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Vie des entreprises

GPEC et PSE : deux en un ?

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.04.2007 | Jean-Emmanuel Ray

L'obligation de négocier un dispositif de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences dans les entreprises de plus de 300 salariés se traduit par une jolie cacophonie judiciaire. Sur le thème suivant : doit-on articuler négociation sur la GPEC et information-consultation sur le PSE, ou faut-il les considérer comme des procédures indépendantes l'une de l'autre ?

Fallait-il que les marchands de complexité que sont devenus nombre de juristes s'emparent le 18 janvier 2005 de cette vieille pratique RH qu'est la GPEC, au risque de la faire passer du statut envié d'opportunité dynamisante à la simple exécution formelle d'une obligation légale ? Prévenir plutôt que guérir ? Transformée en obligation de négocier, cette idée simple que nombre d'entreprises pratiquaient déjà va-t-elle perdurer et avoir un effet positif pour les si nombreuses personnes concernées par les mutations économiques ?

Pis : alors que la GPEC veut responsabiliser tous les intervenants en donnant un rôle actif à chaque salarié nécessairement acteur de sa propre employabilité (cf. accord Thales et son entretien de développement professionnel différent de l'évaluation annuelle, accord SFR et son projet personnel), l'éventuelle proximité d'un PSE ne va-t-elle pas ruiner les longs et coûteux efforts des services RH, certains collaborateurs voulant attendre les conditions financières du PSE avant de s'engager dans la GPEC ? On savait déjà qu'elle tirait son prestige du mystère qui l'entoure. Mais cet « objet juridique non identifié » (Henri-José Legrand, Droit social, mars 2006, p. 330), ce concept RH, qui, à l'instar de la « flexicurité », laisse sur sa faim le juriste habitué à la définition précise des délits et des peines, met aujourd'hui nombre de juges dans l'embarras, voire sème la confusion jusqu'à la Cour de cassation.

Car quel pavé dans la mare que l'arrêt Dunlop du 21 novembre 2006 ! Alors que cette société avait prévu la suppression de 391 emplois, la chambre sociale énonce que « la nouvelle organisation mise en place, qui procédait d'une gestion prévisionnelle des emplois destinée à prévenir des difficultés économiques à venir et leurs conséquences sur l'emploi, était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise et du secteur d'activité du groupe dont elle relevait ». Certes vaut-il mieux licencier un peu, tout de suite, que beaucoup plus, plus tard, mais de là à associer GPEC et suppression de 391 emplois… Liaisons dangereuses que ce rapprochement GPEC-licenciement économique. Tentons d'y voir plus clair.

LA GPEC N'EST PAS NÉE LE 18 JANVIER 2005

L'article L. 320-2 est dans la droite ligne de nombreux textes antérieurs, la plupart sans seuil d'effectifs, qui restent applicables aujourd'hui.

• « Les entreprises doivent s'efforcer de faire des prévisions de façon à établir les bases d'une politique de l'emploi. » Même avant cet accord national interprofessionnel du 10 février 1969, quel employeur ne faisait pas de la GPEC comme M. Jourdain de la prose ?

• La loi du 2 août 1989 relative – déjà – à la prévention des licenciements économiques avait créé l'article L. 432-1-1 évoquant l'information-consultation du comité d'entreprise « sur les évolutions de l'emploi et les qualifications dans l'entreprise, les prévisions annuelles ou pluriannuelles et les actions, notamment de prévention et de formation, que l'employeur envisage de mettre en œuvre compte tenu de ces prévisions ». C'est entre autres sur la base de cet article si méconnu que le TGI de Paris avait, le 5 octobre 2006, suspendu la procédure chez NextiraOne. Ordonnance confirmée, sinon élargie, par la cour d'appel de Paris le 7 mars 2007 dans un arrêt longuement motivé, qui commence par une utile mise au point : « Les négociations sur la GPEC doivent avoir été engagées pour la première fois avant la date du 20 janvier 2008, qui constitue l'échéance d'un premier délai de trois ans. » Mais l'arrêt de poursuivre : « Soumise à une obligation de négocier à compter de la date de promulgation de la loi du 18 janvier 2005, et s'étant vu réclamer l'ouverture de telles négociations à raison d'un projet de mutation économique dont il convenait de prévenir les conséquences annoncées, la société se devait de satisfaire à cette obligation. » Rappelant ensuite que « la négociation sur la GPEC n'a de pleine utilité que si elle intervient avant la prise de décision sur la modification des emplois et les éventuels licenciements », la cour de Paris conclut : « La procédure de négociation prévue à l'article L. 320-2 est d'autant plus impérative qu'un employeur envisage une décision susceptible d'avoir des effets sur l'emploi et que le comité d'entreprise la sollicite pour cette raison » (suspension confirmée de la procédure d'information-consultation).

• Article L. 930-1 (loi du 4 mai 2004) : « L'employeur a l'obligation d'assurer l'adaptation de ses salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations. Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences. »

• Article L. 321-1 : le licenciement économique ne peut intervenir « que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés », et pas seulement pour les entreprises de plus de 300 salariés.

QUESTIONS DE PROCÉDURES

Dans l'esprit du législateur de 2005, il fallait, à côté de la création des accords dérogatoires (car sont-ils encore de méthode ?), ne pas se contenter de simplifier les procédures. Mais aussi remonter le plus en amont possible pour maintenir l'employabilité des salariés grâce à des accords de GPEC. Deux en un ? Évoquant in fine la possibilité « de négocier sur les matières mentionnées à l'article L. 320-3 », l'article L. 320-2 semble lier les deux en permettant de faire tout à la fois. Un tel accord peut donc inclure – à froid – un autre accord définissant la procédure applicable en cas de licenciement collectif futur. Rapprochement cependant rarement productif en termes symboliques, et donc de signatures : si nombre de syndicats acceptent d'entrer dans un processus de GPEC, ils ne souhaitent pas sembler légitimer par avance un futur PSE.

