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Vie des entreprises

35 heures OK, mais formez-vous sur votre temps de loisirs

Vie des entreprises | ANALYSE | publié le : 01.01.2000 | Valérie Lespez

La loi Aubry II devrait booster la formation professionnelle hors du temps de travail, en théorie possible depuis 1991, mais reléguée depuis aux oubliettes. La formule est plutôt bien acceptée, dès lors qu'elle reste facultative pour le salarié et que ses souhaits de formation sont pris en compte.

Stakhanoviste, Denis Cassoret ? Ce jeune ingénieur de Norsys, une SSII du Nord, s'apprête à prendre trois jours de congés pour s'initier à la prise de parole en public. Ce cadre n'est pas une exception. Depuis septembre dernier, une quarantaine de salariés de cette PME d'une centaine de personnes au total se sont formés, comme lui, en empiétant sur leurs vacances et non sur leur temps de travail. Ce que les spécialistes nomment le « coïnvestissement ». Depuis que l'entreprise est passée aux 35 heures, en juin 1998, les salariés bénéficient de vingt jours de congés supplémentaires. Mais l'accord prévoit qu'ils en consacrent cinq à la formation.

Ainsi Denis Cassoret, depuis cinq ans dans l'entreprise, a-t-il suivi deux sessions de formation sur ses cinq jours de coïnvestissement. Dans son équipe, certains ont choisi de passer des certifications Microsoft. « La seule crainte que nous avions était de savoir si le système défini allait se mettre en place ! Certains d'entre nous étaient prêts, de toute façon, à se former sur les jours libérés par la RTT. »

Norsys n'est pas un cas isolé. D'autres entreprises ont profité de la mise en place de la réduction du temps de travail pour instituer ces congés studieux. En clair, pour mieux digérer les 35 heures, elles reprennent d'une main une partie du temps libre qu'elles accordent de l'autre. Reste que sur 1 000 accords de RTT signés entre les mois de juillet 1998 et juillet 1999 et passés au crible par le cabinet Circé Consultants pour le compte du Commissariat général du Plan, à peine un sur cinq (19 % très exactement) contiennent des dispositions relatives à la formation. Et seulement 5 % d'entre eux instaurent la formation hors du temps de travail.

Même si la formation a été un peu négligée dans le mouvement de réduction du temps de travail, l'idée d'une « responsabilité partagée » ou « conjointe » entre le salarié et son entreprise commence à faire son chemin. La formule n'est pas nouvelle, mais tout le monde l'avait oubliée. Elle est inscrite dans le Code du travail depuis près de dix ans. L'accord interprofessionnel du 3 juillet 1991 fixe très précisément des règles qui ne s'appliquent qu'à des formations de plus de trois cents heures, ayant pour objet « l'acquisition d'une qualification professionnelle sanctionnée par un titre ou un diplôme de l'enseignement technologique ». Et seulement 25 % du cursus peut être suivi hors temps de travail. Jugée trop contraignante par les entreprises, cette disposition a vite été reléguée aux oubliettes. « D'ailleurs, très rares sont les accords d'entreprise qui s'inscrivent aujourd'hui formellement dans le dispositif légal », précise Marc Grosser, coauteur d'une enquête menée par le cabinet Bernard Brunhes Consultants, pour le compte du ministère de l'Emploi, sur 1 349 accords d'entreprise et de branche.

Entente pas toujours cordiale…

Alors, les entreprises ont inventé d'autres formes de coïnvestissement. Avec, au moins sur le principe, l'assentiment des salariés. Selon un sondage réalisé par l'Ifop en septembre 1999, 56 % d'entre eux sont disposés à se former sur le temps libre dégagé par la RTT. Et 38 % sont même prêts à mettre la main au porte-monnaie pour financer en partie leur formation. Les entreprises n'en demandent pas tant : dans la grande majorité des accords déjà signés, ce sont elles qui prennent en charge les coûts pédagogiques. En théorie, salariés et employeurs sont sur la même longueur d'onde. Mais, sur le terrain, cette belle entente ne va pas toujours de soi. Principal point d'achoppement : qui, de l'entreprise ou du salarié, doit être à l'initiative des formations suivies hors temps de travail ?

Chez Even, groupe agroalimentaire breton de 2 800 salariés, pas d'ambiguïté : c'est l'employeur qui décide. « Les stages hors temps de travail s'inscrivent dans le plan de formation de l'entreprise, précise Jean-Alain Tanné, le responsable de la formation. Si un salarié souhaite suivre un programme de sa propre initiative, il peut prendre un congé individuel de formation (CIF). » L'accord de RTT signé en avril 1997 par l'entreprise et la CFDT prévoit cinq jours de formation cumulables dans une limite de trois ans, pris sur la quarantaine de jours libérés. « Le coïnvestissement était l'une des contreparties, avec le blocage de l'ancienneté et le gel temporaire des salaires, au passage de 38 à 32 heures », précise Michel Came, délégué CFDT de l'entreprise.

Au départ, le dispositif n'a pas suscité d'inquiétudes particulières chez les salariés. Ils connaissaient déjà la formule, mise en place dans l'entreprise en 1991. Mais aujourd'hui, alors que le coïnvestissement se généralise et passe de deux à cinq jours, ils font grise mine et traînent les pieds pour partir en stage. « Le système est entièrement contrôlé par l'encadrement. Résultat, les souhaits des salariés passent à l'as, déplore Michel Came. Le coïnvestissement pourrait les inciter à se prendre en charge et permettre à l'entreprise de valoriser la formation. » Tant pis pour le salarié qui souhaite se former alors que l'entreprise n'a planifié aucun stage pour lui. Au milieu de ce concert de récriminations, le délégué CFDT note tout de même des aspects positifs : « Le coïnvestissement rend les salariés plus exigeants sur la nature et la qualité des programmes suivis. » Reste que les discussions autour du plan de formation pour l'année 2000 promettent d'être animées.

Le groupe Even est bien ennuyé. Car son dispositif n'est pas en conformité avec l'article 10 de la seconde loi Aubry (voir encadré). Le législateur a souhaité en effet que les formations effectuées hors temps de travail « soient utilisables à l'initiative du salarié ou reçoivent son accord écrit ». Adia a également du souci à se faire. L'entreprise de travail temporaire a inventé des « demi-journées temps libre », dont certaines portent bien mal leur nom. L'accord de RTT, signé en janvier 1999 par l'ensemble des organisations syndicales, prévoit deux semaines de repos « équilibre » et vingt-six demi-journées supplémentaires, dont six sont impérativement affectées au coïnvestissement. En revanche, contrairement aux salariés d'Even, ceux d'Adia peuvent choisir leurs formations. « De préférence sur le plan », précise cependant Nathalie Bournoville, la DRH.

Des stages facultatifs à Ikea

Les accords d'Air France, d'Ikea ou de PSA Peugeot Citroën s'inscrivent davantage dans la logique de la loi Aubry. Les formations hors temps de travail ne sont pas obligatoires. Et les salariés sont encouragés à faire part de leurs souhaits. L'employeur prenant en charge la totalité des frais pédagogiques, pas question de financer n'importe quoi. « L'entreprise doit vérifier la pertinence du projet du salarié, assure Guy Rosès, responsable du développement des ressources humaines d'Air France. Il doit avoir un sens par rapport à son parcours professionnel et convenir à l'entreprise. » L'accord-cadre signé à Air France en janvier 1999 fixe ainsi, pour les 33 000 salariés au sol, le principe du coïnvestissement, sans définir le nombre de jours de RTT alloués à la formation.

Même état d'esprit à Ikea. Chez le géant suédois du meuble, l'accord sur la réduction du temps de travail, signé uniquement par la CFDT le 28 avril 1999, compte le temps de travail en heures pour le personnel – 33 heures pour les employés, 35 heures pour les agents de maîtrise – et le temps de congés supplémentaires en jours pour les cadres – vingt-trois jours pour ceux considérés comme itinérants, douze jours libérés pour les autres, avec un horaire passant à 37 heures, les cadres dirigeants étant exclus. Les salariés qui le souhaitent peuvent utiliser cinq jours pour des actions de formation. Mais après avoir obtenu le feu vert de l'entreprise. « Le programme choisi par le salarié doit être validé par le directeur du magasin, puis par la direction des ressources humaines », précise Franck Devillon, responsable du recrutement, de la formation et de la gestion des cadres chez Ikea.

Un accord national d'ici à trois ans

Sur le contenu des formations, PSA Peugeot Citroën a habilement réglé le problème. Dans l'accord sur les 35 heures, effectif depuis le 1er novembre dernier, l'entreprise a négocié avec les partenaires sociaux un « catalogue additif » au plan de formation. Les salariés peuvent y piocher les programmes de leur choix, à suivre sur les jours libérés : quatre pour les ingénieurs et cadres, trois pour les techniciens et agents de maîtrise, un pour les ouvriers en équipe. Ce catalogue recense 147 stages, répartis dans neuf rubriques. Comme à Air France ou Ikea, la majorité des formations s'inscrit dans un contexte professionnel : stages de langues, de « connaissance du produit auto mobile » pour donner aux administratifs une meilleure idée de leur environnement, développement personnel pour améliorer l'expression orale et écrite des collaborateurs, etc. Mais, les syndicats ayant insisté pour ouvrir largement le catalogue, il contient aussi des formations sur le droit de la famille ou la sécurité à la maison.

Dans son accord, PSA a aussi instauré un droit individuel à la formation. En début d'année, les salariés décideront s'ils souhaitent utiliser leurs jours de RTT pour se former, s'ils préfèrent les capitaliser ou les convertir en congés. Pour les inciter à choisir la première solution, l'entreprise leur octroie une journée supplémentaire pour trois jours de formation. Et chaque salarié aura, en annexe de sa feuille de paie, un récapitulatif de sa situation personnelle.

L'accord de Renault fait également référence à un droit individuel à la formation. Mais, à la différence de celui de PSA, il s'inscrit dans le cadre du plan de formation. La demande de stage peut émaner du salarié, ou de son supérieur hiérarchique. Les 20 à 30 heures des ouvriers ou les quatre jours des ingénieurs et cadres sont capitalisables jusqu'à quatre ans sur un compte épargne formation. « Aujourd'hui, un salarié sur huit n'a pas accès à la formation. Avec ce dispositif, nous souhaitons renverser la tendance », précise-t-on chez le constructeur automobile. Un objectif parfois oublié avec le coïnvestissement. « Certaines entreprises cherchent à limiter au maximum les heures non productives, précise Marc Grosser. Elles ne profitent pas du coïnvestissement pour augmenter le volume de formation, mais font un simple transfert de l'existant. » Du coup, elles font payer aux salariés ce qu'elles prenaient auparavant en charge.

Le législateur a souhaité éviter cet écueil en rappelant l'obligation de l'entreprise d'« assurer l'adaptation de ses salariés à l'évolution de leurs emplois » sur le temps de travail effectif – une obligation confirmée par la jurisprudence – alors que seul « le développement des compétences » peut donner lieu au coïnvestissement. Une distinction que le Medef juge « surréaliste ». « Un juge va déterminer ce qui sert plutôt l'entreprise ou plutôt l'individu, s'indigne Dominique de Calan, chargé de la formation au sein de l'organisation patronale. C'est un problème de contrat de travail, d'entreprise, voire de branche. Sûrement pas celui du législateur. » En tout cas, les entreprises qui ont devancé la loi vont certainement devoir réviser leur copie.

L'article 10 de la loi Aubry II donne trois ans aux partenaires sociaux pour négocier un accord interprofessionnel, qui détermine les règles du coïnvestissement. Mais ceux-ci attendent la loi sur la formation professionnelle, annoncée pour mars, pour fixer définitivement la place que le coïnvestissement devrait y occuper. « Il faut développer la formation dans l'espace laissé vacant entre les CIF et les stages d'adaptation assurés par l'entreprise », assure Vincent Merle, directeur du cabinet de Nicole Péry, secrétaire d'État à la Formation professionnelle. Le grand chantier ne fait que commencer.

Un texte favorable aux salariés

L'article 10 est le seul dans la seconde loi sur les 35 heures qui fasse référence à la formation continue. Après l'adoption d'un amendement d'origine socialiste destiné à le rendre plus favorable aux salariés, il prévoit que « l'employeur a l'obligation d'assurer l'adaptation de ses salariés à l'évolution de leurs emplois. Toute action de formation suivie par le salarié dans le cadre de cette obligation constitue un temps de travail effectif ». En revanche, le développement des compétences des salariés peut, par l'intermédiaire d'un accord de branche ou d'entreprise, être organisé « pour partie hors du temps de travail effectif », sous réserve que les formations correspondantes « soient utilisables à l'initiative du salarié ou reçoivent son accord écrit ». En cas de refus du salarié de participer à des actions de formation réalisées dans ces conditions, celui-ci ne s'expose ni à une faute ni à un licenciement. Pendant la durée des formations, les salariés bénéficient de la législation de la Sécurité sociale relative à la protection en matière d'accidents du travail et de maladies professionnelles.

Auteur

  • Valérie Lespez