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Enquête

Du boulot, les cadres n’en veulent pas davantage

Enquête | publié le : 01.05.2007 | S. B.

Qu’ils soient au forfait jours ou aux horaires collectifs, les cadres ne comptent déjà plus leurs heures. Pas question, dès lors, de toucher à leurs sacro-saintes RTT.

Travailler plus ? Vous êtes marrant ! Je réponds déjà à mes mails le week-end et j’emporte parfois du boulot chez moi le soir. » Ingénieur chez Hewlett-Packard, Antoine n’est pas décidé à échanger jours de RTT contre rémunération supplémentaire : ses semaines dépassent déjà allégrement les 45 heures. Et inutile de protester. Soumis au régime du forfait jours (214 par an), il ne peut, logiquement, réclamer le paiement d’heures sup. Merci aux lois Aubry, qui ont légalisé cette modalité de décompte du temps de travail ! D’après les derniers chiffres de la Dares, portant sur 2004, le quart des cadres sont dans son cas. Et huit sur dix dans les entreprises qui recourent au forfait jours. Certains s’en accommodent d’ailleurs très bien. « Chez nous, beaucoup sont complètement aspirés par leur boulot. Pas du genre à réclamer leurs 11 heures de repos entre deux journées de travail », observe Gilles Rousseaux, délégué CFTC chez Dassault Aviation.

Pas question de laisser du boulot en plan. Faire des heures sup pour gagner plus n’a pas davantage de sens pour les cadres théoriquement soumis à des horaires collectifs. Car l’écrasante majorité ne compte pas son temps. Impossible de quitter une réunion à 18 heures pétantes ou de laisser du boulot urgent en plan sous prétexte que la journée de travail est théoriquement terminée. « Réclamer des heures sup, c’est impensable. Sauf si vous voulez vous faire virer », s’amuse ce jeune cadre de la Société générale. Des pratiques à l’œuvre partout, que la CFDT de Neuf Cegetel a pu quantifier via un questionnaire rempli par 753 personnes. « 53 % des cadres disent dépasser souvent ou très souvent leurs horaires. Parmi eux, 82 % ne reçoivent aucune compensation pécuniaire ou en temps », détaille le cédétiste Olivier Lelong. Pas étonnant, dès lors, que les anciens de Cegetel râlent à l’idée de perdre sept jours de RTT – théoriquement compensés par une baisse de 90 minutes de la durée du travail hebdomadaire – pour s’aligner sur les pratiques de Neuf.

Pour les cadres, la déconnexion entre rémunération et temps de présence devient la règle. Libre à eux de s’organiser comme ils l’entendent pour atteindre leurs objectifs. « Je peux très bien travailler jusqu’à 23 heures, ou arriver à 11 heures du matin. Tout le monde s’en fout, pourvu que je réponde à mes mails et que le boulot soit fait », témoigne Philippe, ingénieur chez le fabricant de puces Gemalto. Revers de cette autonomie, les frontières entre vie professionnelle et vie personnelle s’avèrent de plus en plus poreuses. Se connecter sur sa boîte mail le dimanche soir ou partir en vacances avec son téléphone portable professionnel n’est plus réservé aux seuls cadres dirigeants. Quel sens, dès lors, donner au slogan « travailler plus » ?

Une monétisation encore marginale. Seul outil à disposition des workaholics, la monétisation de leur compte épargne temps (CET). Une possibilité interdite, à l’origine, par les lois Aubry, mais que les « mercenaires » utilisaient quand même. « Certains jeunes cadres, corvéables à merci, ne demandent pas mieux que de faire des heures en plus. Ils ont alors un petit pécule quand ils s’en vont, avec une ligne supplémentaire sur leur CV », observe Éric Balfourier, délégué syndical CFDT chez Groupama SA. Désormais permise, la monétisation des CET reste encore marginale, mais se développe. Parmi les entreprises qui ont sauté le pas, la Société générale, Champion, la RATP, Tokheim Services ou Dassault Aviation. « C’est un système assez séduisant car il offre de la souplesse dans la durée du travail. Les uns peuvent sortir en temps, les autres en argent, en fonction de leurs projets », justifie Patrice Parmentier, responsable des études juridiques et sociales à la Société générale. Côté syndical, on se montre plus réservé. Par peur que la monétisation n’aboutisse, de fait, à la fin des 35 heures.

Impliqué à cent pour cent

Séparer boulot et vie perso, Steven Harel n’y pense même pas. « Je travaille dans le train, un peu le soir chez moi, mais de moins en moins le week-end. Le problème, c’est que j’habite à 100 mètres du bureau. » Inutile de plaindre ce forçat du boulot. Responsable du service client (fraudes, back-office, contrefaçon…) du site Web PriceMinister, ce Breton de 38 ans n’a aucune envie de compter ses heures. « J’ai besoin d’avoir un boulot dans lequel je me reconnaisse et m’implique à 100 % », explique-t-il. Pour lui, avec ou sans stock-options, pas de réelles différences entre l’ONG Action contre la faim, où il a œuvré auparavant, notamment en Tchétchénie, et PriceMinister, dont il est l’un des pionniers et actionnaires.

« Une communauté s’y est créée. On répond à un besoin de liens. »

Comme les 150 autres salariés du site, Steven Harel pousse les portes de l’entreprise entre 8 heures et 10 heures chaque matin. Et quitte les lieux au plus tard à 19 heures. « On ne contrôle pas les horaires. Personne n’abuse. » Sauf que son job ne s’arrête pas à la porte de l’entreprise. « Même si ça n’est pas officiel, organisé, il n’y a pas une journée dans l’année où je ne suis pas en relation avec mes équipes », admet-il.

Les 35 heures pour tous ? Absurde. « Les entreprises ont des spécificités liées à leur taille, leur secteur, leur implantation. Tout ce qui est décidé au niveau national est aberrant », estime-t-il. Prêt à travailler beaucoup, Steven Harel ne manque pas pour autant de projets personnels.

En septembre 2008, il a déjà programmé un tour du monde avec sa fille, pendant neuf mois. S. B.

Auteur

  • S. B.