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Politique sociale

La fonction publique se décloisonne en catimini

Politique sociale | publié le : 01.04.2007 | Nadia Salem

Sur les 900 corps de fonctionnaires que compte l'État, 234 ont déjà fusionné. Cette démarche sans précédent lève un frein à la mobilité des agents. Un préalable à d'autres réformes plus délicates.

Direction Bercy. Il y a quelques mois, Nicolas a enfin obtenu sa mutation au ministère de l'Économie et des Finances après huit années passées à l'Agriculture. Une bouffée d'oxygène pour ce jeune attaché d'administration centrale qui, faute d'avoir réussi l'ENA, rongeait son frein dans son ministère d'origine. « Pour progresser lorsqu'on a le statut d'attaché, il n'y a qu'une solution : passer le concours de l'ENA qui conduit directement à la catégorie A +, celle des hauts fonctionnaires. Car la promotion par voie de détachement reste un véritable parcours du combattant. »

C'est pour remédier à ce genre de difficulté et pallier les rigidités du statut de la fonction publique que le ministère de tutelle a entrepris en 2005 un sérieux toilettage des quelque 900 corps où sont répartis les 2,5 millions de fonctionnaires d'État. Corps des bibliothécaires, des greffiers, des auxiliaires de puériculture ou des professeurs d'université de seconde classe… certains ne comptant plus que quelques dizaines d'agents, comme les huissiers des ministères. « On a trop tendance à cantonner les agents dans leur corps ou leur grade. Il faut regrouper, simplifier, ouvrir pour offrir de meilleures perspectives de carrière et permettre aux agents d'accéder à des postes supérieurs. Il ne doit plus y avoir de chasses gardées », explique Paul Peny, directeur général de l'administration et de la fonction publique. Face au gigantesque défi d'ordre démographique auquel est confrontée la fonction publique avec ses 45 000 à 60 000 départs en retraite chaque année, mais aussi budgétaire avec une dette publique qui dépasse les 1 200 milliards d'euros, cette obscure réforme pourrait sembler un brin dérisoire. Pourtant, c'est toute l'organisation de la fonction publique qui va s'en trouver chamboulée. S'il ne s'est pas risqué à toucher au vénérable statut des fonctionnaires hérité de l'après-guerre, le gouvernement Villepin a souhaité « faire bouger les lignes ». En clair, accroître la mobilité, dégraisser, introduire la rémunération au mérite, diffuser une culture de la performance. En commençant par réduire le nombre de corps.

Une approche « métier »

En un an, 234 corps de fonctionnaires (25 % du total) ont été fusionnés. « Un effort sans précédent », selon Paul Peny, qui prévoit une montée en charge en 2007. « La recomposition intégrale du corps des attachés est presque finie », assure-t-il. Finalement, 34 corps d'attachés, les cadres de l'administration, soit plus de 25 000 agents, seront regroupés en 14 corps. En 2003, le Conseil d'État, dans un rapport sur les « perspectives pour la fonction publique », préconisait de « remplacer près d'un millier de corps par moins de 50 cadres de fonctions à partir de sept ou huit filières professionnelles nécessaires aux missions civiles de l'État » (administration générale, ingénierie et services techniques, enseignement et recherche, secteur médico-social…). Une approche « métier » qui a la faveur de la direction de la fonction publique. Son objectif : constituer des viviers de compétences dans lesquels les administrations pourraient puiser.

Sous-directrice des élus locaux au ministère de l'Intérieur, Michèle Kirry souscrit à la démarche. « L'enjeu est d'adapter la fonction publique aux nouvelles exigences du service public : rendre le meilleur service au meilleur coût. » Plus sceptique, Hélène Jacquot-Guimbal, DRH au ministère de l'Équipement, estime que « la simplification des corps est une mesure pleine de bon sens. Mais elle doit s'inscrire dans le cadre d'une véritable gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences et nécessite une politique incitative ».

À l'Agriculture, autre ministère technique fort de 30 000 fonctionnaires, Pascale Margot-Rougerie, chef du service des ressources humaines, pointe les limites de l'exercice : « Nous avons été les premiers à fusionner les trois corps d'attachés en septembre 2006. Mais, compte tenu de la spécificité et de la diversité de certains métiers, on s'interroge sur la pertinence de certaines fusions. Par ailleurs, poursuit-elle, nous sommes très dépendants de la réglementation européenne dans le domaine agricole. La PAC doit être révisée en 2013. Difficile, dans ces conditions, de faire de la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences dans notre administration. » Le pari d'offrir de nouvelles perspectives de carrière aux fonctionnaires est loin d'être gagné. « Lever un frein, celui du morcellement des statuts, ne garantit pas le cercle vertueux de la mobilité. Il faut aussi de la motivation, précise Hélène Jacquot-Guimbal. Si un travail n'est pas fait en parallèle sur la formation continue, la fusion de corps peut même s'avérer contre-productive. »

Parcours, professionnalisation, personnalisation. L'alpha et l'oméga de la gestion des carrières dans la fonction publique s'inscrivent désormais dans ce triptyque. Au ministère de l'Intérieur, la sous-direction des personnels vient de créer une mission des parcours professionnels pour assurer une gestion individualisée de ses cadres. « Lorsqu'on recrute un attaché issu d'un institut régional d'administration, on sait qu'il est là pour trente ans. Or il n'est plus possible qu'un cadre reste quinze ans au même endroit », assure Michèle Kirry. Dans le nouveau dispositif, l'évaluation des personnels devient un exercice essentiel auquel l'encadrement devra être préparé. En bon élève, le ministère de l'Intérieur expérimentera pendant trois ans, avec d'autres administrations, la mise en œuvre d'un entretien professionnel, un outil de GRH qui pourrait remplacer à terme la notation. Une sacrée révolution !

Mais le chantier de la mobilité et de l'accélération des carrières risque de buter sur l'obstacle salarial. Si les regroupements de corps ont été accompagnés d'une revalorisation indiciaire de 0,3 %, pour les syndicats, le compte n'y est pas. « La grille des salaires ne cesse de s'affaisser, indique, pour sa part, l'UGFF CGT. En 1983, l'indice initial de la catégorie A se situait à 1,7 fois le smic. Aujourd'hui, il est à peine à 1,3. » Hubert Lebreton, de la CFDT Équipement, revendique « une harmonisation des régimes indemnitaires ». La multiplication des primes et le manque de transparence des régimes indemnitaires ont conduit, en effet, selon lui, au « fouillis baroque » dénoncé, en 2004, par le Comité d'enquête sur le rendement et les coûts du service public, un organe associé à la Cour des comptes. Pour Michèle Kirry, de l'Intérieur, le régime indemnitaire nécessite d'être refondé, « dans le respect d'un certain nombre de principes, notamment celui de l'égalité de traitement entre agents d'un même corps ».

Vers la rémunération au mérite

À la Direction générale de l'administration et de la fonction publique, le discours est clair. « La reconnaissance du mérite individuel doit être renforcée. Cela nécessite de moduler davantage une partie de la rémunération. » En 1946, lors de son élaboration, le statut de la fonction publique avait prévu des primes pour « ceux qui auront permis, grâce à leur esprit d'initiative, la réalisation d'économies ou l'augmentation de la productivité ou du travail en commun ». Cette exigence, restée lettre morte, pourrait resurgir, à la faveur de la réforme des corps. « En général, on n'entre pas dans la fonction publique pour gagner beaucoup d'argent », estime Anne. À près de 40 ans, elle a décidé de poursuivre sa carrière dans la fonction publique après avoir connu une période de chômage. « Ce qui est motivant, c'est de pouvoir évoluer au sein d'une même administration ou de multiplier les expériences. Et tout cela dans un cadre encore relativement protecteur. » Pour cette ex-cadre commerciale qui maîtrise deux langues étrangères, « la fonction publique, qui recrute des gens de plus en plus diplômés, se doit de leur offrir des perspectives de carrière plus stimulantes et des modes de rémunération moins figés. Au risque, sinon, de générer des frustrations ».

La réforme des corps réserve encore des surprises. Parmi les syndicats de fonctionnaires, certains regrettent le « manque de démocratie » dans sa mise en œuvre. Mais la contestation pourrait prendre de l'ampleur si les prérogatives des commissions administratives paritaires (CAP) en matière de promotion interne ou d'avancement étaient remises en cause. D'autant que les regroupements de corps réduisent mécaniquement le nombre de CAP, hauts lieux du dialogue social dans la fonction publique…

Chez nos voisins aussi

Démographie, mobilité, performance : les DRH des administrations ont les mêmes défis à relever en Europe. Mais les voies qu'ils empruntent diffèrent. Illustration.

En Italie, réforme des administrations centrales, contractualisation, réglementation, réforme budgétaire, transparence… ont été les piliers de la réforme au milieu des années 80.

Aux Pays-Bas, la création d'agences, en 1994, a eu pour objectif de mieux articuler conception, mise en œuvre et évaluation des politiques publiques. Cette réforme a conduit les Pays-Bas à revoir les missions et les rôles des ministères et des agences. Aux exigences de performance qui incombent aux agences doit correspondre la capacité des ministères à les contrôler et à les évaluer.

En Suède, les leviers de réforme ont été la rationalisation budgétaire, avec l'introduction de plafonds de dépenses par secteur (la hausse de la productivité de l'administration est inscrite dans la loi et, chaque année, 2 % du budget des agences est supprimé), la relégitimation de la fonction publique (séparation du contrôle et de la production de services, concurrence et recours à la sous-traitance), l'importance accordée aux partenaires (relation administration-citoyen et coparticipation des employés).

Au Royaume-Uni, le levier citoyen a été très important. La pression des « clients » de l'administration a conduit le gouvernement à adopter en 1998 600 objectifs stratégiques (réduits à 200 en 2002) : les Public Service Agreements (PSA).

L'Allemagne a depuis longtemps une double filière de recrutement. Seuls les Beamte sont des agents titulaires de la fonction publique. D'autres personnels assurant une mission de service public sont des salariés de droit privé.

Glossaire

CORPS : le corps d'appartenance correspond à un statut, à des attributions, à une grille de rémunérations. Il est divisé en grades.

GRADE : indique le niveau hiérarchique d'un emploi. Le fonctionnaire est titulaire de son grade mais pas de sa fonction, laquelle dépend de son autorité de tutelle.

EMPLOI : dans le statut général, la notion d'emploi est le plus souvent synonyme de poste ou de fonction exercée, mais elle continue d'avoir une connotation budgétaire. Avec la Lolf, les ministères pourront librement utiliser le départ d'un agent pour redéfinir son emploi et en déclarer la vacance. Ils auront également la faculté d'utiliser à d'autres fins les crédits ainsi libérés.

Auteur

  • Nadia Salem