logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

LE PLEIN-EMPLOI D'ICI A DIX ANS ? CE N'EST PAS GAGNE

Enquête | publié le : 01.01.2000 | Denis Boissard, Valérie Devillechabrolle

Cette fois, ça y est. La France est enfin sortie du tunnel. Et le retour de la croissance aidant, le chômage ne cesse de reculer. Jusqu'où ? Pour revenir au plein-emploi, c'est-à-dire à 4-5 % de chômeurs, encore faudra-t-il que le retournement démographique ne vienne entraver la croissance et que les sous-employés et les non-qualifiés trouvent un emploi à leur mesure. Pas si simple.

La France croise les doigts. Et si le miracle se produisait enfin ? Lors de l'été 1997, la courbe du chômage s'est inversée et, depuis, elle n'en finit pas de plonger. Alors qu'il y a deux ans et demi le compteur allait afficher les 3,2 millions de demandeurs d'emploi, crevant un nouveau plafond historique, le voilà qui dégringole vers les 2,6 millions de chômeurs. Tant et si bien que les cohortes de sans-emploi engrangées pendant les années de plomb de la première moitié de la décennie 90 ne seront bientôt plus qu'un mauvais souvenir. Simple rémission avant une nouvelle poussée de fièvre, ou prochaine guérison ? Lionel Jospin veut croire à l'éradication du chômage : à ses yeux, le retour au plein-emploi est une « perspective crédible », et mieux encore « d'ici à la fin de la décennie ». Un pronostic confirmé par Dominique Strauss-Kahn dans l'entretien qu'il avait accordé à Liaisons sociales Magazine quinze jours avant sa démission : « Il n'y a aucune raison pour que l'économie française ne crée pas 200 000 à 350 000 emplois par an dans les années qui viennent. À l'échéance de moins d'une dizaine d'années, la poursuite de ce rythme nous amènerait à un taux de chômage de 5 %. » C'est-à-dire au niveau du chômage « frictionnel », selon le jargon des économistes, un taux quasi incompressible qui s'explique par la période nécessaire à un jeune qui arrive sur le marché du travail, ou à un salarié qui quitte son entreprise, pour trouver un emploi à sa convenance. L'objectif est d'autant plus crédible, souligne-t-on à Matignon et à Bercy, que d'autres y sont arrivés (Pays-Bas, États-Unis, Autriche, Danemark) ou n'en sont pas très loin (Grande-Bretagne).

Pour les experts qui font ce pari, c'est la croissance économique qui sera déterminante. D'autres – à l'instar de Jean Boissonnat – mettent plutôt l'accent sur le retournement démographique à venir. Il reste qu'en France comme chez les bons élèves de l'emploi l'objectif peut dissimuler quelques non-dits. « Toutes ces prédictions font comme si toutes les personnes disponibles allaient rencontrer une offre de travail à leur convenance », observe Bernard Simonin, chercheur au Centre d'études de l'emploi. Or rien n'est moins sûr.

UNE CROISSANCE ÉCONOMIQUE PORTEUSE

Postulat de départ : il n'y aura pas de retour au plein-emploi sans croissance soutenue et… durable. La bonne nouvelle est, qu'après six années de brouillard épais et de grisaille tenace, le grand beau temps s'est installé sur l'Hexagone. Depuis trois ans, l'économie française tourne à plein régime : elle devrait cette année, comme en 1998, franchir le seuil des 3 %. Tous les indicateurs sont au vert… vif. Le moral des Français n'a jamais été aussi élevé, si bien que les ménages ne rechignent plus à piocher dans leur épargne pour se loger confortablement, rénover leur cuisine, changer de voiture ou s'autoriser des petits plaisirs. Les entreprises se sont enfin décidées à combler le retard d'investissement qu'elles ont accumulé ces dernières années. L'exportation des produits made in France est dopée par le redressement de la croissance mondiale, qui pourrait cette année repasser la barre des 3 % : à la surprise générale, l'économie américaine ne connaît aucun signe d'essoufflement, l'Asie semble sortie de ses turbulences financières et l'horizon s'éclaircit en Europe.

Facteurs déterminants de consolidation de la croissance, les « fondamentaux », comme jargonnent les conjoncturistes, sont bons. L'inflation est éradiquée depuis le milieu des années 80. Après avoir été longtemps déficitaire, la balance commerciale est excédentaire depuis le milieu des années 90. Le partage de la valeur ajoutée s'effectuant depuis près de vingt ans au détriment des salariés, la rentabilité des entreprises s'est fortement redressée. Et, cerise sur le gâteau, après avoir consenti beaucoup d'efforts pour être dans les clous de l'euro, l'économie française en recueille aujourd'hui les fruits : la stabilité des changes et la baisse des taux d'intérêt en Europe. Bref, tous les ingrédients sont là pour une croissance persistante.

Reste une question essentielle pour l'éradication du chômage de masse en France : sommes-nous simplement dans une phase favorable du cycle économique ou entrons-nous, grâce à l'essor des nouvelles technologies de l'information, dans un nouvel âge d'or de prospérité ? Le débat agite les économistes. Les plus optimistes ont les yeux rivés sur le miracle américain. Les États-Unis sont entrés dans leur… neuvième année consécutive de croissance. Une croissance soutenue (+ 2,5 % en moyenne depuis 1992), maîtrisée, sans surchauffe, qui semble défier les lois de la pesanteur économique et qui s'explique en grande partie par la révolution technologique en cours de l'autre côté de l'Atlantique. En mettant les bouchées doubles pour rattraper son retard, la France serait à son tour entrée dans l'ère de la « nouvelle économie ».

Dernier élément favorable à un retour rapide au plein-emploi, la croissance française n'a jamais été aussi riche en emplois. Dans les années 70, il fallait 2,6 % de hausse du PIB pour créer de l'emploi. Dans les années 80, il en fallait encore 2,2 %. Or, selon les calculs de l'Unedic, il suffit aujourd'hui de 1,2 % pour que l'emploi redécolle. À l'origine de cette très sensible amélioration : l'envolée du travail à temps partiel, les allégements de charges sociales sur les bas salaires, la multiplication des emplois précaires et le développement du secteur tertiaire (dont la productivité du travail est plus faible que celle de l'industrie). Résultat : ces trois dernières années, l'économie française a créé plus de 900 000 emplois.

UNE DÉMOGRAPHIE À DOUBLE TRANCHANT

Si la job machine hexagonale crée aujourd'hui des emplois au rythme de 350 000 chaque année, le nombre de chômeurs ne décroît que de 200 000 par an. Cela pour la bonne raison que la population en âge de travailler continue d'augmenter, bon an mal an, de quelque 150 000 personnes. Il faut donc créer autant d'emplois chaque année avant d'espérer voir le chômage diminuer.

Mais, dans cinq ans, la lutte contre le chômage va bénéficier d'un allié de poids : le retournement démographique. À partir de 2006, les premières générations du baby-boom de l'après-guerre commenceront à arriver à l'âge de la retraite. Et, comme les baby-boomers ont été beaucoup moins féconds que leurs aînés, les nouveaux entrants sur le marché du travail seront moins nombreux. Conséquence évidente : la population active va décroître.

L'impact de cette décrue sur le chômage doit toutefois être relativisée. Premier bémol : d'ici à 2005, le marché du travail va devoir encore absorber près de 800 000 personnes supplémentaires. Second bémol : la diminution du nombre des actifs s'effectuera très progressivement, à raison de 20 000 personnes de moins par an, selon les projections de l'Insee. Il n'empêche, certains experts, à l'instar du journaliste économique Jean Boissonnat, n'en démordent pas : couplé avec une croissance soutenue, ce retournement démographique va accélérer la résorption du chômage.

Un scénario un tantinet trop mécanique pour être parfaitement convaincant. Tout d'abord, deux événements pourraient rendre la décrue de la population active beaucoup moins rapide que prévu. À commencer par l'allongement de la durée de cotisation requise pour liquider sa pension à taux plein, mesure préconisée par le rapport Charpin pour sauvegarder les retraites par répartition, dont l'équilibre financier est menacé par le papy-krach. Une telle mesure conduirait en effet nombre de salariés à retarder l'âge de leur départ à la retraite. Un recours accru à l'immigration pour pallier la pénurie d'emploi qui se fait déjà jour dans certains secteurs contribuerait également au gonflement de la population active.

Ensuite et surtout, le vieillissement des Français risque de peser sur le dynamisme de l'économie hexagonale, soulignent certains économistes, à l'instar de Jean-Paul Fitoussi (OFCE) ou de Michel Godet (Cnam). Moins d'enfants, c'est forcément moins de besoins en mètres carrés de logement, en équipement électroménager, en moyens de transport… Davantage de papis et de mamies, c'est aussi davantage de ménages suréquipés, aux besoins plus restreints. À revenu identique, les retraités consomment 5 % de moins que les actifs, malgré leur surconsommation médicale. Qu'ils s'inquiètent du financement futur de leurs pensions ou qu'ils souhaitent léguer un patrimoine à leurs enfants, les retraités ont tendance à thésauriser. « Les pays vieillissants risquent de devenir des pays de rentiers, sans beaucoup de besoins, exportant leur épargne vers les pays à démographie galopante et à fort développement, pronostique Patrick Artus, le directeur des études économiques de la Caisse des dépôts. Les retraités européens ou japonais financeront la croissance aux Philippines, en Indonésie, au Mexique ou au Brésil. » D'autres économistes sont plus optimistes : ils estiment que le poids économique prépondérant des plus de 50 ans n'obérera pas forcément le dynamisme économique. Celui-ci dépendra, observe notamment Robert Rochefort (Credoc), « de la capacité qu'auront les industriels de l'automobile, du logement et de la construction, du textile et du mobilier, les promoteurs du tourisme et de la culture, à anticiper sur les besoins de la génération des plus de 50 ans ». Ainsi que de l'aptitude des décideurs politiques à « favoriser fiscalement les échanges économiques entre générations » en sachant que ceux-ci se montent déjà spontanément à quelque 300 milliards de francs par an, sous forme d'aide aux descendants ou de dons divers.

LES ZONES D'OMBRE DU SOUS-EMPLOI

Aux yeux des responsables politiques qui promettent le retour au plein-emploi, l'équation est d'une simplicité biblique. Vous prenez les 2,7 millions de personnes officiellement comptabilisées comme demandeurs d'emploi pour chiffrer le taux de chômage au sens du BIT et vous ramenez ce chiffre à moins de 1 million d'individus (correspondant au taux de chômage « frictionnel »). Au rythme actuel de 200 000 chômeurs en moins par an, c'est l'affaire d'une petite dizaine d'années. Mais il y a un hic : ni le mode de calcul du BIT, ni les catégories définies par l'ANPE ne reflètent la multitude des situations qui existent aujourd'hui entre l'emploi et le non-emploi. S'en tenir aux seuls chômeurs de la catégorie 1 – les seuls pris en compte dans le calcul du taux de chômage –, c'est exclure de la perspective du retour à l'emploi les chômeurs qui ne correspondent pas aux critères du demandeur d'emploi immédiatement disponible, à la recherche d'un emploi à durée indéterminée à temps plein. Or ces chômeurs de seconde zone sont de plus en plus nombreux.

