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Politique sociale

La Halde, brigade antidiscriminations

Politique sociale | publié le : 01.03.2007 | Valérie Devillechabrolle

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La Halde, brigade antidiscriminations

Crédit photo Valérie Devillechabrolle

En deux ans, cette haute autorité s'est fait sa place. Certaines entreprises trouvent qu'elle a trop de prérogatives, d'autres y cherchent les bonnes pratiques. Enquête sur un gendarme avec lequel il faut désormais composer.

Gallois, prends garde ! La CGT d'Airbus, qui ferraille depuis 1999 contre l'avionneur européen pour faire reconnaître la discrimination dont seraient victimes ses syndiqués, envisage de saisir la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité. « La Halde peut nous aider à obtenir gain de cause. Car, en dépit des condamnations déjà prononcées, les négociations ouvertes depuis 2003 avec la direction visant à reconstituer sur trente ans les carrières des camarades discriminés, en salaire et en coefficient, marquent le pas », estime Alain Milhau, élu au CCE d'Airbus, qui s'apprête à déposer un recours concernant 200 à 300 cas individuels.

Le salarié a tout à gagner

Si l'initiative des syndiqués CGT d'Airbus est encore rare, les salariés n'hésitent plus à saisir individuellement cette jeune autorité administrative indépendante, créée en décembre 2004. Sur les 5 650 réclamations reçues en l'espace de deux ans, près de 44 % concernent l'emploi. Et si le secteur privé est à l'origine de 1 500 plaintes, le secteur public n'est pas en reste avec près d'un millier de réclamations. « Pour un salarié, saisir la Halde est tout bénéfice. Il n'a rien à y perdre, puisque la saisine est gratuite, et tout à y gagner, car la Halde va faire le travail probatoire à sa place », maugrée Yasmine Tarasewicz, avocate proemployeurs au sein du cabinet américain Proskauer Rose. Une critique pleinement assumée par Sylvie Kern, chef du pôle emploi privé de la direction juridique de la Halde, ancienne avocate spécialisée en droit du travail : « Tous les éléments de preuve étant, par nature, chez l'employeur, le salarié est en position de faiblesse. C'est justement pour l'assister et rétablir l'équilibre que la Halde a été créée… » Installé sur l'un des deux plateaux qu'occupe cette jeune institution, à deux pas de la gare Saint-Lazare, le service juridique constitue le cœur du réacteur. Plus de la moitié des 66 collaborateurs y travaillent.

Pour trier efficacement les requêtes, ce service s'est organisé en pôles spécialisés : emploi privé, emploi public et accès aux services publics, logement, santé/handicap ainsi qu'un pôle transversal chargé de suivre les plaintes au parquet et de superviser les transactions. Les quatre juristes du pôle emploi privé sont d'abord chargés d'étudier la recevabilité de la réclamation à partir des éléments (offre d'emploi incriminée, lettre de motivation, CV dans le cas d'une discrimination à l'embauche) qu'ils vont parfois demander aux « réclamants ». « Nous ne commençons l'enquête qu'après nous être assurés de la vraisemblance des allégations du réclamant », reprend Sylvie Kern. Sur près de 3 000 dossiers déjà traités par la Halde, un gros tiers ont été rejetés, pour incompétence de la Halde ou plainte infondée. « On s'aperçoit qu'un accord entre les parties intervient en dehors de la Haute Autorité, parfois très rapidement après la saisine », poursuit-elle. Le seul fait de demander des éléments d'information à un maire, employeur d'un salarié victime de discrimination syndicale, a suffi pour permettre à ce dernier de décrocher la promotion qui lui était refusée depuis trois ans.

Un côté Sainte Inquisition.

Dans le cas d'une réclamation recevable, les juristes commencent toujours par une demande d'informations aux employeurs. Certains ne le vivent pas bien. « Les courriers de la Halde sont comminatoires. On se sent tout de suite en faute, même quand on n'a rien à se reprocher, note un responsable de la diversité d'une grande entreprise de services. Sans parler du travail administratif que cela génère lorsqu'il faut retrouver les documents exigés parmi les 180 000 CV que nous recevons chaque année… » Autre critique : « les investigations de la Halde ne sont assorties d'aucun accès aux pièces de l'accusation, à la différence d'une procédure judiciaire. Cela a un petit côté Sainte Inquisition », renchérit Joseph Aguera, avocat proemployeurs lyonnais. En matière de testing, toutefois, la Halde a dû faire machine arrière. « Initialement, elle souhaitait utiliser le testing à des fins judiciaires pour administrer la preuve », rappelle Jean-François Amadieu, le directeur de l'Observatoire des discriminations. Depuis la publication, l'an dernier, d'une circulaire de la chancellerie imposant aux testings des conditions très restrictives pour être recevables, elle a dû revoir ses ambitions.

Reste que la Haute Autorité mise surtout sur la peur du gendarme. « Sur la diversité, par exemple, elle a incité les entreprises à aller plus vite et plus loin que la seule signature de la charte », constate Jean-François Amadieu. Pour les encourager, la Halde a mis en place un département de promotion de l'égalité, confié à Alexandra Palt. Forte de son expérience à l'IMS, l'institut précurseur lancé par Claude Bébéar, cette dernière s'attache à diffuser les bonnes pratiques. À l'instar du « cadre pour agir », publié à partir des réponses renvoyées par les entreprises à la lettre ouverte de M. Louis Schweitzer, président de la Halde, fin 2005. « Nous sommes preneurs de bonnes pratiques car nous n'avons pas toujours les moyens de faire notre propre “benchmark” », explique Karim Zéribi, conseiller auprès de la présidence de la SNCF, responsable de la diversité. « Cela nous aide à structurer nos interventions et nos actions », renchérit Brigitte Dormion, DRH chargée du développement des cadres et de la diversité à Sodexho Alliance. Et la mayonnaise semble prendre. « Alors que l'an dernier seule une vingtaine d'entreprises en avaient fait un axe stratégique, 80 % ont répondu à notre sollicitation cette année », confirme Alexandra Palt.

Parallèlement, des contacts directs se nouent, comme cette rencontre réunissant 150 entreprises en novembre 2006. « Cela nous a permis de mieux cerner la façon dont nous devons communiquer avec la Halde pour leur faire passer nos messages », reconnaît une responsable d'entreprise.

Hors des grand-messes, les contacts se multiplient. « Nous avons interrogé la Halde pour savoir comment motiver nos refus, sachant que nous recevons 300 000 lettres de candidature par an », explique Karim Zéribi, de la SNCF. Sans oublier les groupes de travail thématiques. À l'instar de celui réunissant cabinets de recrutement privés, service public de l'emploi, grandes entreprises de travail temporaire et fédérations professionnelles, visant à élaborer pour ce printemps un cadre de référence. Reste qu'au regard de l'énorme travail de pédagogie nécessaire en matière de lutte contre les discriminations, certaines entreprises, comme la SNCF, aimeraient que la Halde aille encore plus loin, en lançant une campagne de labellisation par exemple. Signe que la nouvelle Haute Autorité fait désormais partie du paysage.

Claude-Valentin Marie

Ancien directeur du Groupe d'étude et de lutte contre les discriminations

Marie-Thérèse Boisseau

Vice-présidente du Haut Conseil de la population et de la famille, ancienne ministre

Jean-Michel Belorgey

Conseiller d'État, président du Comité européen des droits sociaux, ancien parlementaire

Louis Schweitzer

Président de la Halde, ex-P-DG de Renault, entouré des 10 personnalités qualifiées qui composent le collège de cette jeune autorité administrative créée en 2004.

Marc Gentilini

Professeur émérite de médecine, membre du CES, ex-président de la Croix-Rouge

Bernard Challe

Conseiller à la Cour de cassation, ancien juge à la Cour de justice de la République

Amar Dib

Sociologue, président de la Fédération des clubs Convergences

Cathy Kopp

DRH du groupe Accor, ancienne présidente d'IBM France

Nicole Notat

P-DG de Vigeo, ancienne secrétaire générale de la CFDT

Alain Bauer

Criminologue, président de l'Observatoire national de la délinquance

Fadela Amara

Présidente de l'association Ni putes ni soumises

13 % des délibérations donnent lieu à un rappel de la loi

40 % débouchent sur des recommandations

13 % se traduisent par une saisine du parquet

Source : la Halde, rapport 2006.

Un collège omnipotent

Présidé par Louis Schweitzer, le collège de la Halde compte 11 personnalités qualifiées, nommées pour cinq ans par décret du président de la République. Ce cénacle a adopté plus de 300 délibérations depuis sa création, dont près de la moitié ont débouché sur une recommandation. Ainsi, les employeurs à domicile ont été priés de revoir leurs procédures de recrutement, sous peine de voir publié un rapport spécial au JO. « Ces délibérations ont un impact très fort », note le Monsieur Diversité d'une grande société sommée de réviser le recrutement de ses auxiliaires de vacances, jusque-là réservé en priorité aux enfants du personnel.

Le collège peut aussi intervenir devant les tribunaux, notamment dans le cadre du recours déposé par le plaignant. Il y a peu, les prud'hommes se sont appuyés sur les conclusions d'une enquête de la Halde pour donner gain de cause à une salariée victime de discrimination syndicale. « Vu l'autorité morale dont elle bénéficie, son intervention devant les tribunaux risque de déséquilibrer le débat contradictoire », redoute l'avocate Yasmine Tarasewicz. « Depuis la modification des règles de preuve en matière de discrimination, il appartient à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination », rappelle Sylvie Kern.

Enfin, le collège peut proposer à l'employeur une transaction homologuée par le parquet. « Ce mode de règlement permet d'éviter à l'employeur les poursuites pénales », plaide Sylvie Kern. « Ce sont presque des prérogatives de la puissance publique », fulmine l'avocat Joseph Aguera, qui craint que la Halde ne se transforme en « parquet bis ».

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle