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Vie des entreprises

Neuf meilleur fournisseur que Free sur le social

Vie des entreprises | Match | publié le : 01.04.2007 | Anne Fairise

Au coude à coude sur le marché d'Internet, les deux concurrents divergent sur les RH. À la politique contractuelle bien rodée de l'ex-industriel s'oppose le modèle balbutiant de l'ancienne start-up Free.

Pas question d'être absent de la prochaine révolution Internet. À partir de ce mois-ci, l'opérateur téléphonique Neuf Cegetel propose aux Parisiens, pour 29,90 euros, une connexion tellement rapide (50 mégabits par seconde) qu'elle permettra de télécharger des films entiers en quelques minutes. Sans surprise, sa formule, qui intègre aussi des appels illimités vers les fixes en France et des chaînes TV, est complètement calquée sur celle de Free, attendue pour juin mais annoncée avec fracas depuis la rentrée 2006. Même volonté de Neuf de prendre la main sur le marché d'Internet haut débit : en s'engageant, en mars, à la gratuité des interventions techniques à domicile ou du délai d'attente sur sa hot line, il entend bien damer le pion à Free, poursuivi en 2006 par des adhérents d'UFC-Que choisir afin qu'il améliore son service client…

Dans l'ombre d'Orange, l'enseigne de France Télécom qui détient la moitié du marché d'Internet haut débit pour les particuliers, Free et Neuf se livrent une concurrence acharnée avec, respectivement, 19 % et 18,1 % de part de marché. Fin 2006, leur portefeuille n'affichait qu'un mince écart de 106 000 abonnés. À l'image du bouillonnant secteur des télécoms, ces challengers, nés il y a moins de dix ans et tous deux cotés en Bourse, ont connu un développement très rapide et disposent de leur propre réseau.

Mais là s'arrêtent les similitudes entre le groupe Neuf Cegetel, présidé par Jacques Veyrat, un X-Ponts de 43 ans passé par le ministère de l'Équipement, et Iliad, la maison mère de Free fondée par l'iconoclaste Xavier Niel, 40 ans, qui a bâti sa fortune en créant des services de Minitel rose. Car le positionnement, la gestion des ressources humaines et la culture même des deux sociétés divergent.

Poseur de câbles le long de la Seine

Le grand public a toujours été l'unique cible d'Iliad, spécialiste de l'édition de services Minitel, de l'exploitation de bases de données et de messageries, qui a pris en 1999 le virage Internet et y a gagné d'emblée ses galons d'agitateur, en lançant un accès… free, gratuit. Neuf, en revanche, cultive ses racines industrielles de constructeur. Le livret d'accueil remis aux recrutés en témoigne : il s'ouvre sur la photo de la première barge à avoir déployé de la fibre optique en bord de Seine. C'était en 1998 le pari de LDCom, filiale du groupe de négoce Louis-Dreyfus, qui a décidé de bâtir, le long des fleuves, un réseau concurrent de celui de France Télécom. Avant de se tourner en 2002 vers les particuliers, le futur Neuf Cegetel a d'abord loué ses fibres optiques à d'autres opérateurs et vendu téléphonie fixe et accès à Internet aux entreprises. Pour avoir développé le réseau le plus important, quelque 45 000 kilomètres, Neuf affiche des effectifs trois fois supérieurs à ceux de Free. Et composés à 80 % de cadres, à la différence de son rival, qui aligne autant de non-cadres.

Un meilleur rapport de proximité

À cela, une bonne raison : Iliad-Free est l'unique fournisseur d'accès à Internet à ne pas avoir externalisé sa plate-forme d'assistance commerciale et technique, bref sa hot line, Centrapel, qui atteint le millier de salariés. « C'est une grande fierté de Free de l'avoir dans ses murs. Conserver un rapport de proximité est essentiel », martèle sa dirigeante, Angélique Berge.

Une stratégie que vient tout juste d'adopter Neuf Cegetel : en rachetant, fin 2006, AOL France, l'opérateur a repris les 470 salariés du centre d'appels marseillais, qui devrait, d'ici à septembre, intégrer, juridiquement, l'union économique et sociale de Neuf Cegetel. « Ce sera notre centre d'expertise, un modèle dont devront s'inspirer nos prestataires extérieurs », note Antoine Bosonnet, le DRH groupe. De quoi soulever nombre d'espoirs chez les syndicats locaux. « Le rachat par Neuf Cegetel était la meilleure chose qui puisse nous arriver », clame la CFDT. « C'est une opportunité pour bénéficier, à terme, de la politique groupe », renchérit la CGT. Des enthousiasmes vite tempérés : « Le progrès social ne se fera pas au détriment de la rentabilité », reprend Antoine Bosonnet.

Les deux opérateurs n'ont pas fait les mêmes choix de construction juridique. Si Neuf s'est constitué par le rachat d'une dizaine de sociétés depuis 2001, le groupe, aujourd'hui candidat – tout comme Free – au rachat de Club Internet, a toujours joué la carte de l'intégration, juridique et sociale. A contrario de son concurrent qui regroupe une dizaine de sociétés juridiquement indépendantes, clientes les unes des autres, une seule dépassant le seuil des 50 salariés. « Un morcellement à dessein », estiment des spécialistes faisant allusion au souci constant d'économies de Iliad-Free.

Aux investissements massifs en pub (son budget 2006 pèse le quart de celui de Neuf), il préférera le marketing buzz (faire du bruit autour des offres) et une campagne décalée sur les problèmes rencontrés chez le fournisseur d'accès fictif « crétin.fr ». « C'est un autre modèle économique », souligne Angélique Berge. Les salariés d'Iliad en font les frais : ils partagent le même immeuble, en plein 8e arrondissement parisien, mais pas les mêmes avantages sociaux. Si, au 5e étage, les ingénieurs réseau de Free Télécom perçoivent un intéressement (un mois et demi de salaire maximum), les hot liners des 2e et 3e étages n'en voient pas la couleur. Pas plus que celle de la participation.

Mais, selon la direction, ces sujets figurent en bonne place dans le calendrier des négociations 2007. Une nouveauté chez Centrapel, qui a vu éclore quatre sections syndicales en 2006. « Un membre du CE a pris un mandat, d'autres ont suivi. Cela se passe bien », estime Angélique Berge. Autre vision à la CFDT, qui pointe des discussions sur le travail de nuit annulées ex abrupto, une absence d'accord sur les salaires 2006, un non-respect des obligations légales, avec « trois réunions de délégués du personnel tenues en deux ans, alors que le rythme devrait être mensuel » ou, encore, l'absence de locaux et de simples panneaux d'affichage dédiés aux syndicats. « Le dialogue reste difficile, même s'il s'est nettement amélioré. Il y a un apprentissage à faire », juge un syndicaliste, sous couvert d'anonymat. Il est vrai qu'il existe un passif avec le monde syndical qui, dès 2003, s'inquiétait de la non-organisation, depuis la création de Free, d'élections de représentants du personnel, pourtant obligatoires.

Réorganisation permanente

Rien à voir avec Neuf Cegetel, où tous les salariés bénéficient d'accords de participation, d'intéressement et d'une politique contractuelle très bien rodée. Une « question de survie, commente Olivier Bailly, de FO. Développé par croissance externe, Neuf est en réorganisation permanente ». Il faut dire que les cinq syndicats, « des partenaires responsables », selon Antoine Bosonnet, le DRH, sont implantés de longue date et que, depuis l'absorption de Cegetel en 2005, société alors de taille équivalente à l'ex-LDCom, ils n'ont pas chômé, entre le suivi du plan de départs volontaires, qui a vidé la nouvelle entité de près de 20 % de ses effectifs (voir encadré page 50) et suscité un véritable jeu de chaises musicales, et le chantier de l'harmonisation des statuts. Rien qu'en 2006, neuf accords ont été signés. De vrais travaux d'Hercule. Le groupe a recensé 950 libellés d'emplois, cadres et non-cadres, différents, qu'il a fini par réduire à 66 !

