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Vie des entreprises

Gestion à l'ancienne contre management high-tech

Vie des entreprises | Match | publié le : 01.03.2007 | Anne-Cécile Geoffroy

Fini la rémunération à la tâche pour les coursiers. Une révolution pour le pionnier LNC, un non-événement chez Novea, qui, conjuguant hub et PDA, incarne la nouvelle génération.

L'année 2007 s'annonce noire pour les coursiers. Depuis le 1er janvier, la convention collective a mis fin au principe de rémunération à la tâche et rendu obligatoire le salaire fixe avec une prime variable selon la qualification du salarié. Une petite révolution dans le monde de la course, qui a toujours marché à la carotte, en travaillant dur. « Jusqu'à présent, le coursier n'avait comme seul repère que le nombre de bons. S'il faisait 1 000 bons dans le mois à 2 euros le bon, il voulait voir s'afficher 2 000 euros au bas de sa fiche de paie. Un point c'est tout », explique Bruno Frélot, de la Fédération des transports CFTC. « La pilule est difficile à avaler pour eux. Ce sont des gens qui ont l'illusion d'être indépendants et de pouvoir dire merde à leur patron s'ils ne veulent pas travailler un jour parce que, la veille, ils ont fait la fête tout en se disant qu'ils se rattraperont en bossant plus dur les jours suivants », décrypte François Thomas, de la CGT Coursiers. Il y a encore dix ans, un coursier pouvait toucher trois fois le smic. Une aubaine pour des jeunes qui arrivaient dans ce métier sans qualification particulière.

Nouvelle génération.

Chez Les Nouveaux Coursiers (LNC), l'une des plus grosses sociétés de courses d'Ile-de-France, il n'y a pas encore eu de réclamation. « Mais tous les coursiers ont dû décortiquer leur fiche de paie fin janvier pour savoir s'ils n'avaient pas été roulés », suppose Éric Darras, le patron de LNC. Sa société fait partie de l'histoire des entreprises de courses qui ont connu les heures de gloire du métier dans les années 80 et 90. Ancien de la pub, Éric Darras s'est lancé au début des années 80 et a commencé l'aventure seul au volant de son scooter. « Au bout de quatre mois j'avais embauché cinq personnes. Aujourd'hui, nous sommes 180 salariés, dont une centaine de coursiers et 40 chauffeurs », raconte ce quinquagénaire.

Rien de tel chez Novea, le petit dernier du monde de la course en Ile-de-France, qui se veut le représentant d'une nouvelle génération. « Nous avons délibérément choisi un nom déconnecté du monde de la course. Avec Philippe Lereffait, mon associé, nous voulons dépoussiérer le métier », explique Mickael Macé, son jeune P-DG. Lancé en 2002, ce holding est le fruit du mariage de trois sociétés de courses (API Courses, SOS Coursiers et Sprint Courses, créées dans les années 90) et d'Orange Web, PME spécialisée dans les logiciels de traçabilité.

Un hub comme point de ralliement.

Depuis, l'entreprise grossit chaque année par croissance externe en rachetant des petites sociétés, comme Courses Éclair, une entreprise d'insertion strasbourgeoise, ou, plus récemment, Eurodès. Elle surfe aussi sur la vague du développement durable en vantant son partenariat avec Urban Cycle, une entreprise de courses à vélo et en rollers. Aujourd'hui, elle compte 120 salariés dont 105 coursiers. À deux pas de la porte Maillot, un petit local sert de point de ralliement aux coursiers de Novea. Dans le vocabulaire maison, il s'agit d'un hub où les coursiers déposent ou récupèrent des plis. Max est venu y faire une pause-café avant d'enfourcher à nouveau son scooter. Il travaille depuis deux ans pour Novea et ce 1er janvier n'aura pas changé grand-chose pour lui. Car l'entreprise ne rémunère plus au bon depuis longtemps. « C'est nettement mieux, explique-t-il. Moins stressant. Tu sais combien tu gagnes à la fin du mois. T'es pas là à calculer tes bons ou à brûler le bitume pour faire du chiffre. »

Sur le plan commercial, la société a arrêté de vendre des bons ou des unités à ses clients pour leur proposer un système de tarification par zone, identique à celui de la RATP. « Cette stratégie influe directement sur la rémunération des coursiers. Nous ne vendons plus de bons, donc nous ne rémunérons plus à la performance, comme c'est la pratique dans le secteur », explique Mickael Macé.

Concrètement, un coursier de Novea touche un salaire fixe égal au minimum conventionnel – légèrement supérieur au smic – auquel s'ajoutent une prime de 150 euros pour l'entretien du véhicule et une prime de présence de 150 euros, dégressive dès le deuxième jour d'absence. Une politique de rémunération qui a fait fuir plusieurs coursiers de la société Eurodès, rachetée dernièrement par Novea. « La mentalité dominante du coursier est celle du mercenaire, payé à la tâche et capable de passer d'une société à l'autre pour 10 centimes d'euro de différence par bon. Nous proposons un modèle économique et social différent. Nous ne donnons aucun objectif en nombre de courses journalières, mais nous sommes très exigeants quant à la qualité de la course », explique Philippe Lereffait.

