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Vie des entreprises

Les firmes yankees courtisent les salariés gays

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.03.2007 | Isabelle Lesniak

Droits accordés aux concubins, clauses antidiscriminations, lobbying auprès des élus… les grandes boîtes américaines chouchoutent leurs salariés homos. Non sans heurt avec une opinion plus conservatrice.

Dites LGBT (pour lesbian, gay, bisexual and transexual) à un patron américain si vous voulez le faire réagir. En effet, face à la pénurie de cadres de haut niveau, les entreprises américaines rivalisent d'attention pour attirer et retenir ces employés qui, il y a quelques années encore, préféraient rester dans l'ombre. « Ils peuvent enfin dévoiler leur orientation au bureau sans craindre l'ostracisme et les brimades de leurs collègues ou les sanctions de leur hiérarchie. Ils mettent volontiers une photo de leur partenaire sur leur bureau et n'ont aucun état d'âme à l'inviter aux sorties de l'entreprise », se réjouit Jere Keys, porte-parole d'Out & Equal, une association de San Francisco qui, depuis 1999, milite pour les droits des LGBT au travail. Si les mentalités ont autant évolué, c'est aussi en partie parce que, depuis cinq ans environ, de plus en plus de compagnies se démènent pour que les LGBT se sentent à l'aise chez elles. « Il est tout à fait naturel que les sociétés s'ouvrent aux LGBT, renchérit Joe Solmonese, président de Human Rights Campaign, la plus importante association de défense des droits des gays. Selon le dernier recensement, il y a des couples du même sexe sur 99 % du territoire américain. Chaque entreprise a donc statistiquement une chance d'y être confrontée. » Les LGBT sont à ce point devenus un fait de société que le magazine Fortune a consacré, en décembre, une enquête de neuf pages à la Queer Inc. : la société homo…

Une vraie révolution Pour la première fois, la majorité des 500 plus grandes entreprises américaines – les fameuses Fortune 500 – offrent des prestations aux partenaires du même sexe que leurs employés, alors qu'elles n'étaient que 5 % à le faire il y a dix ans. Aujourd'hui, dans 263 grandes sociétés, ils bénéficient de la couverture santé du salarié, sont aidés lorsque celui-ci est muté dans un autre État ou indemnisés s'il décède. « C'est une vraie révolution par rapport à il y a quinze à vingt ans », témoigne, en connaissance de cause, Jim Freeman, vice-président de la division Global Services d'IBM, basée à San Francisco. « En 1988, quand j'ai été transféré de l'État de New York à celui de Californie, je n'ai pas osé demander à ma hiérarchie de trouver un poste là-bas pour mon compagnon, également salarié chez IBM. J'ai même fait appel à la médecine du travail pour qu'on lui invente une excuse médicale afin de justifier son déménagement ! » De même, 98 % des Fortune 500 ont amendé leur code éthique pour que les clauses antidiscriminations couvrent non seulement le sexe, la race, l'âge ou la religion, mais aussi l'orientation sexuelle des employés. Une garantie appréciable alors que, dans 33 États, un salarié peut toujours être licencié en toute légalité du fait de son homosexualité…

Plus audacieux encore : 40 % des grandes entreprises s'attachent à protéger leurs cadres transsexuels en cas de discrimination. Et une poignée d'entre elles, des pionnières comme IBM ou les assurances State Farm, remboursent même intégralement les frais liés au changement de sexe, des premières consultations chez le psychiatre à l'intervention chirurgicale.

L'un des principaux moteurs de cette évolution des mentalités est le développement des réseaux de salariés LGBT : 177 d'entre eux, présents dans 126 entreprises, sont affiliés à l'association Out & Equal. Ils se nomment Gleam chez Microsoft, bEYond chez le consultant Ernst & Young, Gable chez Procter & Gamble, Lambda chez Eastman Kodak… Ces structures militent à la fois pour une évolution des droits en interne et pour une prise de position publique de l'entreprise sur les sujets qui leur tiennent à cœur. Ainsi, le Gleam a convaincu, au printemps dernier, Microsoft de soutenir un projet de loi visant à interdire la discrimination contre les homosexuels. De même, c'est sous la pression du Gable que Procter & Gamble, basé à Cincinnati, a fait campagne pour la révocation de l'article 12 – une mesure approuvée à 65 % par les électeurs – qui interdisait à la municipalité de prendre des mesures contre la discrimination des gays. L'article incriminé a fini par être abrogé en 2004.

Les entreprises en avance sur l'opinion. Mais ces engagements très nets de la part de certaines entreprises ne sont pas sans risques dans un pays où l'homosexualité déclenche encore les passions. Les mouvements conservateurs n'hésitent pas à appeler au boycott des sociétés qu'elles jugent trop généreuses envers les LGBT. Depuis 2005, Ford a été sanctionné pour avoir passé des publicités dans des magazines gays, le géant de la grande distribution Wal-Mart pour avoir subventionné la National Gay and Lesbian Chamber of Commerce de Washington. Et l'American Family Association – forte de 3,4 millions de membres – a appelé au boycott de la lessive Tide et des couches Pampers pour punir Procter & Gamble d'avoir offert des prestations sociales aux partenaires du même sexe que ses employés. Mais la plupart des sociétés concernées n'ont pas cédé aux pressions. « Sur ce sujet, la corporate America est largement en avance sur la société », se félicite C. Stone Brown, du mensuel Diversity, un magazine qui vante les vertus de la diversité dans l'entreprise.

674 milliards de dollars

C'est le pouvoir d'achat cumulé des consommateurs gays, estimé par l'agence spécialisée Witeck-Combs Communications.

Auteur

  • Isabelle Lesniak