logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

Employés : des heures en sus pour gagner plus

Enquête | publié le : 01.05.2007 | A.-C. G.

Salaires au smic, temps partiels subis : nombre d’employés ne demandent qu’à faire plus d’heures pour gagner en pouvoir d’achat. Mais les marges de manœuvre sont limitées.

Travailler plus pour gagner plus ? Bien sûr que ça m’intéresse », lâche, perplexe, Marie-Annick, téléopératrice chez Intra Call Center à Amiens, comme si la question allait de soi. Cette quinquagénaire travaille pourtant à temps complet sur une large amplitude horaire. Elle commence certains matins dès 6 h 45 pour finir d’autres soirs à 22 heures. « Depuis le passage à l’euro, j’ai perdu en pouvoir d’achat, poursuit-elle. J’essaie de faire des heures supplémentaires depuis le mois de mars en prévision des vacances d’été. »

Chez les employés, la promesse de campagne de Nicolas Sarkozy a d’autant plus fait mouche que cette catégorie de salariés plafonne bien souvent au smic. « Dans le commerce, l’immense majorité des employés sont smicards. Tous souhaiteraient mieux gagner leur vie, constate Karl Ghazi, secrétaire fédéral de la CGT Commerce. Mais leur dire : si vous voulez gagner plus, il faut travailler plus ne tient pas la route. Les salariés n’ont pas le choix. C’est l’employeur qui accorde ou non du temps de travail supplémentaire. »

Déjà à bout. Mais, du côté des entreprises, difficile de jouer avec les heures sup, chères et contingentées. « Leur volume dépend de nos clients. On ne peut ni les prévoir ni les garantir. Mais nous n’avons jamais eu besoin de demander des dérogations pour dépasser le contingent », explique Thierry Salomez, DRH d’Intra Call Center. Quand il s’agit de travailler plus, les salariés préfèrent, en outre, être payés cash tandis que les entreprises souhaitent, elles, convertir ces sommes en jours de congé. Certaines ont néanmoins tenté d’échanger des jours de congé contre plus de salaire. Sans grand succès. Les hypermarchés Carrefour l’ont proposé dès 2004 dans le cadre d’un accord salarial. « 10 % des employés ont choisi cette formule, indique Jean-Luc Masset, le DRH. Un taux constant depuis deux ans. On aurait pu s’attendre à plus d’adhésion. Aujourd’hui ce sont surtout des jeunes qui profitent de la formule. » Pour Danièle Linhart, sociologue du travail, l’idée de travailler plus pour gagner plus est une aberration. « Cette proposition est dangereuse sur le plan de la santé publique. Toutes les enquêtes montrent que les 35 heures ont intensifié le travail. Et les employés sont une des catégories où cette intensification a été la plus spectaculaire. Ils sont déjà à bout. Il ne s’agit pas d’allonger le temps de travail mais de réguler son intensité. Seuls les salariés à temps partiel subi ont toute légitimité à demander de travailler plus. »

Temps partiel subi. Une étude de l’Insee d’octobre 2005 estimait à 1,2 million le nombre de salariés du privé concernés par le sous-emploi. C’est le cas d’Audrey, employée dans une cafétéria Casino du sud de la France, qui travaille à temps partiel depuis un an et demi. « Avec 750 euros net par mois, pas facile de joindre les deux bouts. Surtout, l’organisation des plannings ne me permet pas de cumuler deux emplois. Mes horaires changent toutes les trois semaines. Je me sens doublement pénalisée. » Comme elle, 70 % des salariés des cafétérias sont à temps partiel. « Et tous le subissent », pointe Serge Nardelli, de la CFDT des Services.

Pour Yamina, responsable de caisse dans un Monoprix parisien, cet enfer s’est terminé en septembre 2006. « Pendant deux ans j’ai demandé à passer à temps complet. Sans réponse de ma direction qui continuait d’embaucher des CDD. J’ai fini par traîner mon employeur aux prud’hommes. » Chez Champion, la direction s’est engagée à essayer d’augmenter le nombre d’heures des temps partiels, calés sur 26 heures minimum. Pas simple. « Il est plus facile de gérer l’amplitude d’ouverture de nos magasins avec une multitude de temps partiels. Et il est toujours moins cher de prendre des CDD que de proposer des heures complémentaires », note Marc Veyron, le DRH. Étrange paradoxe. Le débat présidentiel s’est concentré sur l’exonération des heures sup, oubliant les heures complémentaires, qui permettraient pourtant aux temps partiels de gagner un peu de pouvoir d’achat.

Doublement pompier

Les 35 heures, j’ai jamais connu ! » Fabien Lemaire, 24 ans, est agent de sécurité pour la société Uniprotect. « Je travaille comme pompier privé dans une galerie marchande sur les Champs-Élysées. » Son emploi du temps s’organise en « 24-96 ». Comprendre 24 heures de travail d’affilée pour quatre jours de repos. Son employeur a annualisé le temps de travail fin 2005 et construit des plannings sur six mois en proposant des heures sup majorées de 10 % au lieu de 25 % pour remplacer au pied levé les collègues absents. « Cet aménagement est très intéressant. Non seulement je peux faire des heures en plus mais je peux aussi continuer mon activité de pompier volontaire à la caserne de Clermont, dans l’Oise. » Le jeune homme travaille régulièrement jusqu’à 60 heures hebdo quand il cumule heures sup et gardes en caserne. Stakhanoviste, Fabien ? Un peu, sans doute. Mais surtout désireux d’arrondir ses fins de mois. « Dans la sécurité, on ne gagne pas bien sa vie. Je touche 1 300 euros brut par mois. Quand je travaille beaucoup, et en comptant mes indemnités de vacation à la caserne, je peux arriver à 1 800 euros. »

Sa société est au courant de ses activités complémentaires. « Nous essayons d’être arrangeants avec nos salariés pour qu’ils gagnent en pouvoir d’achat », confirme Nicolas Le Saux, le P-DG, pour qui les exonérations de charges promises par Nicolas Sarkozy seraient la solution. Fabien vient de postuler à un mi-temps auprès d’une autre entreprise de sécurité. Il attend la réponse. « La plupart de mes collègues cumulent deux emplois. Y’a pas, si on veut gagner un peu d’argent, faut se bouger le popotin ! » A.-C. G.

Auteur

  • A.-C. G.