Une conception exhaustive du chômage, s'attachant à cerner les zones d'ombre et le « halo » qui les entoure, conduirait par exemple à réintégrer dans la statistique officielle du mois de septembre dernier (2 695 200 demandeurs d'emploi, selon le mode de calcul en vigueur) les 616 000 personnes immédiatement disponibles, à la recherche d'un emploi temporaire ou à temps partiel. Composées pour l'essentiel de chômeurs ayant perdu l'espoir d'être embauchés pour un emploi « classique », ces catégories (numéros 2 et 3, selon la terminologie officielle) se sont accrues de 45 % en deux ans. Autres oubliés du taux de chômage : les 640 000 demandeurs d'emploi en activité réduite (comptabilisés dans les catégories 6, 7 et 8), contraints par la modicité de leur salaire et la précarité de leur emploi à se maintenir dans les listes de l'ANPE et à toucher une allocation complémentaire. Et, pour bien faire, il faudrait y ajouter les 314 000 chômeurs de plus de 55 ans dispensés de recherche d'emploi, parce que leur espoir de retrouver un poste est jugé trop infime. Au total, sur l'ensemble des catégories 1, 2, 3, 6, 7 et 8 de demandeurs d'emploi, la résorption du chômage est beaucoup plus modeste que ne le reflète la statistique retenue par le ministère du Travail : ce ne sont pas 420 000 personnes, mais seulement 96 000 qui ont disparu en deux ans des listings de l'ANPE.

Et encore ne s'agit-il là que de la partie émergée de l'iceberg du sous-emploi. Sans verser dans le catastrophisme du rapport de l'ancien commissaire au Plan, Henri Guaino, qui, en 1997, chiffrait à 6,7 millions les personnes en difficulté d'emploi, il convient d'ajouter à ces chômeurs dûment estampillés les multiples bénéficiaires du traitement social du chômage. S'il semble contestable de rapatrier dans les chiffres du chômage les titulaires d'un emploi dans le secteur marchand, qui bénéficie d'un coup de pouce financier de l'État (contrats en alternance ou de retour à l'emploi, CIE, exonérations à l'embauche), il ne serait pas, en revanche, scandaleux d'y inclure les 346 000 bénéficiaires de contrats emploi solidarité ou ville (entièrement subventionnés ou presque par l'État), les 211 000 embauchés en emplois jeunes (tant que leur poste n'est pas pérennisé), les quelque 42 000 chômeurs en stage d'insertion ou de réinsertion, les 42 000 licenciés économiques en convention de conversion, ou encore les quelque 50 000 personnes prises en charge par une association intermédiaire ou une entreprise d'insertion.

Pour être tout à fait complet, il faudrait également ajouter à cette estimation les nombreux Français aux marges de la société, « découragés » par la persistance d'un chômage élevé et par le durcissement du marché du travail. Le nombre des RMIstes non inscrits à l'ANPE est ainsi estimé à quelque 450 000. Et une part importante des 200 000 personnes sans domicile fixe échappe aux statistiques du chômage. Au total, plus de 5 millions de Français seraient donc exclus, durablement ou non, du marché du travail.

Une croissance durable et soutenue améliorera-t-elle le sort de ces sous-employés ? En partie, sans aucun doute. « Depuis un an, l'extension du nombre de contrats en intérim ou à temps partiel marque une pause, observe Olivier Marchand, numéro deux de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du Travail (Dares) et spécialiste reconnu de l'emploi. Tandis que l'on assiste à une légère accélération de la transformation des CDD en CDI. » Autre signe encourageant, la baisse, depuis le début 1998, du nombre de salariés à temps partiel non désiré, une tendance qui pourrait s'accentuer avec les 35 heures. Dominique Taddei rappelle, quant à lui, que ce n'est qu'au bout de six ans d'expansion ininterrompue que la job machine américaine s'est mise à offrir de meilleures conditions d'emploi.

Mais, inutile de se leurrer. Étant donné la masse des sans-emploi et les difficultés de réinsertion de bon nombre d'entre eux, il faudra tout à la fois une conjoncture extrêmement favorable, des mesures volontaristes et vraisemblablement plusieurs décennies avant de remettre le pied à l'étrier à tous les exclus du marché du travail.

L'OBSTACLE DES NON-QUALIFIÉS

Car le retour au plein-emploi risque de buter sur un écueil de taille : l'inadéquation entre le niveau de formation d'une bonne partie des chômeurs et la qualification requise pour occuper les nouveaux emplois créés. D'autant que, les mutations technologiques aidant, les exigences des employeurs ne cessent de s'élever. « En matière de baisse du chômage, nous avons fait le plus facile », souligne ainsi Olivier Marchand. Jusqu'à présent, les principaux bénéficiaires de la reprise économique ont été ceux qui étaient les mieux placés dans la file d'attente des chômeurs : les actifs expérimentés ou les jeunes diplômés (leur stock a diminué d'un quart en deux ans).

A contrario, le noyau dur des chômeurs s'est un peu plus enkysté. Le taux de chômage des plus âgés n'a cessé d'augmenter : réputés « inadaptables » aux yeux des employeurs, ils continuent d'être massivement licenciés. « En dépit d'une taxation alourdie cette année, les licenciements des plus de 50 ans ont encore progressé de 10 % cette année, alors que les autres flux d'entrée au régime d'assurance chômage ont reculé de 4 à 8 % », constate Jean-Pierre Revoil, directeur général adjoint de l'Unedic. De la même façon, les quelque 500 000 jeunes non qualifiés de 18 à 25 ans n'ont pas bénéficié de la reprise. « Ils sont tellement désocialisés que les missions locales chargées de les accueillir ne savent plus quoi en faire ! » rapporte Bernard Simonin, chercheur au Centre d'études de l'emploi (CEE) et spécialiste des politiques d'emploi des jeunes, en constatant que, même sur une longue période (cinq ans dans la dernière étude du Cereq), ces jeunes ne parviennent plus à se stabiliser dans un emploi.

Quant à la décrue spectaculaire du nombre de chômeurs de longue durée observée depuis un an dans les statistiques de l'ANPE, elle ne doit pas faire illusion. « Cette baisse résulte davantage de la politique de convocation massive de ces chômeurs, lancée depuis un an par l'ANPE, à la suite des engagements pris par la France au sommet européen de l'emploi de Luxembourg, que d'un retournement des employeurs en leur faveur », estime encore Bernard Simonin. Responsable CFDT des personnels de l'Agence, Noël Daucé partage cette analyse et en veut pour preuve « la progression sensible (+ 45 % en un an) du nombre de radiations administratives consécutives à une non-réponse à une convocation, ainsi que les transferts massifs d'inscrits vers d'autres catégories de demandeurs d'emploi, à temps partiel ou à durée déterminée notamment ».

Dans une récente analyse, Patrick Artus, directeur des études économiques à la Caisse des dépôts, tire de ce constat une conclusion décapante : « Il n'y aura pas retour global au plein-emploi […] mais retour beaucoup plus rapide au plein-emploi pour les salariés qualifiés et maintien, comme aux États-Unis, d'un chômage substantiel pour les non-qualifiés. » Revenir vraiment au plein-emploi, ajoute-t-il, « nécessiterait un effort de requalification massif ». L'apparition de goulots d'étranglement à l'embauche pourrait toutefois contraindre les entreprises à investir plus fortement dans la formation. « Si la main-d'œuvre se fait rare, elles vont être obligées de développer les produits et services de demain avec les salariés d'aujourd'hui », estime ainsi l'ancien délégué à l'emploi Dominique Balmary.

Les entreprises sont-elles prêtes à consentir un tel effort ? La dernière enquête du Cereq portant sur les dépenses de formation financées en 1996 par les entreprises n'incite pas – pour l'instant – à l'optimisme. Le taux d'investissement dans la formation ne cesse de se réduire depuis 1994, ce qui se traduit à la fois par une chute de la dépense par tête et par un raccourcissement de la durée de la formation. En outre, les dépenses restent concentrées sur les catégories les plus qualifiées : 54 % des techniciens et agents de maîtrise, la moitié des ingénieurs et des cadres en ont bénéficié en 1996, contre seulement 18 % des ouvriers.

Il n'y aura pas de miracle. Si les entreprises n'investissent pas plus massivement dans l'employabilité des salariés, les plus déqualifiés d'entre eux resteront sur le bord de la route, en attendant d'être grignotés par l'exclusion ou le vieillissement.

