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Enquête

Les pluriactifs abonnés aux horaires à rallonge

Enquête | publié le : 01.05.2007 | F. G.

Les salariés multiemployeurs, surtout des femmes peu qualifiées, dans les services à la personne et l’entretien jonglent avec leurs différents jobs. Sans se limiter à 35 heures.

A 45 ans, Myriam a quatre employeurs. Deux familles dont elle va chercher les enfants à la sortie de l’école, mais aussi une personne âgée qu’elle assiste le matin et un couple pour qui elle fait quelques heures de ménage… « Certains me déclarent, d’autres pas. Pour la personne âgée, je passe par une entreprise de services à la personne, DomAliance, explique cette mère de trois enfants. Ma semaine est décousue mais, au moins, j’arrive tant bien que mal à gagner l’équivalent du smic. »

Comme Myriam, plus de 1 million de salariés sont pluriactifs (enquête Insee 2006). Soit à peine 5 % de la population active. Mais la tendance va croissant. La plupart des « cumulards » exercent le même métier et offrent leurs services à plusieurs employeurs. À plus de 80 %, ce sont des femmes, peu ou pas diplômées, qui occupent des postes d’assistantes maternelles, d’aides-ménagères, d’aides à domicile pour personnes âgées ou handicapées. Des métiers qui ne sont pas visés par les 35 heures. « Les pluriactifs multiplient les statuts. Ils composent leur “menu” : salariés d’une entreprise à temps partiel, ils ajoutent un peu d’intérim, voire un emploi non déclaré… Jusqu’à obtenir un temps plein », ajoute Patrick Haddad, économiste. Pour ce chercheur spécialiste du secteur des services à la personne, il n’est pas rare de voir des individus « qui, en réalité, font une cinquantaine d’heures hebdomadaires ».

Michelle Million, chef de service chez Nera Propreté Provence, ne dit pas autre chose. Dans cette entreprise de nettoyage de 1 300 personnes basée à Gap, elle encadre 85 agents d’entretien – essentiellement des femmes – dont seulement une vingtaine à temps plein. « Les autres ne s’en sortent pas financièrement. Elles aimeraient faire plus d’heures. » Michelle Million ne peut accéder à leurs souhaits, tout simplement parce que les heures de ménage se concentrent toutes le matin ou en soirée. « Du coup, elles partent travailler la journée dans d’autres entreprises ou complètent par quelques prestations chez des particuliers. Quitte à être épuisées. » Dans la région, les petits boulots saisonniers – déclarés ou non – sont des solutions d’appoint répandues.

Activités annexes. À la tête de Littoral Nettoyage, Hervé Le Mercier emploie lui aussi des salariés qui jonglent avec des activités annexes. « Ils restent discrets sur ce qu’ils font ailleurs. Mais je sais que certains enchaînent avec des heures ici ou là. Ils n’ont pas tellement d’autres solutions pour boucler leur budget. » Le chef d’entreprise enregistre lui aussi des requêtes répétées d’employés désireux de gonfler leur fiche de paie en travaillant plus. La loi l’en empêche. « Je ne peux proposer trop d’heures complémentaires à une personne à temps partiel. Le cadre réglementaire est beaucoup trop restrictif. Et cela me coûterait trop cher. » En clair, si ces heures complémentaires dépassent 1/10 de la durée du travail du salarié à temps partiel, elles sont assimilées à des heures sup et sont majorées de 25 %.

Autre limite à laquelle se heurtent fréquemment les cumulards : la distance géographique. Entre les deux ou trois emplois qu’ils occupent, il leur faut souvent parcourir des kilomètres et jongler avec les transports. Une contrainte que les 15 agences d’Adom, réseau d’Adecco spécialisé dans les services à la personne, a du mal à résoudre : « Les clients et les intervenants à domicile n’habitent pas la même zone. Et les temps de transport sont très peu pris en compte », assure Nathalie Bournoville, directrice opérationnelle d’Adom. « De fait, l’individu qui cumule les emplois ne s’accorde pas de moments de répit. Dans ce quotidien émietté et précaire, il n’a pas le temps de nouer des relations ni de s’attacher », affirme le sociologue Stéphane Beaud. Son bilan est sans appel : « Il en découle une forte déstabilisation sociale et un sentiment d’isolement important. » À terme, pour les pluriactifs, la facture promet d’être lourde.

Cumularde et fière de l'être

Toujours plus. » Fatima Ismailis le clame haut et fort. Oui, elle veut pouvoir travailler autant qu’il lui plaît. À 32 ans, cette célibataire sans enfants revendique le droit de « ne plus galérer à la fin du mois », d’habiter Paris intra-muros, de pouvoir se faire plaisir sans trop regarder à la dépense. « Vous croyez sérieusement qu’il est possible de vivre avec un smic à Paris ? Au nom de quoi devrais-je me restreindre ? » C’est pour gagner plus que Fatima est devenue aide-ménagère chez les particuliers.

Employée de la société Shiva, une entreprise de services à la personne, elle est payée à l’heure. Surtout, elle n’est pas limitée aux 35 heures comme lorsqu’elle était salariée d’une chaîne hôtelière. « Le patron ne nous proposait pas de faire des heures sup. Du coup, nous ne dépassions pas le smic et nous n’étions pas très considérées. » Aujourd’hui, Fatima Ismailis touche en moyenne 1 700 euros net mensuels. Elle dépasse souvent 40 heures hebdo. « Même en annualisant, nous ne pouvons aller au-delà de 160 heures mensuelles », tempère Céline Caillat Di Paola, responsable de développement de Shiva. Régulièrement, pourtant, Fatima Ismailis demande de nouveaux clients. « J’aime mon métier. Je suis fière de faire le ménage et de m’occuper de personnes âgées. » Elle trouve ces missions valorisantes. « Je me sens utile. Mes clients me font confiance. Ils me laissent les clés de leur appartement. » Elle se moque d’y consacrer une partie de son samedi et de ses soirées. Tout comme de traverser la capitale pour aller chez les uns et les autres. Fatima n’est pas un cas isolé. Selon Shiva, un tiers des salariées demandent du travail en plus pour arrondir leurs fins de mois. F. G.

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  • F. G.