Reste que le plan de départs volontaires marque, pour tous les syndicats, une rupture positive : « Jusqu'alors, nous étions plus habitués aux licenciements individuels. En 2003-2004, on en a comptabilisé jusqu'à 600 », rappelle la CFDT. Autre signe favorable : les augmentations générales de 2005 et 2006. « L'intégration de Cegetel exigeait une certaine paix sociale », analyse la CGT, qui craint que la récente introduction en Bourse ne signe la fin de cette parenthèse.

Comme à la SNCF ou à la RATP, la direction a, en tout cas, négocié mi-2006 un dispositif d'alarme sociale. Il a déjà été activé une fois sur l'épineuse harmonisation des 35 heures. Fin avril, les ex-Cegetel bénéficiant de vingt jours de RTT devront se soumettre au régime Neuf, soit treize jours de RTT, leur accord ayant été dénoncé lors du rachat. Une pétition des syndicats a recueilli 1 500 signatures. Mais pas de quoi infléchir la position de la direction : « Il faut rester raisonnable. Les salariés ont déjà du mal à prendre leurs jours de RTT », note Antoine Bosonnet. Les syndicats pointent, eux, des horaires à rallonge non rémunérés. « Cela correspond à la culture maison qui récompense présence et surperformance », explique un technicien. « Il n'est pas facile de délimiter la frontière entre la surcharge de travail et le surinvestissement de certains salariés, qui s'imaginent encore dans une grosse start-up », modère la CFTC.

Une société créée dans un garage

Mais, avec treize jours de RTT, les salariés de Neuf Cegetel seront moins bien lotis que les ingénieurs d'Iliad, qui en comptent dix-sept. Et revendiquent l'esprit start-up de la société Free Télécom, le cœur du groupe où s'élabore la politique de R et D. Avec ses circuits de décision courts et ses hiérarchies plates. Une condition nécessaire à l'innovation et à la réactivité. « Les valeurs d'un groupe se définissent à sa création. Nous sommes encore nombreux à avoir commencé dans le même garage, dans le Xe arrondissement », souligne Benjamin M'Biandjieu, responsable « déploiement ».

Chez Neuf, la simplification des circuits de décision est aussi un leitmotiv, et la mobilité interne, érigée en véritable religion. « Il faut lutter contre trop de statut et d'embourgeoisement. C'est préjudiciable à notre capacité d'adaptation au marché », note le DRH groupe. En la matière, les salariés ont été soumis à rude épreuve : 20 % ont changé de poste en 2006. Plus de 700 mouvements ont été enregistrés en janvier 2007. Des évolutions pas toujours bien vécues : « La mobilité pourrait être mieux organisée, et le budget de la formation, augmenté », note la CFE-CGC. De réorganisation en changement de métier, Mylène, assistante de direction, a changé quatre fois de lieu de travail en deux ans ! Les disparités salariales ajoutent encore aux tensions générées, d'autant qu'il y a une politique soutenue de promotion interne. Héritage des années folles de la bulle télécoms, les fiches de paie pour un même poste varient du simple au triple. Salaire d'un responsable de pôle technique : de 29 677 à 92 892 euros brut annuel ! Trop, c'est trop ? « 25 % des salariés se disent lessivés en fin de journée », note la CFDT, qui a enquêté sur les conditions de travail, un an après la fusion.

Bien plus tranquille apparaît le quotidien d'Iliad, qui gère la croissance organique d'une seule marque et d'un seul réseau. Mais à la vitesse grand V. En six ans, la hot line Centrapel est passée de 15 à 1 000 salariés, entre les conseillers multimédias et les techniciens dédiés au dégroupage ou aux interventions à domicile. Particularité du groupe, les techniciens sont salariés de la hot line, même s'ils travaillent exclusivement pour la société Free Télécom, unique donneur d'ordres. « Les interventions extérieures sont une excroissance naturelle de l'assistance au téléphone. Mieux vaut bien connaître la relation client. Cette organisation offre des évolutions professionnelles aux conseillers », reprend Benjamin M'Biandjieu. « Chez Centrapel, tout le monde est passé par le téléphone, même les assistants RH », ajoute Angélique Berge.

Les astreintes de week-end sous-traitées

Mais ce rattachement joue sur les conditions d'emploi et de salaire des techniciens. Ils dépendent de la convention collective du Syntec, moins avantageuse que celle des télécoms adoptée par Neuf. Résultat, un technicien, titulaire d'un DUT télécoms et réseau et chargé d'un département, émarge chez Centrapel à 1 440 euros net mensuels, sans compter les interventions de nuit majorées de 25 % et des astreintes de week-end payées… 20 euros. Chez Neuf, son homologue gagne 1 900 euros net, auxquels s'ajoutent les interventions de nuit (forfait de 160 euros). Et il n'est soumis à aucune astreinte le week-end : elles sont sous-traitées. « On bosse comme des bourreaux mais Iliad radine sur tout », déplore un technicien.

Pour les conseillers multimédias, Centrapel revendique, en revanche, les meilleurs salaires du secteur. Les primes peuvent doubler le salaire de base (1 283 euros brut mensuels). « Certains conseillers, chasseurs de primes, atteignent presque 3 000 euros brut en ne prenant pas leur pause, constate un syndicaliste, déplorant ce « système de la carotte [qui] met une pression maximale ». Mais, dans un secteur perdant massivement des emplois, Iliad-Free reste à contre-courant en maintenant en France Centrapel. Son centre d'appels marocain « ne traite pas les appels des “Freenautes” », précise Angélique Berge. Une politique de non-externalisation de sa hot line dont Neuf pourrait s'inspirer en intégrant complètement l'ex-centre d'appels d'AOL France. Histoire de peaufiner son image sociale.

Neuf Cegetel

Chiffre d'affaires : 2,89 milliards d'euros (872 millions pour Internet grand public)

Salariés : 3 862 (dont 20 % environ sur Internet grand public)

Abonnés : 2,17 millions (décembre 2006)

Iliad-Free

CA 2006 : 950,2 millions d'euros

Effectifs : 1 214 salariés

Abonnés : 2,27 millions (décembre 2006)

Le succès du guichet départs dépasse les syndicats

Plus de 800 salariés partis, soit 20 % des effectifs. Le bilan du plan de départs volontaires (PDV), ouvert mi-2005 après le rachat de Cegetel, a le don de susciter un malaise chez les syndicats. Ils n'avaient pas mesuré l'ampleur des départs lorsqu'ils ont signé (CGT exceptée) l'accord de garanties sociales fixant les critères d'éligibilité et des conditions de départ généreuses : neuf mois de salaire dès la première année d'ancienneté.

« Nos marges de manœuvre étaient étroites. La direction a d'emblée communiqué sa volonté d'ouvrir un plan de départs volontaires », note la CFDT. « Les syndicats se sont retrouvés dans une situation schizophrénique, à défendre des salariés voulant partir et donc des suppressions d'emplois », souligne un cadre. La DRH, par contre, tire un bilan positif du PDV. « Un outil adapté lorsqu'il s'agit d'aller vite », selon Antoine Bosonnet. Qui a aussi rééquilibré la pyramide des âges. « Quand la majorité des salariés est trentenaire, il est difficile d'offrir à tous des évolutions. Nous avions déjà trop de managers et pas assez d'implémenteurs. » Problème résolu : en 2007, le groupe recrutera 200 personnes. Comme en 2006.

Auteur

  • Anne Fairise