Un marché du travail peu mobile

Le retour au plein-emploi n'est pas qu'affaire de croissance, de démographie ou de requalification. Il suppose aussi un changement de comportement des chômeurs. Aujourd'hui encore, quelques dizaines de kilomètres de distance suffisent à rendre impossible le rapprochement d'une offre de travail avec un demandeur disponible. « Les couples de cadres cherchent un emploi dans la même ville, les ouvriers limitent leurs déplacements en fonction du salaire proposé », souligne Arnaud du Crest, directeur de l'Office régional de l'emploi et de la formation des Pays de la Loire.

Et les jeunes n'apparaissent pas plus mobiles que leurs parents. « Quand on sillonne les vallées pyrénéennes, on s'aperçoit que les missions locales regorgent de jeunes CAP industriels désœuvrés alors qu'à Toulouse et même à Tarbes les entreprises pleurent pour en avoir », s'indigne Serge Ter Ovanessian, consultant spécialiste de l'insertion des jeunes. Les raisons de ce manque de mobilité sont multiples : le manque de moyens financiers pour entretenir un véhicule ou louer un logement, l'absence de disponibilité familiale du fait de la garde d'enfants ou de parents dépendants, mais aussi la prédominance d'une vision à court terme et d'une perception très négative de l'entreprise. « Bon nombre de jeunes considèrent que, après tout, ils ne sont pas si mal à se débrouiller avec 3 000 à 4 000 francs de revenu au noir, en restant chez leurs parents, au milieu de leurs copains, plutôt que d'aller s'ennuyer avec les contraintes d'un CDD, d'une mission d'intérim ou encore d'une formation », reprend Serge Ter Ovanessian.

Chercheur au Centre d'études et de recherches sur les qualifications, Jean-Louis Kirsch s'attend lui aussi à « une montée des comportements attentistes chez les jeunes à l'égard du marché du travail » : « Avec la reprise des créations d'emploi, les jeunes vont être tentés, explique-t-il, d'attendre de trouver un poste conforme à leurs aspirations plutôt que de prendre le risque de gaspiller leur qualification sur le premier poste venu, comme en période de chômage de masse. Et, comme ils restent plus longtemps chez leurs parents, ils sont moins pressés par la contrainte économique. »

Des critères d'embauche toujours plus exigeants

Difficile de revenir au plein-emploi si les employeurs s'obstinent à chasser le mouton à cinq pattes. Pendant les années de crise, où elles n'ont eu que l'embarras du choix, les entreprises ont souvent pris la fâcheuse habitude d'exiger toujours plus des candidats à l'embauche. Quitte à recruter des personnes largement surqualifiées pour les postes proposés. Elles ont ainsi élevé les prérequis techniques afin de s'assurer de l'adaptation future de leur personnel à des changements technologiques de plus en plus fréquents. Et, avec le développement du service au client, les candidats à l'embauche ont été tenus de présenter davantage de caractéristiques comportementales : aptitude à gérer le stress d'une relation avec la clientèle, à travailler en équipe, réactivité face à l'aléa… « Même en période de tensions sur le marché du travail, les employeurs ne se permettent plus de prendre n'importe qui », constate ainsi Alain Jecko, directeur général adjoint de l'ANPE… Quitte à crier à la pénurie de main-d'œuvre devant la première difficulté. Or, ajoute Alain Jecko, « en dehors de quelques secteurs d'activité spécifiques par trop dévalorisés, comme les métiers de bouche ou le bâtiment, ou a contrario hautement qualifiés, comme l'informatique, 80 % des offres pourraient trouver une solution, à condition que les employeurs acceptent de regarder un peu au-delà de leur propre fenêtre géographique ou sectorielle. C'est le rôle de l'Agence d'assurer dans ce contexte une meilleure transparence du marché ».

Auteur

  • Denis Boissard, Valérie Devillechabrolle