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Idées

L'assouplissement des règles du travail dominical doperait-il l'emploi ?

Idées | Débat | publié le : 01.04.2007 |

Saisi par Dominique de Villepin, le Conseil économique et social a recommandé, dans un récent avis, de maintenir le principe du repos dominical et de ne pas assouplir le régime des dérogations. En la matière, le statu quo n'est-il pas préjudiciable à l'emploi ? Les réponses d'un chercheur du Credoc, du rapporteur du CES et d'un économiste de la CCIP.

Philippe Moati Chercheur au Credoc

“Les effets sur l'emploi seraient probablement modestes”

Si l'ouverture dominicale devait s'accompagner de l'augmentation de la durée hebdomadaire d'ouverture des magasins, les distributeurs devraient accroître le volume global de l'emploi. Toutefois, si l'élévation des frais de personnel ne s'accompagne pas d'un surcroît de ventes, il est douteux que les distributeurs soient volontaires pour ouvrir régulièrement le dimanche. La question est donc de savoir si l'ouverture dominicale est susceptible d'accroître la consommation des ménages. On voit mal, a priori, comment l'accès aux commerces le dimanche augmenterait le pouvoir d'achat, premier déterminant du niveau de la consommation. Pourtant, à revenu disponible donné, les ménages peuvent moduler leur consommation en ajustant un taux d'épargne élevé. Dans un pays riche, où la majeure partie de la population a largement satisfait ses besoins de base, la propension à consommer dépend aussi du temps disponible, de l'état psychologique dans lequel se trouvent les consommateurs et de leur exposition aux éléments de contexte susceptibles de déclencher des achats d'impulsion…

Accéder au commerce le dimanche, c'est incontestablement plus de temps pour pratiquer l'achat plaisir et flâner en famille. Ainsi, s'il est douteux que l'ouverture du commerce le dimanche conduise à une augmentation de la consommation alimentaire, on peut estimer qu'elle stimulerait les ventes de biens d'équipement de la personne ou du foyer et de produits associés aux loisirs. Quels en seraient les effets sur l'emploi ? Probablement modestes. Certes, les distributeurs bénéficiant de ce surcroît d'activité seraient incités à embaucher. En revanche, les effets indirects resteraient limités, car une grande part des produits qui bénéficieraient de ce surcroît de consommation est importée. À l'inverse, les sommes dépensées risqueraient d'être détournées d'usages plus bénéfiques à l'emploi : les services à la personne, les activités récréatives et culturelles…

Les 35 heures ont donné aux salariés davantage de latitude pour organiser leurs achats ; la part des inactifs est appelée à croître avec le vieillissement de la population. La contrainte temporelle qui pèse sur la consommation des ménages s'est donc desserrée et se desserrera encore. L'effet hypothétique de l'ouverture du commerce le dimanche sur l'emploi est-il suffisant pour justifier le coût social et sociétal de ce qui constituerait un renforcement de l'emprise de la sphère marchande ?

Léon Salto Membre du CES

“Il faudrait mesurer s'il y aurait en contrepartie des destructions d'emplois ailleurs”

Cette question en appelle immédiatement une autre : pour quoi faire ? Est-ce pour faciliter aux consommateurs l'accès aux commerces, pour permettre aux commerçants d'améliorer leur chiffre d'affaires ou pour créer des emplois ? Ce dernier aspect est le plus important et justifie un examen approfondi. Dans un avis voté le 28 février 2007, le Conseil économique et social a recommandé d'aménager les modalités d'application des dérogations de plein droit. D'une portée pratique et pragmatique, ces propositions visent à harmoniser, simplifier et rendre plus équitables les règles actuelles. Si elles sont suivies d'effet, elles pourront apporter une solution à de nombreuses difficultés.