Cette liaison entre gestion préventive de l'employabilité de chaque salarié à moyen terme et décision programmée de suppressions d'emplois a provoqué une grande cacophonie en provenance des TGI et même de cours d'appel, sans qu'il faille vraiment s'étonner de la diversité de ces décisions, phénomène classique avant stabilisation.

• Pour certains TGI confondant progrès et procédures, la très complexe « procès-dure » de licenciement économique, au sens lacanien, connaîtrait depuis janvier 2005 et pour les entreprises de plus de 300 salariés une phase supplémentaire et obligatoire en amont de tout PSE : la négociation d'un accord de GPEC, sous peine de suspension de la procédure d'information-consultation. Cette position est à l'opposé de celle du législateur de 2005 voulant au contraire simplifier ces mêmes procédures (cf. disparition de Framatome-Majorette). Et elle semble oublier qu'il s'agit d'une simple obligation de négocier, et non de signer : quel effet utile attendre d'une négociation sous contrainte judiciaire, sinon un effet littéralement dilatoire ?

• Pour d'autres TGI mieux inspirés, « l'article L. 320-2 prévoit des négociations triennales destinées à anticiper l'avenir et à prendre les mesures d'adaptation de l'emploi nécessaires aux évolutions prévisibles. La GPEC constitue donc une procédure autonome qui s'inscrit dans la durée, et non une négociation distincte supplémentaire, préalable à celles prévues par les Livres III et IV du Code lorsque ces consultations doivent être mises en œuvre. Le fait que les négociations sur la GPEC n'aient pas été préalablement mises en œuvre à la consultation Livre IV ne constitue pas un trouble manifestement illicite justifiant la suspension de la procédure du Livre IV, ni donc, par conséquent, celle du Livre III » (TGI de Versailles, référé, 13 février 2007).

• Pour d'autres TGI, enfin, si telle semble avoir été la volonté des signataires, la signature d'un accord de GPEC interdit à l'employeur tout licenciement économique avant qu'il n'ait été exécuté : « Les partenaires sociaux ont entendu soumettre la mise en œuvre des titres II, puis III de l'accord, correspondant aux procédures des Livres IV et III du Code du travail, à la défaillance constatée de la GPEC qui doit être préalable » (TGI de Nanterre, 5 septembre 2006, CCE Cap Gemini) : aux négociateurs, donc, d'acter exactement ce qu'ils veulent.

GPEC ET LICENCIEMENT ÉCONOMIQUE

Sans épiloguer sur l'excessive proximité des articles L. 320-2, L. 320-3, L. 321-1, à laquelle le nouveau Code du travail veut remédier en séparant bien GPEC (article L. 2241-4, section « négociation triennale ») et licenciements (L. 1233-21 et s., « droit du licenciement économique »). Sans faire de procès d'intention tout en remarquant que certaines négociations servent aussi à préparer les esprits pour une restructuration à venir, voulant ainsi dédramatiser cet événement prévisible…

Remarquons d'abord qu'au-delà de la mobilisation du plan de formation ou de la VAE, nombre d'accords de GPEC prévoient de larges mobilités professionnelles et/ou géographiques. Même si la plupart d'entre elles sont fondées sur le volontariat, quid des collaborateurs refusant de rejoindre leur nouveau poste ? Le droit de la modification du contrat de travail n'est, in fine, guère éloigné de celui du licenciement économique.

Si l'accord de GPEC donne son plein effet avec formation et mobilité à tous les étages, il faut que l'administration comme les juges en tiennent compte en aval, à l'instar du préfet qui, depuis 2007 pour les entreprises tenues à une obligation de revitalisation du bassin d'emploi, doit prendre en compte les actions préventives réalisées grâce à un accord de GPEC. Juges et DDTE doivent aussi comprendre qu'un tel accord limite forcément en aval les postes disponibles au reclassement. Le paradoxe serait qu'une GPEC rondement menée, car lourdement financée, conduise au constat de carence, à l'ordonnance d'annulation ou au jugement prud'homal de défaut de cause réelle et sérieuse faute de reclassements suffisants dans le PSE…

FLASH
Modifications et reclassement

« Les dispositions de l'article L. 321-1-2 ne sont pas applicables à la proposition de modification du contrat faite au salarié dans le cadre de l'obligation de reclassement en vue d'éviter le licenciement résultant de la suppression d'un emploi » (Cass. soc., 17 mai 2006). Si l'employeur proposant une véritable modification du contrat de travail dans le cadre d'un accord de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences doit utiliser la procédure prévue par l'article L. 321-1-2 (qui ne dit mot dans le mois consent), et si celui qui l'utilise alors qu'il ne s'agit que d'un simple changement dans les conditions de travail « reconnaît par là même que cette proposition a pour objet de modifier le contrat » (Cass. soc., 6 mars 2007), cette exception à la règle ne s'applique pas en cas de reclassement pour motif économique… alors qu'il pourra s'agir du même poste. « Une proposition de modification du contrat de travail ne constitue pas un reclassement : le refus par le salarié d'une telle proposition faite par l'employeur ne dispense pas ce dernier de son obligation de reclassement. » (Cass. soc., 14 décembre 2005.) Bref, le salarié qui a refusé Vesoul dans le cadre de la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences pourra revoir Vesoul dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi monté quelques mois plus tard.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray