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Vie des entreprises

Patrick Ricard préserve le legs social du roi du pastis

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.01.2000 | Jacques Trentesaux

Pernod Ricard fait partie des entreprises à forte tradition sociale. Mais, pour son P-DG, Patrick Ricard, c'est à chaque filiale de dégager les moyens suffisants pour offrir un statut social à ses salariés. D'où une extrême décentralisation du management et une culture groupe réduite à la portion congrue.

Difficile de se faire un prénom quand on s'appelle Ricard. Second fils du roi du pastis et de l'anisette, Patrick Ricard, 55 ans, assume depuis plus de vingt ans un lourd héritage. Successeur d'une figure emblématique du patronat provençal, capitaine d'une superbe aventure industrielle qu'il tente de soustraire à l'appétit des géants du secteur des alcools et spiritueux, le P-DG de Pernod Ricard est aussi le dépositaire d'une forte tradition sociale. Chez Ricard, on a toujours chouchouté ses salariés. Mais Patrick, comme beaucoup l'appellent dans le groupe, a repris le flambeau. « Il pense aux hommes et non à des numéros. Il est quand même le fils de son père », souligne l'un de ses DRH. C'est autant par obligation familiale que par un penchant naturel qu'il a fait du social sa chasse gardée, laissant la stratégie, la finance et la gestion quotidienne à Thierry Jacquillat, 61 ans, directeur général du groupe depuis 1977. Un tandem de direction d'une longévité étonnante. En vertu de ce partage des rôles, Patrick Ricard préside tous les comités de groupe, participe systématiquement aux réunions de DRH et valide l'ensemble des grands projets sociaux. Sa méthode sociale est fondée sur un grand pragmatisme. « Le seul dogme qui existe chez Pernod Ricard, c'est qu'il n'y a pas de dogme », résume Alain-Serge Delaitte, directeur de la communication.

1 DÉCENTRALISER À L'EXTRÊME

Patrick Ricard se fait un devoir de respecter l'identité de la soixantaine de sociétés qui composent Pernod Ricard (13 000 collaborateurs, 20,5 milliards de chiffre d'affaires). L'acte de baptême du groupe remonte à 1975, année du rapprochement entre les deux frères ennemis du pastis : le méditerranéen Ricard et le franc-comtois Pernod. D'un côté, la passion méridionale ; de l'autre, le rigorisme protestant. « Accoler les deux noms en 1980, c'était déjà une déclaration de guerre ! » se souvient Alain-Serge Delaitte, qui a créé à cette époque la direction de la communication du groupe. Dans ces conditions, mieux valait préserver l'identité de chacune des deux entreprises et de chacune des marques.

La formule ayant été concluante, Pernod Ricard l'a reproduite à l'identique lors de ses différentes acquisitions. Celle d'Orangina en 1984, d'Irish Distillers en 1988, du gin espagnol Larios en 1997, et de bien d'autres… À chaque fois, Pernod Ricard a acquis une marque à forte notoriété, souvent le produit d'une véritable odyssée familiale. Il s'agit donc de ne pas perturber l'écosystème singulier de ces sociétés. Ni d'en chambouler l'organisation par des regroupements inopportuns. Pernod Ricard affectionne les entreprises à taille humaine : la plus grosse de ses filiales n'excède pas 1 300 salariés, eux-mêmes répartis dans de multiples lieux de production. Le cas de CSR Pampryl est éloquent : le groupe a maintenu les huit sites de production d'origine plutôt que de rationaliser. Probablement parce qu'ils appartenaient autrefois à huit sociétés concurrentes.

Du coup, le rôle de la holding, qui ne compte qu'une petite cinquantaine de personnes, se limite à une coordination minimaliste. La DRH du groupe, composée seulement de trois cadres et de trois secrétaires, obéit à la même règle. « Nous laissons aux filiales une très large marge de manœuvre, explique Bernard Cazals, DRH du groupe depuis 1988. Notre contrôle ne s'exerce que sur les changements collectifs qui engagent l'avenir (système de retraite, prime, statut social, etc.) et sur la composition des comités directeurs. » « J'ai une paix royale », confirme Frédéric Gautier, le jeune DRH de Pernod, qui ne rencontre ses homologues que trois ou quatre fois par an, pour des séances conviviales de benchmarking.

Cette décentralisation extrême induit une idée simple : chacun se débrouille seul, avec ses propres moyens. Ce qui signifie qu'il y a autant de politiques sociales que de filiales. De plus, les salariés sont attachés à leur société – voire à une marque – plutôt qu'au groupe. « Les salariés de Ricard se sentent propriétaires du produit ; c'est cela la culture Ricard », note Michel Cornu, le DRH. « Il faut cultiver l'attachement au groupe avec prudence, considère toutefois Bernard Cazals, parce que les stratégies sont évolutives. » En clair : le groupe peut être amené à tout moment à se séparer de certaines de ses filiales. Il le fera d'autant plus aisément en l'absence de culture de groupe.

2 PARTAGER LA VALEUR AJOUTÉE AVEC LES SALARIÉS

Malgré la grande variété des pratiques sociales, le groupe Pernod Ricard est imprégné d'un principe commun, historiquement partagé par les sociétés Pernod et Ricard : la richesse dégagée dans l'entreprise doit aussi profiter au personnel. Cette conviction, reprise dans la charte éthique de 1995, s'inscrit dans le droit fil des convictions de Paul Ricard et de Jean Hémard (ancien P-DG de Pernod puis de Pernod Ricard), deux capitaines d'industrie dont les fantômes hantent encore beaucoup d'esprits.

Paul Ricard a été un précurseur dans le domaine social à plus d'un titre. Dès 1956, il distribue des actions à ses cadres en guise de prime ; en 1965, il octroie une cinquième semaine de congés à son personnel féminin. Bien payés, ses salariés peuvent aussi passer leurs congés pour trois fois rien dans les centres de vacances de l'entreprise. Chez Pernod, l'effort ne porte pas sur les salaires, relativement modestes, mais sur la couverture sociale (assurances, maladie, invalidité et, surtout, retraites). En 1968, avec quatorze ans d'avance sur la loi, la société a accordé la retraite à 60 ans.

Cet héritage perdure aujourd'hui. Pernod dépense chaque année 32 000 francs par salarié en prestations sociales diverses (hors budget du comité d'entreprise !) dont 26 500 francs pour les seules cotisations de retraite complémentaire. « Certains anciens affirment qu'ils gagnent davantage à la retraite », raconte Michel Macaigne, délégué CGT de l'usine de Créteil. Il en va de même pour « les Ricard ». Selon les années, ils continuent de toucher entre trois et cinq mois de salaire en participation et intéressement… et possèdent quelque 900 000 actions Pernod Ricard (soit l'équivalent de 320 millions de francs). Si bien que le DRH passe beaucoup de temps à calmer les inquiétudes de salariés fébriles lorsque le titre est chahuté à la Bourse de Paris.

Des avantages à faire pâlir d'envie les autres filiales, bien moins loties. « La participation ? Je ne sais plus ce que c'est. J'ai dû toucher 99 francs il y a dix ans », soupire Henry Faivre, délégué CDFT de l'usine Pampryl de Nuits-Saint-Georges. Mais le principe cher à Patrick Ricard, « chacun finance son social », est généralement admis. Et le sentiment qui l'emporte est celui d'appartenir à « un groupe qui s'intéresse aux hommes », selon l'expression d'Antoine Cianelli, DRH de Pampryl. Cet état d'esprit n'est pas sans inconvénients. L'âge moyen du personnel (38 ans et 5 mois) est élevé. Il atteint même 40 ans et 2 mois pour les salariés français… malgré les embauches liées à la loi Robien sur la réduction du temps de travail. L'ancienneté dans le groupe est très élevée : dix ans et quatre mois en moyenne, malgré les nombreux rachats récents qui tirent cette moyenne à la baisse.

« Mon souci est d'ouvrir les salariés de Ricard sur l'extérieur », indique Michel Cornu, qui a monté des stages de culture économique générale à l'attention de ses ouvriers, employés et agents de maîtrise. « Beaucoup d'anciens se croient chez eux. Ils ne voient pas ce qui se passe à l'extérieur », renchérit Gérard Normandin, délégué CFDT de l'usine Pernod de Marseille. Ce syndrome du cocon se retrouve à l'identique chez Orangina. « L'affaire Coca-Cola aura au moins eu le mérite d'éveiller nos consciences sur les changements qui prévalent dans le monde économique », assure Cédric Ramat, le DRH d'Orangina. Parfois, le réveil est brutal : dans la filiale Sias France, 90 % des salariés du site de Mitry-Mory se sont mis en grève en octobre pour protester contre l'arrivée d'un nouveau directeur, venu tout droit des États-Unis. « Avant, le boss connaissait tous les salariés et leur tapait dans le dos, explique Tahar ben Bournane, secrétaire syndical FO. Maintenant, nous sommes dirigés par un financier et le climat s'en est ressenti. Nous souhaitons un management plus gaulois et moins McDonald ! »

3 PRIVILÉGIER LES RELATIONS INFORMELLES

Le groupe Pernod Ricard a toujours préféré développer les relations sociales en dehors des canaux syndicaux traditionnels. En dépit des apparences, les syndicats sont faibles dans le groupe Pernod Ricard. « On m'a dit que j'avais créé le premier conflit virtuel », sourit Érick Segré, secrétaire du comité central d'Orangina France, qui fut très isolé lorsqu'il s'est battu pour obtenir des garanties lors de la vente avortée de son entreprise à Coca-Cola. Mais il n'a reçu aucun message de soutien. Pis ! Aucun délégué syndical n'a songé à solliciter la tenue d'un comité de groupe extraordinaire. « Il n'y a pas de culture syndicale chez Orangina. C'est l'occasion qui a fait le larron, confirme Cédric Ramat, le DRH, qui note qu'Érick Segré s'est servi de la presse comme d'un levier, faute de disposer de soutiens suffisants en interne. »

L'appartenance syndicale s'efface presque toujours derrière l'intérêt supérieur de l'entreprise. Lors des comités de groupe, par exemple, les délégués sont réunis par sociétés et non par organisations. Chez Orangina et Ricard, le syndicat maison est largement majoritaire. « Le Syndicat indépendant du personnel du groupe Ricard (SIPGR) est issu de l'ancienne amicale des loisirs de Sainte-Marthe, raconte Michel Cornu. Son créateur était convaincu qu'un syndicat extérieur ne pourrait pas comprendre l'entreprise. » À Marseille, les représentants du personnel de Pernod et de Ricard ne se sont jamais rencontrés alors que les deux sites de production ne sont distants que de quelques kilomètres. Il est vrai que la décentralisation extrême du groupe conduit chaque délégué à ne s'intéresser qu'à son entreprise, voire à son usine. « On est assez grand. On se débrouille tout seul », déclare un délégué de Pampryl pour justifier l'absence de contacts syndicaux interentreprises. Ce qui ne contribue pas à enrichir le dialogue social ni à faire des instances officielles de concertation des lieux très vivants.

4 UTILISER LES 35 HEURES POUR DOPER LES FORCES DE VENTE

Patrick Ricard a vite perçu l'intérêt de la réduction du temps de travail pour rajeunir son personnel et muscler ses forces de vente. Dès 1997, il donne un feu vert à ses filiales pour signer des accords Robien. Pampryl a ouvert le bal le 1er mai 1997. La plupart des autres filiales françaises ont suivi (Cusenier, Orangina, Pernod, Ricard) et créé 380 emplois, en échange d'une modération salariale de l'ordre de 4 %. « La loi Robien a permis d'animer nos marques en plaçant plus de gens sur le terrain », souligne Frédéric Gautier, DRH de Pernod. « Elle a aussi entraîné la remise à plat de l'organisation du travail dans des sociétés anciennes qui avaient toujours évolué dans une situation privilégiée », ajoute-t-il. Opportunité ou pas, l'engagement de Pernod Ricard dans la réduction du temps de travail n'est pas la seule démarche d'entreprise citoyenne. Le groupe se caractérise par un très faible niveau d'emplois précaires (2,93 % de CDD en France). Les plans sociaux s'effectuent sans drame. Enfin, le principe d'autonomie – « on fait les choses par nous-mêmes avec nos propres équipes » – favorise la promotion interne et les embauches de jeunes sortant souvent directement de l'école et formés en interne. Un parcours qu'a suivi lui-même Patrick Ricard, entré directement dans l'entreprise familiale après son bac.

5 ORGANISER LA MOBILITÉ ET LA FORMATION DES CADRES

« Avant l'arrivée de Bernard Cazals à la DRH du groupe, c'était le degré zéro de la gestion des ressources humaines et le degré cent de la gestion des relations humaines. On choyait le collaborateur mais il n'y avait pas d'animation de carrière », estime un responsable RH. Pour assurer un minimum de cohésion à un groupe qui prenait régulièrement du poids, Patrick Ricard a demandé à Bernard Cazals, arrivé en 1988, d'engager deux grands chantiers : la création d'un centre de formation – opération finalisée en 1992 – et la construction d'un système global de mobilité des cadres, opérationnel depuis 1993, afin de promouvoir les carrières à l'échelle du groupe et non plus d'une filiale.

« Le centre de formation répond à deux objectifs : accroître les compétences des collaborateurs et renforcer l'esprit de groupe puis que les stages sont multisociétés », explique Bruno de Monplanet, son directeur. Situé dans le fameux château Ricard, près de Clairefontaine, dans les Yvelines, le centre a atteint son rythme de croisière avec 300 stagiaires annuels répartis en une vingtaine de sessions. Jean-Noël Kapferer ou Jean-Loup Ardouin, tous deux professeurs du MBA de HEC, y interviennent régulièrement. Une fois de plus, Pernod Ricard reste fidèle à son sacro-saint principe d'autonomie : le centre fonctionne comme un prestataire de services, les filiales restant maîtresses de leur plan de formation.

L'outil de mobilité nationale et internationale, baptisé GRH, est réservé aux 1 400 cadres du groupe. Cette gigantesque base de données, mise à jour chaque année, soigne tout particulièrement les 600 cadres jugés à haut potentiel qui se voient attribuer tous les ans plusieurs projections de carrière par leur hiérarchie directe. À l'issue d'un processus de validation et de sélection de cinq mois, la saison des transferts peut alors s'ouvrir. « Le système élargit les possibilités d'affectation. Il garantit aussi aux expatriés qu'ils ne seront pas oubliés «, souligne Jean-Georges Raynaud, adjoint de Bernard Cazals.

Même si l'internationalisation du groupe est largement à l'origine de la croissance des effectifs (entre 1997 et 1999 ils ont crû de 7 000 personnes), le nombre d'expatriés reste marginal : environ 70 en 1998. « C'est un groupe français international où l'on se sent encore un peu chez soi », résume Bernard Cazals. Pernod Ricard reste foncièrement attaché à des valeurs traditionnelles : l'anglais peine à trouver sa place, la domination masculine est encore écrasante, et la communication corporate reste embryonnaire.

Toute la question est de savoir si ce qui a fait la force de Pernod Ricard, cette fédération de PME ancrées sur des marques, est adapté au capitalisme d'aujourd'hui. Combien de temps pourront coexister autant d'usines ayant des productions similaires ? « C'est la fin des bonnes années, reconnaît Gérard Normandin, délégué de l'usine Pernod de Marseille. Demain, nous produirons notre 51 chez Ricard. » Ce jour-là, Pernod et Ricard ne feront vraiment plus qu'un.

Entretien avec Patrick Ricard
« Avec le coût des 35 heures, nous ne créerons pas de capacités de production complémentaires en France »

C'est à 22 ans, sans diplôme en poche, que Patrick Ricard fait son entrée par la petite porte dans l'entreprise paternelle. Son père, Paul Ricard, le légendaire roi du pastis, a décidé de faire subir à son second fils un véritable parcours initiatique qui le mènera, en 1978, à la tête du groupe, devenu Pernod Ricard. Flanqué depuis son arrivée à la présidence d'un directeur général omnipotent, Thierry Jacquillat, Patrick Ricard imprime sa propre marque. La force de ce Marseillais de 55 ans père de trois enfants ? Un solide bon sens, une intuition sans faille et une forte cote de popularité auprès des salariés.

Pernod Ricard bénéficie d'une bonne image sociale. Sur quelles bases repose votre politique ?

Le postulat est que pour faire du social il faut avoir de l'argent, puisque l'objectif est de partager un gâteau qui grandit et non de partager la pénurie. Chaque filiale doit donc se payer son propre statut social. Le groupe n'est là que pour pallier éventuellement une défaillance conjoncturelle. Pour que cette politique fonctionne, il faut que les salariés se trouvent bien là où ils sont. Un moyen d'y parvenir est de laisser chacun prendre les décisions au plus près du terrain. Pour un groupe de 13 000 personnes, nous ne sommes qu'une cinquantaine au sein de la holding. Pernod Ricard s'occupe du devenir de l'entreprise, du budget, des nominations aux comités de direction et veille au respect des marques, à la composition du produit, au packaging. Mais, sinon, le patron d'une filiale, c'est le patron de sa filiale.

N'avez-vous jamais ressenti le besoin de développer une politique sociale de groupe pour éviter que des jalousies se créent entre les filiales ?

Dans le groupe, si vous pratiquez un métier à fortes marges, vous aurez un statut social meilleur. C'est peut-être injuste, mais c'est comme cela. Chaque société a son caractère, ses qualités et ses défauts, et cela fonctionne très bien. Nous ne voulons pas d'une entreprise où les gens ne soient pas directement rémunérés et intéressés à leurs propres résultats. Il vaut mieux faire envie que de penser qu'on paie pour les autres. L'envie vous fait avancer. L'acquis vous immobilise.

Quelles sont les valeurs, la culture propre à Pernod Ricard ?

Elle tient à notre histoire mais aussi à notre organisation en fédération de PME. Le plus gros établissement du groupe doit compter 300 personnes. Les gens se connaissent, se parlent. Ils ont un libre accès aux dirigeants. Par ailleurs, nous organisons des stages de formation au marketing ou à la finance entre différentes sociétés et parfois différents pays. Mais c'est la diversité qui fait notre force. Plutôt que de créer un service achat Pernod Ricard, nous avons regroupé des salariés de Ricard, Pernod, Orlando Wyndham ou Irish Distillers, dont l'un achète l'alcool, l'autre les cartons, le troisième le sucre… pour l'ensemble du groupe.

Cette spécificité se ressent-elle dans le dialogue social, par exemple au sein du comité de groupe que vous présidez ?

Le comité de groupe fonctionne bien, comme sans doute demain le comité de groupe européen dont nous venons de nous doter. Mais ces comités sont un peu des machins. Je ne pense pas qu'ils aient grande utilité. De toute façon, nous n'avons pas attendu le comité de groupe pour faire du dialogue social. Ce n'est pas la loi qui fera le dialogue social, ce sont les gens.

La vente d'Orangina à Coca-Cola ne s'est pas réalisée, à la grande déception de la plupart des salariés. Comment les rassurer sur leur avenir ?

Il n'est pas possible à un vendeur de garantir tel ou tel point. C'est à l'acheteur de le faire. Plus généralement, Pernod Ricard n'a jamais garanti l'emploi et n'entend pas le garantir. Si les collaborateurs acceptaient plus facilement de changer de poste, on pourrait garantir l'emploi. Mais, pour l'instant, ils ne sont pas prêts à bouger.

Pourquoi vous êtes-vous engagés dès 1997 dans les 35 heures en signant des accords Robien offensifs ?

La loi Robien ne manquait pas d'intérêt. Elle permettait de renouer un dialogue, si besoin était, dans certaines entreprises, ou de remettre à plat la façon dont on y travaillait. Une grande partie des nouveaux embauchés ont été affectés dans les forces de vente, qui ont été rajeunies. Sur 80 % de notre activité, nous avons pu réduire le temps de travail sans difficulté. Notamment pour les spiritueux, dont les prix sont élevés et pour lesquels le coût de la main-d'œuvre est marginal. Sur les 20 % restants, qui sont des activités beaucoup plus concurrentielles, il est vraisemblable qu'en raison du coût des 35 heures nous ne créerons pas de capacités de production complémentaires en France le jour où les usines françaises seront saturées.

Comprenez-vous l'attitude très virulente du Medef à l'égard des 35 heures ?

Le Medef, c'est quoi ? C'est un regroupement de fédérations et il n'y a pas plus archaïque qu'une fédération professionnelle. Au niveau régional, les présidents de fédération sont souvent des notables qui défendent leur fauteuil.

Vous êtes un adversaire déclaré des OPA inamicales. Pour quelles raisons ?

Parce que l'une des valeurs importantes de l'entreprise, ce sont ses collaborateurs. Les hommes qui font les entreprises ne sont pas des immobilisations. Si vous achetez une entreprise contre le gré d'une partie des salariés, ils s'en vont et vous achetez alors une entreprise sans ses collaborateurs ! C'est pour cette raison que nous n'avons procédé, pour l'instant, qu'à des OPA amicales. Mais cela ne veut pas dire que nous ne ferons jamais d'opération inamicale.

Propos recueillis par Denis Boissard, Jean-Paul Coulange et Jacques Trentesaux

Auteur

  • Jacques Trentesaux