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Vie des entreprises

Redéfinir l'obligation de reclassement

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.05.2007 | Jean-Emmanuel Ray

Légitime, l'obligation de reclassement mériterait d'être recadrée. En plaçant la barre très haut, la chambre sociale pousse en effet l'employeur à privilégier le départ négocié. Et comment justifier qu'un reclassement soit beaucoup plus complexe à mettre en œuvre qu'une mutation, ou que le bénéficiaire d'un PSE soit mieux traité que le salarié victime d'un petit licenciement ?

Il y a quelques années, la filiale française d'un groupe étranger avait suscité un véritable tollé en proposant à des salariés faisant l'objet d'un licenciement économique un reclassement en Malaisie pour un salaire annuel de 1 168,93 euros, avec une touchante précision in fine : « Il apparaît juridiquement impossible d'embaucher en Malaisie un salarié de nationalité française au poste qui vous est proposé. »

Quelques semaines plus tard, même pilori médiatique visant cette fois un directeur départemental du travail ayant recalé un PSE pourtant plébiscité dans l'entreprise. À son constat de carence sanctionnant l'absence de tout véritable plan de reclassement, employeur et syndicats répondaient en chœur qu'en raison de substantiels chèques départ aucun plan ne s'imposait. Au-delà du strict respect des textes, façon jugulaire-jugulaire, qu'aurait dû faire ce DDTE, chargé de défendre l'intérêt général ?

Sans parler du feuilleton H-P, qui a vu la région grenobloise se mobiliser sur l'emploi, mobilisation devenue « money, money » quand l'entreprise a annoncé le montant des chèques départ.

Créée il y a quinze ans par la chambre sociale, l'obligation de reclassement interne reste une excellente idée. Chercher à maintenir dans un emploi et éviter ainsi l'exclusion des salariés les plus vulnérables contribue à la légitime réduction de la fracture, mais aussi de la facture, sociale. Cependant, cette ardente obligation semble fonctionner bien différemment de ce que voulait la chambre sociale en 1992.

RIGORISME EXTRÊME ET EFFETS PERVERS

Entre 1992 et 2003, alors que de nombreux juges du fond constataient de réels efforts patronaux en ce sens, on cherchait presque vainement un arrêt de la chambre sociale estimant que l'employeur avait loyalement exécuté son obligation. En mettant ainsi la barre toujours plus haut, quel but poursuivait la Cour de cassation ? Forcer les entreprises à financer de meilleurs reclassements ? Ou se montrer vraiment très sociale en permettant de maximiser ainsi l'indemnisation du salarié licencié ?

Cette attitude n'a en tout cas guère incité les employeurs, presque certains de perdre en justice, à se lancer avec enthousiasme dans de vastes plans de reclassement, cette aventure de longue haleine en forme de casuistique individuelle fort coûteuse et toujours aléatoire. A fortiori après le singulier arrêt du 29 janvier 2003 (« Le salarié menacé de licenciement économique est en droit de refuser les mesures de reclassement proposées par l'employeur »), désastreux pour les services RH ne pouvant vraiment se mobiliser que sur un projet qui a du sens.

Au-delà des multiples projets voulant désormais externaliser cette légitime obligation (cf. le contrat unique de travail, qui entraînerait une déresponsabilisation pour nombre d'entreprises), cette rigueur extrême a eu de solides effets pervers.

Le reclassement étant une opération toujours onéreuse à tout point de vue, les départs négociés, gagnant à chaque loi nouvelle un cas nouveau, constituent alors une solution très consensuelle et d'un meilleur rapport qualité/prix : plus rapides, plus discrets (dans notre société de la réputation, un bon PSE est celui dont les médias ne parlent pas), ils limitent par ailleurs le risque de contentieux sur la cause réelle et sérieuse.

DISSUASIVE COMPLEXITÉ

Le droit des reclassements (individuel toujours, collectif parfois avec le plan de reclassement s'intégrant au PSE) se sépare chaque année davantage du droit commun de la modification qui, lui, reste applicable en cas de GPEC. Or la logique de cette opposition ne saute pas aux yeux.

• Alors que, par exemple, le salarié titulaire d'une clause de mobilité ne peut refuser une mutation procédant de la GPEC, depuis l'arrêt de 2003 précité un tel refus semble possible pour tout reclassement, même dans le même secteur géographique. Encore que « constitue une mesure de reclassement licite la mise en situation de recherche de reclassement pendant une période déterminée avec dispense d'activité et maintien de la rémunération dès lors que, pendant cette période, l'employeur remplit son obligation de recherche de reclassement et que le plan prévoit les mesures nécessaires à cet effet ». L'arrêt du 14 février 2007 est juridiquement créatif : même requalifiée par la Cour en « situation de recherche de reclassement pendant une période déterminée », la généreuse et fort coûteuse dispense d'activité constitue-t-elle vraiment une mesure de reclassement interne ? Ne s'agit-il pas aussi d'une modification du contrat de travail, pas si éloignée de la mise au placard individuelle incitant le collaborateur à chercher du travail à l'extérieur (« En retirant purement et simplement ses fonctions à l'intéressé, l'employeur a gravement manqué à ses obligations contractuelles », Cass. soc., 24 janvier 2007) ? Apparemment fort social, ce paiement intégral du salaire sans aucun travail sinon celui de se consacrer – en principe – à la recherche d'un emploi correspond davantage à une mesure de reclassement externe qui, pour l'instant et à juste titre, était forcément subsidiaire pour la chambre sociale.

• Procédure à suivre en cas de modification : pour la GPEC, obligation d'avoir recours à L. 321-1-2, cette magique lettre recommandée avec AR permettant de constater un accord tacite au bout d'un mois (« L'inobservation par l'employeur de ces dispositions lui interdit de se prévaloir de l'acceptation tacite du salarié », Cass. soc., 11 octobre 2006). Mais elle est exclue s'agissant du reclassement (Cass. soc., 17 mai 2006). Or les conditions de la mutation peuvent être exactement les mêmes. Une unification autour de L. 321-1-2 ne paraît pas hors de portée.

URBI ET ORBI ? QUI MOINS EMBRASSE MIEUX ÉTREINT

Depuis l'arrêt du 4 mai 2004, le pragmatique Conseil d'État accepte que, avant de proposer à un représentant du personnel des postes vacants à Singapour, Barcelone ou même Karlsruhe, l'employeur puisse lui demander d'abord dans quels pays il accepterait d'aller. Ce réalisme semble avoir convaincu la chambre sociale, qui avance à grands pas vers cette solution de bon sens, comme en témoigne l'arrêt du 15 novembre 2006 : « Les possibilités de reclassement doivent être recherchées à l'intérieur du groupe dès l'instant que la législation applicable localement n'empêche pas l'emploi de ce salarié étranger et qu'à la demande de l'employeur le salarié a accepté son affectation. » Nettement plus restrictive que le « urbi et orbi, sinon point de salut » de 1992, cette solution permet de mieux cibler les propositions faites à chaque collaborateur et de concentrer les recherches des services RH : efficacité accrue.

Mais elle demeure très largement décalée par rapport à la réalité du reclassement à l'étranger, et même en France métropolitaine. Car nos compatriotes n'ont pas tous la culture de mobilité de leurs collègues américains (et des jeunes générations) : être muté à plus de 30 kilomètres devient une expatriation. Nombre de responsables de site à l'étranger sont par ailleurs un peu étonnés de devoir, sur leur territoire, exécuter une exigence du droit français, à supposer que le siège ose leur en proposer l'augure au-delà de quelques cadres supérieurs.

Même en France, nul n'ignore que le projet de réduction d'effectifs dans un site entraîne parfois des embauches dans les autres, par CDD le cas échéant et dans une touchante unanimité locale : enfants et ami(e)s du personnel attendent pour travailler au pays. Bref, il convient de se prémunir contre l'amicale pression de l'entreprise ou du groupe pour reclasser les salariés excédentaires : le DRH du site en difficulté va-t-il d'ailleurs ainsi exporter ses meilleurs collaborateurs ?

Il paraît donc nécessaire de recadrer géographiquement cette obligation évoluant aujourd'hui dans une grande et commune hypocrisie, qui donne certes du grain à moudre. En commençant par demander par écrit à chaque salarié les mobilités qu'il serait susceptible d'accepter.

DES SANCTIONS CURIEUSEMENT DIFFÉRENCIÉES

La sanction de ces obligations mérite enfin réflexion, sur deux terrains.

• Celle créée par la chambre sociale à l'occasion de sa découverte de l'obligation de reclassement : faute de sanction légale spécifique, le manquement à cette obligation individuelle conduit au défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement. Or ce fondement est doublement contestable. En droit, car il n'est pas du tout certain que le salarié en cause n'eût pas été licencié in fine : il s'agit plutôt de perte d'une chance. En fait, car comment convaincre des investisseurs étrangers qu'ils peuvent être condamnés pour défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement alors que le site français est en faillite… en réalité pour un reclassement insuffisant ? Même si le taux peut rester le même (indemnisation à hauteur de six mois de salaire brut minimum), une sanction spécifique éviterait cette incompréhension complétant l'image de notre calamiteux droit du licenciement économique. Elle permettrait, le cas échéant, de mieux indemniser le salarié licencié sans propositions valables de reclassement ni motif réel et sérieux, soit 6 + 6 = 12 mois au minimum. Ce qui rappelle quelque chose.

• Car le plus étrange reste la dualité actuelle selon qu'un PSE doit être, ou non, monté. Sans préjudice du remboursement à l'Assedic, la sanction varie du simple au double, sur cette seule base dont on ne voit pas clairement la justification : au contraire, car un salarié bénéficiant d'un PSE est souvent nettement mieux traité. Pas d'obligation de PSE : six mois minimum. Mais « une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des douze derniers mois » (L. 122-14-4) s'agissant d'un PSE défaillant, sans évoquer la très hypothétique réintégration. Et, comme l'a rappelé l'arrêt du 28 novembre 2006, le salarié licencié a un droit propre à demander la nullité du PSE : même si lui-même, comme en l'espèce, a bénéficié de propositions personnalisées de reclassement.

FLASH
Inaptitude et reclassement

En matière d'inaptitude, où l'irruption de la santé mentale et des harcèlements sexuel et surtout moral a fait exploser les statistiques, le rigorisme de la chambre sociale n'est plus à démontrer : erreur d'une seule journée entre les deux visites, ordre du jour des délégués du personnel mal rédigé (Cass. soc., 28 mars 2007), et surtout l'apparent paradoxe selon lequel « l'avis d'inaptitude du médecin du travail déclarant un salarié inapte à tout emploi dans l'entreprise ne dispense pas l'employeur de rechercher une possibilité de reclassement au sein de l'entreprise et le cas échéant du groupe, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail » (Cass. soc., même date). Tout cela nécessite une solide explication de texte (cf. S. Bourgeot et M. Blatman : l'État de santé du salarié, éd. Liaisons), même si les torts sont souvent partagés (le licenciement prononcé avant même que les réponses des sociétés contactées en vue d'un éventuel reclassement ne soient arrivées, Cass. soc., 28 mars 2007). Une réforme n'est pas exclue après le rapport Gosselin relatif à « l'aptitude médicale au travail » rendu au ministre de l'Emploi le 6 février 2007. Remarquant que le médecin du travail est souvent définitivement fixé dès la première visite (en sens contraire, voir Cass. soc., 21 mars 2007), il veut aussi définir précisément l'étendue de l'obligation de reclassement.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray