début, le directeur annonçait le salaire en brut, ce que les Chinois prenaient pour le montant net. À la fin du mois, de nombreux déçus de la fiche de paie quittaient la société. Il leur manquait aussi des perspectives de carrière. J'ai donc introduit l'entretien annuel, qu'Uniross a conservé. » Depuis, l'ancienne filiale d'Alcatel a modernisé toute seule sa gestion des ressources humaines. « Pour retenir nos employés, nous ne jouons plus seulement sur le salaire, mais sur l'environnement de travail et le développement personnel », explique Boris Duhamel, directeur Asie-Pacifique. À commencer par les opérateurs, dont les heures supplémentaires sont fixées à huit par semaine. Évalués régulièrement, ils peuvent devenir ouvriers spécialisés ou contrôleurs. Dans l'atelier, appelé clean room (chambre propre), les ouvriers portent un uniforme et des ballerines. Pour les cadres supérieurs, bonus et logement gratuit s'ajoutent à une large autonomie. Afin de répondre aux envies des cadres moyens qualifiés, une denrée rare en Chine, le poste de chef de service est accessible au bout d'un à deux ans, en plus des primes sur objectif. « En deux ans, le turnover a chuté de 40 à 20 % », triomphe Boris Duhamel.

Entretien AVEC MARTINE LE BOULAIRE, D'ENTREPRISE & PERSONNEL
“Le management à l'occidentale a été sacrifié à l'urgence d'être présent en Chine”

MARTINE LE BOULAIRE

Directrice du centre d'expertise emploi, mobilité, compétences et gestion RH d'E & P et responsable de l'antenne de Lyon.

Comment les sociétés françaises ont-elles abordé le marché chinois ?

Très sincèrement, elles ne s'y sont pas beaucoup préparées. Pour toutes les grandes entreprises que j'ai interrogées ces derniers mois, le plus important était d'être présent avant les autres sur cet immense marché domestique. Elles n'ont donc pas pris le temps de lancer des études approfondies du contexte culturel. Les organisations sur place ont été sacrifiées à cette urgence et leur modèle de management est aujourd'hui fortement interpellé. C'est notamment le cas des entreprises qui ont des standards internationaux de management très structurants telles que Danone, L'Oréal ou même Carrefour.

Quels sont les obstacles qu'elles rencontrent ?

Leurs organisations matricielles sont mal acceptées. Les Chinois accordent une place importante au hiérarchique. Devoir reporter à plusieurs responsables est pour eux difficile à comprendre. Autre obstacle, celui de la langue. Les managers occidentaux qui parlent chinois ne courent pas les rues. Les entreprises ont longtemps cru qu'elles pourraient mettre en place la pratique de l'anglais. Or cette langue est mal maîtrisée par le management intermédiaire chinois. Des entreprises comme Sodexho ou PSA ont fait marche arrière et travaillent désormais en chinois avec une armée d'interprètes. L'inconvénient, c'est l'insécurité liée à la qualité de la traduction.

Qu'attendent les salariés chinois de l'entreprise ?

Historiquement, le modèle d'entreprise en Chine, c'est la danwei, c'est-à-dire l'entreprise d'État, qui prenait en charge ses salariés et leurs familles de la naissance à la mort. À la différence de l'entreprise occidentale centrée sur la contribution et les relations professionnelles, il est important en Chine de savoir créer une « petite ambiance », c'est-à-dire, pour un manager, de s'investir dans des relations interpersonnelles hors travail avec son équipe ; c'est un facteur de motivation puissant auquel les managers ont malheureusement renoncé en Europe. En tant qu'acteur social, les firmes occidentales sont donc encore assez peu légitimes en Chine.

La pénurie de main-d'œuvre qualifiée est aussi à l'origine de leurs déconvenues.

Le marché du travail dans lequel les entreprises étrangères évoluent est hyperactif. Elles se bagarrent pour attirer des jeunes diplômés des meilleures universités chinoises qui ont fait une partie de leurs études à l'étranger. Et la situation ne va pas s'améliorer. Les entreprises d'État commencent à les concurrencer sur ce terrain. On a cru que les Chinois allaient les fuir ; or elles se sont fortement restructurées en adoptant des organisations à l'occidentale et proposent pour certains profils des niveaux de salaire très comparables à ceux des entreprises étrangères.

Certaines entreprises s'en sortent-elles mieux que d'autres ?

Les constructeurs automobiles allemands ont adopté des modes de collaboration porteurs. Ils financent entièrement les laboratoires de recherche de l'université de Tongji, à Shanghai, par exemple. Les Français commencent tout juste. Des partenariats ont été signés entre Suez, Saint-Gobain, Schneider et des universités chinoises. Et pas seulement les plus prestigieuses. Les entreprises s'intéressent aussi à des universités de second rang, en se disant que les jeunes y seront moins volatils.

Comment fidéliser les salariés chinois ?

Le développement des carrières est sans doute l'un des chantiers prioritaires des DRH en Chine, à l'instar de ce que mettent en place des entreprises comme Danone Biscuit, qui donne à ses salariés de la visibilité sur les parcours possibles pour leur permettre de se projeter dans l'avenir. Créer la confiance, c'est aussi transférer les postes de responsabilité aux managers chinois. Enfin, des entreprises jouent sur des packages qui comprennent un volet prévoyance, un volet retraite, des aides pour se loger, pour éduquer les enfants. Les systèmes de prévoyance et de retraite restent à bâtir. D'une certaine façon, les firmes occidentales sont en train de reproduire les danwei.

Propos recueillis par A.-C. G.

Auteur

  • Joris Zylberman à Xiaolan