En même temps, le Conseil économique et social a recommandé de ne pas banaliser le dimanche en en faisant un jour comme les autres, sans pour autant éluder les questions qui restent posées. Il s'agit notamment de l'admission de certaines professions, telles que l'ameublement, l'équipement de la maison, le bricolage, au nombre des dérogations de plein droit. Il s'agit aussi de l'élaboration d'un concept correspondant au cas d'ensembles multicommerces importants mettant en jeu un grand nombre d'emplois, voire d'une augmentation maîtrisée du nombre de dimanches exceptionnellement travaillés.

Ces questions méritent d'être regardées de près, en même temps que l'impact sur l'emploi, la nature des compensations en termes de rémunération et la garantie du respect du volontariat des salariés. S'agissant de l'emploi, il faudrait mesurer combien d'emplois sont en jeu dans le cadre des dérogations individuelles existantes, combien d'emplois pourraient être créés, quelle serait leur pérennité, s'il y aurait en contrepartie des destructions d'emplois par ailleurs.

Il faut mesurer, aussi, les conséquences de nouveaux aménagements à la réglementation actuelle, qui entraîneraient de proche en proche une extension plus large que souhaitée pour des raisons de concurrence.

C'est pourquoi, avant d'aller plus loin, il était important de replacer le sujet au sein d'une interrogation d'ensemble délivrant une vision de la société dans laquelle nous souhaitons vivre, validant la réalité des besoins et des demandes et évaluant l'impact des évolutions éventuelles. C'est tout le sens de la démarche qu'a adoptée le Conseil économique et social.

Jean-Louis Biacabe Directeur de la prospective économique et sectorielle à la CCIP

“L'effet est probablement faible compte tenu du taux de fuite vers les importations”

Diviser par sept un gâteau partagé jusqu'alors en six peut-il contribuer à l'agrandir ? C'est la difficile équation que doivent résoudre les économistes confrontés à la question de l'ouverture dominicale et de son impact sur la consommation. Cette réforme repose sur la conviction que, l'offre créant la demande, les dépenses des ménages seraient dopées par une offre commerciale élargie. Mais, la consommation dépendant des revenus disponibles, il faut alors parier sur un effet multiplicateur important (plus de consommation, plus d'emplois et donc plus de revenus) pour financer ce surcroît de dépenses. Le hic, c'est que ce multiplicateur est probablement faible compte tenu d'un taux de « fuite » élevé vers les importations.

Pour financer ces dépenses, il faut donc supposer une baisse de l'épargne des ménages ou un changement dans la structure de leurs dépenses (plus de biens vendus par le commerce/moins de services), au risque de favoriser les importations. Au-delà de ces aspects macroéconomiques, l'ouverture dominicale soulève aussi la question de la concurrence entre les différentes formes de vente. Car toutes ne sont pas égales face à ce défi. Les grandes entreprises sont, à l'évidence, mieux armées pour y faire face que le petit commerce, limité dans ses capacités d'embauche ou d'accroissement de ses horaires. S'engager dans cette voie aurait donc d'importantes conséquences sur l'appareil commercial.

Reste que le statu quo n'est plus tenable. La multiplication des exceptions à la règle du respect du repos dominical (zones touristiques, augmentation du nombre de dimanches ouverts, etc.) fausse ainsi la concurrence, les commerces pouvant ouvrir profitant d'une rente administrative pour détourner des flux commerciaux au détriment des autres. Par ailleurs, le commerce électronique, ouvert 24 heures sur 24 et 365 jours par an, devient une redoutable alternative, faisant de l'ouverture dominicale une réponse défensive pour le commerce de détail.

La pression est donc forte pour une clarification, voire un assouplissement des règles, d'autant que le succès des ouvertures dominicales montre l'existence d'une demande du corps social. Indépendamment des enjeux sociaux, voire sociétaux, l'enjeu économique majeur est bien celui de la survie d'un commerce de proximité déjà mal-en-point, mais qui remplit encore un rôle important dans le maintien du lien social et l'animation des centres-villes.