Chez LNC, le coursier débutant est désormais payé 1 500 euros brut. « Avec un peu d'expérience, il passera à 1 800 euros brut », détaille Éric Darras. Mais le dirigeant n'est pas, pour autant, convaincu par la nouvelle réglementation. « La rémunération au bon, c'était le système le plus juste pour l'employeur comme pour le coursier. On ne pourra plus les payer avec des primes de rendement et celles-ci pouvaient représenter jusqu'à 40 % du salaire. » En réalité, le paiement au rendement était interdit depuis 1998, lorsque le secteur s'est vu rattaché à la convention collective du transport qui, dans son article 14, proscrit cette forme de rémunération. « Mais les entreprises avaient joyeusement contourné le problème, pointe François Thomas, de la CGT Coursiers. Elles payaient leurs salariés 1 000 euros brut et complétaient en prime de rendement et frais kilométriques pour que, en bas de la fiche de paie, le salarié touche une rémunération nette correspondant au nombre de bons réalisés. Elles étaient doublement gagnantes car, avec la loi Fillon, elles ne payaient pas de charges sociales sur les bas salaires. »

Travailler plus pour gagner plus. Afin de se défaire du système des bons, LNC a changé de logiciel le 1er janvier dernier pour permettre une traçabilité de ses coursiers en temps réel. « Avec deux entreprises de transport, nous avons investi plus de 760 000 euros pour développer cet outil, explique Éric Darras. Les nouvelles règles sociales et le paiement au fixe ne nous permettent plus de fonctionner avec une gestion à la papy. » Conséquence directe de cette évolution technologique, l'entreprise va maintenant avoir une vision très fine du temps de travail des coursiers, un concept tout nouveau pour le patron et ses salariés. « Les baratineurs qui assurent faire plus de 35 heures par semaine ne vont plus pouvoir nous la raconter. Et ceux qui, effectivement, travaillent plus toucheront des heures sup. Surtout, le logiciel va nous permettre d'abandonner progressivement la référence au bon », espère Éric Darras.

Au centre d'exploitation où travaillent trois dispatcheurs, Riquet a encore du mal à ne pas parler en bons. « Tu vas prendre un quinzième à sept bons puis un quatorzième à trois bons, annonce-t-il à l'un des coursiers. On n'est pas encore complètement formaté au nouveau système. Je le découvre chaque jour. » « Ce nouveau logiciel est quand même plus pratique. On suit mieux les coursiers qui naviguent dans Paris », ajoute Alain entre deux coups de fil. D'ici à deux mois, les appels incessants des coursiers pour prendre de nouvelles courses ou faire préciser une adresse devraient progressivement s'arrêter. « Nous allons équiper chaque coursier d'un PDA (un ordinateur de poche) muni d'un logiciel de géolocalisation », explique Éric Darras.

De leur côté, les coursiers de Novea ont abandonné depuis longtemps le téléphone, devenu ringard. L'entreprise s'est tout de suite démarquée de ses concurrents en utilisant un logiciel de traçabilité développé par sa filiale Orange Web pour suivre les coursiers tout au long de la journée. Chacun d'eux est équipé d'un PDA sur lequel il reçoit directement les messages pour relever les plis dans son secteur. Ils n'ont donc plus de contact téléphonique avec le dispatcheur. À 49 ans, René, jusqu'alors dispatcheur chez Eurodès, se forme au nouveau logiciel. « Ce nouveau système change ma relation avec les coursiers. Avant je gérais 500 appels par jour et je mettais la pression au téléphone, reconnaît-il. Avec cet outil, c'est nettement moins speed pour eux. C'est à moi de rester concentré pour leur permettre de faire des tournées plus cool dans leurs secteurs respectifs. Les coursiers sont du coup plus autonomes. »

Reste que ces changements d'organisation ne jouent pas en faveur de Novea sur le plan de l'embauche. « Nous avons beaucoup de mal à recruter car les coursiers ne comprennent pas notre fonctionnement, avoue Mickael Macé. En revanche, nous savons les garder. Le turnover est de l'ordre de 5 %, alors que dans la profession il tourne autour de 15 %. » L'entreprise a en effet institué une prime de présence de 150 euros, supprimée dès le deuxième jour d'absence. Elle rémunère également le bon entretien du véhicule. Pour créer une culture d'entreprise, Novea veut mettre en place une communication interne, mais y va sur la pointe des pieds. « J'ai proposé à la direction de distribuer aux coursiers des vêtements de pluie marqués au nom de l'entreprise. Mais Philippe Lereffait est très réticent car les coursiers n'aiment pas être identifiés, explique Magalie Demoete, responsable de la communication. Nous voulons créer un esprit d'appartenance au groupe. Nous réfléchissons à un kit de bienvenue pour chaque nouveau coursier qui comprendrait un petit livret de présentation de l'entreprise. »

On recrute en permanence.

