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Politique sociale

Mal formée, la main-d’œuvre britannique n’a pas le niveau

Politique sociale | publié le : 01.05.2007 | Léa Delpont

De l'apprenti au diplômé du supérieur, dans tous les secteurs, la pénurie de salariés qualifiés est patente. En cause : la faillite du système de formation. Appuyé par les patrons et les syndicats, l'État engage une réforme d'ampleur.

Il a fallu attendre le énième rapport sur la formation professionnelle en Grande-Bretagne pour qu'enfin les choses commencent à bouger : il faut dire que Sandy Leitch, l'ancien directeur général de Zurich Financial Services, cet expert indépendant chargé par le gouvernement de Tony Blair de faire un état des lieux sur les qualifications et les compétences en Grande-Bretagne, n'y est pas allé de main morte. Ses conclusions définitives rendues en décembre 2006 ont tourné au réquisitoire. Selon le rapport Leitch, le mal britannique est d'abord un problème de formation initiale : sur 30 millions de salariés, 5 millions ne maîtrisent pas les bases de la lecture et de l'écriture, et plus de la moitié souffrent de grosses lacunes en calcul. Le faible niveau d'éducation d'une grande partie de la population active lui interdit l'accès à des formations plus pointues, au moment où la Grande-Bretagne a besoin de gens qualifiés pour réussir sa conversion vers l'industrie de pointe. Le pays ne « produit » que 250 000 diplômés chaque année, contre 4 millions en Inde ou en Chine. Et il aurait besoin, d'ici à 2020, de 2 millions de bacheliers supplémentaires par an et de 1 demi-million d'apprentis, soit deux fois plus qu'aujourd'hui.

Résultat, une entreprise sur cinq déclare disposer de postes vacants parce qu'elle ne trouve pas de candidats suffisamment qualifiés. La pénurie est générale. Dans la chimie, les trois quarts des nouvelles recrues n'ont pas les compétences requises. Même l'industrie touristique se plaint : dans la région du Lake District, un quart des employés de l'hôtellerie-restauration sont étrangers parce que les Britanniques ne donnent pas satisfaction. Au total, selon le Learning and Skills Council (LSC), l'organisme public chargé de la formation professionnelle, ce bas niveau de qualification de la main-d'œuvre coûterait à l'économie britannique l'équivalent de 15 milliards d'euros par an. Le rapport Leitch a ouvert des pistes : 90 % des adultes au moins devraient obtenir un niveau de fin de collège ou son équivalent professionnel (niveau CAP), contre 69 % en 2005 ; et 40 % un diplôme supérieur, contre 29 % actuellement. C'est donc dans le monde du travail que doit être porté l'effort. La confédération syndicale TUC estime que « 20 millions d'adultes devront acquérir de nouvelles qualifications dans les quinze prochaines années si le pays veut continuer de concurrencer la France et l'Allemagne ».

La main au portefeuille. Le diagnostic de Sandy Leitch a provoqué un tel choc outre-Manche que le gouvernement n'a rien pu faire d'autre que de remettre la main au portefeuille. Successeur possible de Tony Blair, Gordon Brown, le ministre des Finances, vient d'annoncer l'équivalent de 50 milliards d'euros d'investissements dans la formation d'ici à 2010. En 2001, déjà, le LSC avait été chargé de remettre sur pied un système efficace pour « faire de l'Angleterre une nation mieux qualifiée et plus productive ». Afin de doper la further education, autrement dit l'enseignement professionnel destiné aux plus de 16 ans, le budget alloué pour 2006 et 2007 s'élève à 15 milliards d'euros. De quoi moderniser les 450 further education colleges (lycées techniques et professionnels) et les quelque 2 600 organismes agréés. Le gouvernement planche également sur une réforme complète de l'enseignement technique afin de revaloriser une filière qui souffre d'une mauvaise réputation.

Sur les 500 000 employés de la filière agroalimentaire, moins d'un tiers possède le niveau d'instruction d'un enfant de 10 ans

Réintroduit en 1994, l'apprentissage attire aujourd'hui 175 000 candidats par an, dont 40 % à peine obtiennent leur diplôme, contre 75 % en Allemagne. Les enquêtes d'opinion révèlent que 57 % des Britanniques seulement attachent de l'importance aux formations techniques pour leur carrière, contre 76 % des Français et 67 % des Allemands. Les employeurs regrettent aussi régulièrement que les formations ne soient pas adaptées aux besoins des entreprises. Le gouvernement les a écoutés et, dans son Livre blanc sur la réforme de la further education, il a mis l'accent sur le concept d'« employabilité ».

C'est la même démarche qui a présidé à la création de 12 national skills academies dans la finance, l'hôtellerie-restauration, le nucléaire, la construction… Cofinancées par le gouvernement et des sponsors, elles sont clairement orientées business. Les entreprises qui mettent la main à la poche sont responsables des programmes et définissent les méthodes d'enseignement. Nissan, Airbus, Ford, Rolls-Royce, Toyota et BAE Systems soutiennent ainsi l'académie de l'industrie manufacturière, tandis que les employeurs du bâtiment peaufinent les plans de l'académie de la construction, où devraient passer 40 000 « élèves » par an. Le secteur manque cruellement de couvreurs, peintres, menuisiers, électriciens, plombiers et autres chauffagistes… sans parler des trop rares ingénieurs.

Formations in situ. « Le défaut de notre système de formation est qu'il a été créé par et pour les organismes de formation plutôt qu'autour des besoins des employeurs. Il est mal ciblé et trop académique », explique Keith Donelly, responsable, chez le grand du BTP Carillion PLC, du partenariat avec l'académie. Le projet original des entreprises du secteur a consisté à implanter des centres de formation in situ sur les gros chantiers du pays, à commencer par celui des JO de 2012 à Londres. Le premier vient d'ouvrir dans la capitale, près de la gare de Liverpool Street, dans une tour de 63 étages. « L'idée, explique Val Lowman, responsable du développement chez Bovis Lend Lease, une entreprise de construction, est de former les gens sur un chantier, car c'est le seul endroit où l'on peut rencontrer tous les métiers de la construction. » Une académie de l'agroalimentaire, soutenue, entre autres, par Nestlé, vient aussi d'être lancée. La filière a de gros besoins : parmi ses 500 000 salariés, 28 % ont le niveau d'instruction d'un enfant de 10 ans, et la moitié seulement possèdent l'équivalent d'un BEPC ou d'un CAP. Les enseignements dispensés – dans les domaines de la boulangerie, des produits laitiers, de la viande, des surgelés, de l'hygiène… – visent à former 28 000 à 40 000 personnes par an, en priorité dans les emplois d'exécution, même si le tout premier cours ouvert en avril s'adresse aux cadres de la filière des produits allégés.

Mais, si plusieurs secteurs affichent une politique volontariste, il n'existe pas au Royaume-Uni, à la différence de la France, de cotisation obligatoire pour la formation professionnelle. Les dépenses des entreprises ne sont pas négligeables, avec un montant total de 48,6 milliards d'euros p1ar an, soit une moyenne de sept jours et demi de formation par salarié. Reste qu'un tiers d'entre elles refusent encore d'y consacrer le moindre penny. C'est pour ces réfractaires que le LSC a mis sur pied, en août 2006, un programme baptisé « train to gain », qui consiste à leur offrir une expertise gratuite et indépendante pour établir un diagnostic, trouver les organismes de formation adéquats, voire des financements. « La plupart des PME n'ont pas les moyens de se payer des consultants. L'opportunité d'un conseil impartial et sur mesure, émanant d'un expert qui ne va pas essayer de vous vendre quelque chose, est très intéressante », note Sean Taggart, directeur général d'Albatros, une agence de voyages qui a fait appel à ce service, comme 22 000 autres sociétés depuis huit mois. Dans 80 % des cas, des PME qui n'avaient jamais entrepris de former leur personnel. Avec train to gain, qui a déjà profité à 75 000 personnes, le LSC espère amener 500 000 adultes au niveau 2 en dix ans. Au total, il veut donner à 4 millions de personnes l'opportunité d'acquérir les connaissances élémentaires.

C'est aussi l'objectif du TUC et de ses 14 000 ambassadeurs de la formation continue, les union learning representatives, reconnues comme une catégorie de représentants syndicaux à part entière depuis 2002. Avec l'aide accordée par le ministère de l'Éducation, le TUC compte disposer en 2010 de 22 000 délégués afin d'orienter chaque année 250 000 salariés vers des programmes de formation. Pour relever le gigantesque défi de la formation en Grande-Bretagne, toutes les bonnes volontés sont requises.

La Grande-Bretagne en panne de scientifiques

Depuis trois ans, les ingénieurs de BAE Systems, champion britannique de l'industrie aéronautique et de défense, font la tournée des écoles pour démontrer aux jeunes élèves que les études scientifiques, c'est fun. Leur roadshow a déjà fait étape dans 250 établissements, où ils jouent un petit spectacle truffé d'effets spéciaux pour faire rêver les enfants avec un avion (le Typhoon) qui passe de l'arrêt à la vitesse du son en moins de trente secondes et un sous-marin (l'Astute) qui peut résister à la pression de 400 voitures monospaces empilées sur chaque mètre carré de sa coque…

Autre ambassadeur de la cause, JCB, le quatrième fabricant mondial de matériel de chantier, qui déclare manquer en permanence d'une vingtaine d'ingénieurs.

La société anime des clubs de bricolage dans les lycées et répand la bonne parole dans les écoles. Les deux groupes espèrent ainsi convaincre les jeunes de ne pas abandonner les matières scientifiques, car le pays manque d'ingénieurs, de techniciens de laboratoire, de travailleurs qualifiés en physique, chimie et biologie. Et en masse : 2,4 millions de personnes d'ici à 2014. Le nombre d'adolescents qui passent des épreuves de physique au baccalauréat a chuté de 56 % en vingt ans et seulement 12 % des étudiants (45 000) par an quittent l'université avec un diplôme scientifique ou technologique. Or, selon la confédération patronale CBI, il en faudrait le double afin de pourvoir les postes en 2014. Actuellement, beaucoup de jeunes préfèrent se tourner vers les métiers de la finance, séduits par la vie en costume-cravate de la City et leurs salaires autrement plus attractifs que dans l'industrie.

Auteur

  • Léa Delpont