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Vie des entreprises

LH2 et CSA en ballottage sur le social

Vie des entreprises | Match | publié le : 01.05.2007 | Éric Béal

Pas de vraie GRH dans ces PME où l’aristocratie des chargés d’étude cohabite avec une flopée d’enquêteurs précaires. Côté salaires, les premiers sont juste un peu plus gâtés chez LH2 qu’à CSA.

La campagne électorale aura été rythmée comme jamais par les sondages. Trois semaines avant le premier tour, plus de 250 enquêtes avaient déjà été publiées, contre 193 durant toute la présidentielle de 2002. Cependant, pour les instituts de sondage, les périodes électorales constituent surtout l’occasion de soigner leur image de marque dans un secteur comptant quelque 400 intervenants et deux leaders incontestés, TNS et Ipsos. « La politique ne tire pas le marché. En 2007, elle ne représentera pas plus de 3 % de notre chiffre d’affaires », indique Jean-François Levionnois, P-DG de LH2. Un sigle derrière lequel se cache désormais l’institut Louis Harris. Pour Roland Cayrol et Stéphane Rozès, les emblématiques dirigeants de CSA, la campagne 2007 aura été marquée par des frictions avec la Commission des sondages. Fin mars, cette instance a estimé que deux de ses enquêtes publiées dans le Parisien/Aujourd’hui en France n’étaient pas conformes à la réglementation. Reste que, pour ces deux PME du sondage, le gros de l’activité est réalisé via des enquêtes marketing commandées par de grandes entreprises.

Un an d’indépendance

À CSA comme chez LH2, l’histoire s’accélère. Le premier entre petit à petit dans le giron du groupe Bolloré, qui possède déjà 40 % de son capital, et devrait être majoritaire en juin 2008, à la suite du départ à la retraite de Claude Suquet, P-DG, et de Roland Cayrol, DG délégué, les deux actionnaires fondateurs restants. En attendant, Étienne Giros, issu du groupe Bolloré, a pris les fonctions de secrétaire général chargé des RH. De son côté, LH2 s’apprête à fêter le premier anniversaire de son départ du groupe TNS en juin. Mais cette indépendance est toute relative. Si 17 managers contrôlent 34 % du capital, les 66 % restants ont été vendus au groupe de presse Tests, qui vient lui-même d’être absorbé par le groupe NextRadio.

Pour les enquêteurs, ces changements de propriétaires revêtent peu d’importance. Comme tous les instituts de sondage, CSA et LH2 comptent deux populations bien distinctes. Les chargés d’étude, juniors ou confirmés, et leur ligne hiérarchique (chef de groupe, directeur d’étude, de clientèle et de département) constituent l’aristocratie de la profession. Ils gèrent les relations avec les clients, construisent les questionnaires et déterminent le panel des futurs interviewés. Statisticiens, managers et personnel administratif complètent l’équipe du personnel en contrat à durée indéterminée. Les enquêteurs de base font plutôt partie de la plèbe. Vacataires, ils sont chargés de trouver les personnes à interviewer et de leur soumettre le questionnaire, par téléphone ou en face à face.

Pas de DRH

La gestion de ces deux catégories de salariés pose des problèmes totalement différents. Bac plus 4 ou 5 en sociologie, pharmacie ou marketing, les chargés d’étude souhaitent évoluer rapidement. Les enquêteurs n’en sont pas là. Étudiants, une partie d’entre eux partiront, une fois leur diplôme en poche. Les autres aspirent à un statut plus stable et le font savoir de temps à autre, à coups de mouvements sociaux. Car le social n’est pas le point fort des deux rivaux. Ni CSA ni LH2 ne disposent d’un DRH. Leur gestion des ressources humaines ressemble à celle de beaucoup de PME : pragmatique et plus ou moins claire, laissant beaucoup d’initiative aux managers peu formés à la GRH, malgré l’institution d’un entretien annuel d’évaluation. « Nombre de nos managers ont été placés là parce qu’ils connaissaient l’un des dirigeants historiques », déplore ainsi un élu du comité d’entreprise de CSA.

La situation n’est guère plus favorable chez LH2, qui avoue un turnover de 16 %. « Nous avons conscience de devoir améliorer notre GRH. Nous avons multiplié les échelons hiérarchiques pour donner des perspectives de progression, mais l’exercice a des limites », reconnaît Jean-François Levionnois, lequel compte sur Gwenola Tomine, sa nouvelle directrice de la qualité, pour améliorer les choses. « La norme ISO requiert une fiche de fonction détaillée pour chaque poste et oblige à une évaluation annuelle de chaque salarié, en lien avec la présentation d’un plan de formation », explique cette dernière. De quoi dynamiser les possibilités d’évolution.

ACSA, Roland Cayrol admet que la GRH n’a jamais fait l’objet d’une attention soutenue. « Nous n’avons pas de plan de carrière à offrir et nos salaires sont inférieurs à ceux de nos clients. Certains chargés d’étude passent chef de groupe, puis directeur d’étude, mais les autres voient leur progression bloquée. Les managers essaient de garder les meilleurs », indique-t-il. Pour autant, le nouveau secrétaire général, Étienne Giros, incite les managers à faire passer l’entretien annuel d’évaluation formalisé depuis quelques années et compte présenter un plan de formation plus conforme aux besoins. Devant l’assemblée générale du personnel, Vincent Bolloré a en outre annoncé la possibilité, pour ceux qui souhaitent évoluer, de prétendre à des postes au sein de son groupe.

Dans les deux instituts de sondage, le climat social n’est pourtant pas mauvais au sein des équipes permanentes. Certes, le métier de chargé d’étude est stressant. Les clients exigent une réponse rapide avec une analyse et des commentaires dans un temps toujours plus court. « Mais l’ambiance est bonne, indique Céline Niro, secrétaire du CE de LH2. Les salariés apprécient l’absence de pression. Les chargés d’étude des leaders du secteur ont des objectifs commerciaux sur les produits maison. Nous, nous faisons beaucoup de sur-mesure. » À CSA, une enquête réalisée par le comité d’entreprise en juin 2005 indiquait que 88 % des salariés étaient satisfaits de la qualité des relations entre collègues dans l’entreprise.

À l’inverse, les salariés se montrent plus critiques sur les salaires. « Le secteur est très concurrentiel et les budgets sont serrés, explique le secrétaire général de CSA. Les augmentations sont limitées et individualisées pour récompenser les efforts de chacun. » Et seuls les directeurs de département et les directeurs d’étude, responsables des résultats commerciaux, peuvent prétendre à l’intéressement. Les autres salariés ne bénéficient pas de la participation, CSA n’ayant pas réalisé de bénéfice depuis 2003.

Prime de fin d’année

Les collaborateurs de LH2 sont plus gâtés. Les salaires à l’embauche y sont légèrement plus élevés : 25 000 euros annuels, contre 24 000 à CSA pour un chargé d’étude junior. En plus de la participation légale, chaque salarié touche une prime de fin d’année. Son montant, calculé sur les résultats de son département, peut atteindre un mois de salaire. Les enquêteurs sont moins bien lotis. Dans les « terrain téléphone », les centres d’appels, dans le vocabulaire du secteur, les salariés sont payés au smic horaire et travaillent souvent en horaires décalés, de 18 heures à 21 heures. Les enquêteurs de terrain qui interrogent en face à face sont payés à la tâche. LH2 fait appel à 600 enquêteurs dans toutes les régions, pour 35 équivalents temps plein. SES, la filiale de CSA chargée des enquêtes de terrain, en emploie autant, pour 300 équivalents temps plein. Le montant du salaire par questionnaire dépend du temps passé ou de la difficulté à trouver les interlocuteurs. Seuls les questionnaires dûment remplis sont rémunérés. Pas étonnant, dans ces conditions, que la profession connaisse un fort turnover, sur le terrain comme dans les centres d’appels.

Pour résoudre ce problème, chaque société a sa recette. Chez SES, on a déménagé les 170 postes du centre d’appels de Boulogne à Nice. « Depuis, l’ambiance est meilleure », note Roland Cayrol. CSA a aussi développé des accords de sous-traitance avec une filiale au Maroc. Quant à LH2, il a également connu des soucis avec ses enquêteurs téléphone. Fin 2004, onze jours de grève ont permis aux vacataires du centre d’Orléans d’obtenir le paiement d’une partie d’entre eux sur la base du temps de travail effectif. Et des contrats en CDI pour les plus anciens. Mais les contrats précaires restent la norme. Chez CSI, la filiale téléphone de CSA, même les chefs d’équipe sont en CDD.

Les directions assurent que les chargés d’enquête de terrain se conduisent comme des indépendants. « Une bonne partie d’entre eux travaillent pour d’autres instituts afin de compléter leurs revenus », explique Roland Cayrol. « En centre d’appels, je travaille entre 100 et 150 heures par mois sans pouvoir choisir mes horaires. Comment voulez-vous être libre pour une autre société ? » interroge Rémy Poulain, ancien délégué CGT à CSI, aujourd’hui chez BVA. Étienne Giros souligne par ailleurs que l’absence de CDI permet aux vacataires de bénéficier d’un complément financier de l’Assedic lorsqu’ils n’atteignent pas 140 heures dans le mois. Un dialogue de sourds qui se termine assez souvent devant les prud’hommes. « Nous pourrions embaucher plus de personnel en CDI, avoue Jean-François Levionnois. À condition que toutes les sociétés du secteur prennent cette décision en même temps. Pour éviter les distorsions de concurrence. »

LH2

Chiffre d’affaires : 16 millions d’euros

Effectifs : 91 CDI

Centres d’appels : 2

CSA

Chiffre d’affaires : 33 millions d’euros

Effectifs : 150 CDI

Centres d’appels : 2

CDD versus Ceiga

Le contrat à durée déterminée d’usage est de plus en plus utilisé par les sociétés d’études. « Elles en abusent, estime Rémy Poulain, délégué CGT chez BVA et ex-CSI. Certains comptables travaillent même en CDD. Ils profitent ainsi de l’indemnité compensatrice de précarité (4 % du salaire) et de la prime de vacances (10 %) liées au statut d’intermittent. »

La convention collective du Syntec propose également un contrat de « chargé d’enquête intermittent à garantie annuelle » (Ceiga) à tout enquêteur vacataire ayant reçu neuf bulletins de salaire au cours des douze mois précédents et dont la rémunération est supérieure à un montant minimal conventionnel. Il assure une rémunération au moins égale à 60 % de celle perçue l’année précédente, mais implique de renoncer aux primes de 4 % et 10 %. Pour l’avocat Michel Henry, rien ne justifie de « faire porter l’imprévisibilité des contrats commerciaux aux salariés précaires ». À ses yeux, le contrat de travail à temps partiel annualisé, utilisé dans le secteur de la formation, serait très adapté à l’activité d’enquêteur. Il comporte une garantie de 500 heures de travail sur l’année. « Pour le salarié, il est plus avantageux car il oblige l’employeur à planifier les horaires sept jours à l’avance, au lieu de trois pour le Ceiga. »

Auteur

  • Éric Béal