Chez LNC, Éric Darras, en vieux routier du secteur, ne croit plus à ces artifices de communication. « Ce sont des gens trop indépendants. On peut imaginer beaucoup de choses pour les fidéliser, ils s'en fichent pas mal. Nous offrons, par exemple, à chaque nouveau coursier une caisse métallique marquée : aucun ne l'utilise. Même chose pour le blouson de l'entreprise. Il y a quelques années, j'ai voulu leur proposer une mutuelle. La majorité a refusé. Ils ne comprennent pas l'intérêt de payer 60 euros par mois pour être bien couverts. » Résultat, chez LNC, le recrutement n'est pas non plus chose aisée. 30 % des coursiers ne restent pas plus d'un an et demi dans l'entreprise, qui part à la chasse en permanence.

Les places de dispatcheurs sont rares. Le comité d'entreprise rame aussi chaque année pour préparer une journée qui permette à l'ensemble des salariés de se retrouver. « L'an dernier, nous avons organisé une journée kart qui a très bien marché. Mais, cette année, nous avons deux fois moins de participants pour la sortie au cirque », maugrée Line, trésorière du CE et standardiste chez LNC. Inutile, également, de compter sur les évolutions de carrière pour capter ces salariés. « Nous pouvons proposer à certains coursiers de devenir dispatcheurs dès qu'une place se libère, mais c'est rare, explique Éric Darras. C'est plus difficile de les convaincre de passer chauffeurs dans un véhicule à quatre roues car le métier est moins valorisant à leurs yeux et, surtout, il est nettement moins bien rémunéré. »

Reste la professionnalisation du métier via la formation pour stabiliser les salariés. Mais le secteur en est à ses débuts. Le nouvel avenant fixe désormais des sessions de formation à la sécurité routière pour tout nouvel embauché… Il était grand temps.

Les Nouveaux Coursiers (LNC)

Chiffre d'affaires : 7,5 millions d'euros

Salariés : 180

Implantations : 6 sites en Ile-de-France

Novea

Chiffre d'affaires : 6,2 millions d'euros

Salariés : 120

Implantations : 6 sites à Paris, Lille, Lyon et Strasbourg

Une profession chahutée par ses donneurs d'ordres

Dans les années 80, les coursiers étaient des rois, se souvient Alain, un ancien coursier aujourd'hui dispatcheur chez LNC. Les entreprises étaient aux petits soins, nous accueillaient avec le café, et certaines mettaient à notre disposition des salles avec le téléphone. Cette époque est révolue. » Depuis trois ans, le secteur est, en effet, rudement secoué par un phénomène de concentration. Si la TPE reste, pour le moment, le modèle dominant dans l'univers de la course (avec 1 300 entreprises dont 750 en Ile-de-France), elle va devenir une espèce en voie de disparition d'ici à quelques années. Car il s'agit maintenant pour ces sociétés de services de répondre à des appels d'offres et non plus simplement de vendre leurs carnets de bons aux clients.

Résultat, le secteur est fortement secoué par les vagues de regroupements qui s'abattent sur lui depuis quatre ans. Les Nouveaux Coursiers viennent tout juste de fusionner avec Anfra Services, une entreprise rachetée depuis trois ans. Novea poursuit sa croissance organique par rachats de petites entités. Quant à Top Chrono, l'entreprise leader de la course, elle s'est rapprochée de TZF, une société de services qui met des coursiers à disposition de ses clients. « Les donneurs d'ordres exigent des prix toujours plus bas. Certains pratiquent même les enchères inversées », pointe Jean-Luc Bourdil, président du Syndicat national des transports légers.

Les professionnels espèrent que l'avenant coursier de la convention collective tirera vers le haut le secteur. En plus de la suppression de la rémunération à la tâche, les entreprises doivent désormais être inscrites au registre des transporteurs et prouver leur solidité financière. « C'est une façon d'écarter les sociétés peu scrupuleuses qui répondent aux enchères inversées et font du mal à l'ensemble de la profession », assure Jean-Luc Bourdil. Le syndicat travaille aussi avec la Dilti et l'Inspection générale du travail des transports à la mise en place d'une charte pour lutter contre le travail illégal. « De toute façon, cette profession va mourir, pronostique Éric Darras, le patron de LNC. Depuis trois ans je constate une baisse de mon chiffre d'affaires de 15 à 20 % par an. » D'où une tendance à la diversification dans des domaines connexes. LNC investit, par exemple, dans la logistique en achetant des entrepôts.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy