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Politique sociale

Génial, ma boîte ouvre un guichet départs !

Politique sociale | publié le : 01.02.2007 | Yves Aoulou

Comment maigrir sans faire de vagues ? Proposer un généreux plan de départs volontaires. Une recette dont le succès ne se dément pas, mais qui peut entraîner perte de compétences et démobilisation du collectif.

Non aux licenciements », proclament les calicots aux portes de Neuf Cegetel. Le groupe, né du rapprochement entre Neuf Telecom et Cegetel, hérite de deux réseaux commerciaux et d’un staff administratif pléthorique. Jacques Veyrat, le P-DG, a tranché dans le vif : près de 900 emplois doivent disparaître. Soit un bon quart des effectifs. Mais les harangues syndicales ne mobilisent guère Thierry, 30 ans, vendeur chez Cegetel depuis six ans. Son objectif, c’est d’empocher le chèque promis à ceux qui prennent volontairement la porte : jusqu’à dix-sept mois de salaire et, en prime, 5 000 euros pour une formation. « Avec mon expérience et un peu de chance, je peux espérer retrouver rapidement un job dans la téléphonie mobile, un secteur porteur qui attire de nouveaux venus comme la grande distribution », expose le candidat au départ. Mais il n’est pas le seul à avoir fait ce calcul et la direction s’est laissé surprendre par un véritable raz de marée : « Nous attendions 400 personnes et pensions ramer pour trouver des candidats. Or nous avons dû convaincre des salariés de rester », explique le DRH, François-Philippe Pic. Un scénario connu dans les groupes contraints à des plans de sauvegarde de l’emploi. Hewlett-Packard, qui boucle actuellement le sien, tablait sur 857 départs volontaires : 990 collaborateurs se sont rués vers la sortie. En mars 2005, Françoise Gri, P-DG d’IBM France, a fait savoir à ses troupes que 732 personnes devraient partir. Et 1 400 collaborateurs lui ont dit banco. À peine Jacques Gounon, patron d’Eurotunnel, avait-il fini de préciser les conditions des 750 départs volontaires que 900 demandes ont atterri sur son bureau. Il est vrai qu’il a mis 52 millions d’euros sur la table pour son PSE.

Ne pas écorner l’image de marque

Raison principale de cet engouement pour les divorces à l’amiable ? La générosité des grandes boîtes qui misent sur les départs spontanés pour réduire les effectifs sans trop écorner leur image de marque. La palme d’or revient à H-P, qui a fixé le montant du chèque d’adieu entre 50 000 et 250 000 euros, en fonction du salaire, de l’ancienneté et de l’âge des collaborateurs concernés (jusqu’à 400 000 euros pour les plus de 50 ans). Chez IBM France, le dernier PSE en date prévoyait jusqu’à vingt mois de salaire d’indemnités y compris le minimum conventionnel. « Cette largesse vise à atténuer la rancœur des salariés et la pugnacité des syndicats », analyse Bruno Loustalot, ancien DRH, directeur de projet au cabinet de conseil en ressources humaines Right Management.

De copieuses indemnités présentent aussi l’avantage d’accélérer les procédures de licenciement. Et c’est tout bénéfice pour les directions générales qui veulent aller vite. Chez le courtier en assurances Marsh, qui a lancé un plan de départs en mai dernier, ceux qui ont dévoilé leurs intentions dans les deux mois suivant l’ouverture du guichet ont eu droit à trois mois de salaire en plus. Résultat : en quelques semaines, la DRH, Maryse Prigent, a collecté 151 candidatures pour 119 départs souhaités. « Le calendrier était serré, nous souhaitions connaître les grandes lignes de la restructuration avant les vacances d’été », explique-t-elle. Manpower, qui allège actuellement son siège parisien, utilise le même procédé. Et ça marche. Même les syndicats sont pris à contre-pied par le succès des départs volontaires. « Certains groupes abusent de ces guichets et se croient exonérés de toute réflexion sur l’avenir des métiers et des compétences », dénonce Jean-Claude Arfélix, délégué syndical CGT chez IBM, qui, avec quatre guichets en quinze ans, a déjà supprimé plusieurs milliers d’emplois par ce biais. H-P en est à sa troisième charrette. Cegetel, de création récente, en a déjà connu deux. Ces plans de départs évitent de prononcer le mot qui fâche : licenciement. En témoignent Thomson (140 départs volontaires d’ici à mars 2007 à l’usine d’Angers) ou Canal Plus (au moins 200 départs prévus, à la suite du rapprochement entre la filiale CanalSat et son ex-concurrent TPS). « Des licenciements n’interviendraient que si le nombre de départs volontaires s’avérait insuffisant », rassure l’état-major. « Tout sera mis en œuvre pour que les conditions de départ soient suffisamment attractives », traduit un représentant syndical.

Pourtant, les guichets départs n’ont rien d’une panacée. D’abord, la perspective de toucher un gros chèque attire des catégories de personnels qui n’étaient pas visées. Difficile d’ignorer leurs revendications. Surtout lorsque les syndicats s’en mêlent, comme chez Capgemini, EDS et Manpower. Ensuite, de bons éléments saisissent toujours l’opportunité de bouger, tandis que les médiocres s’accrochent. Certes, les DRH se réservent le droit d’examiner les candidatures au cas par cas. Mais les commissions de suivi veillent au grain : impossible, dans un PSE, d’appliquer des critères de sélection totalement individualisés. Pierre-Yves Tilly, DRH de H-P, en convient : « Il faut accepter la perte de certaines compétences si les intéressés ont un projet solide et refusent les offres qu’on leur fait en interne. »

Mais les DRH traquent aussi les petits malins qui cherchent à faire une culbute financière. « Si l’on sait qu’un job les attend à la sortie, ils devront démissionner », explique Maryse Prigent, chez Marsh. Une ligne dure qui a permis en 2006 de limiter les ardeurs de certains opportunistes. De plus en plus souvent, les guichets départs se soldent par un déficit de compétences, obligeant l’entreprise à réembaucher. Neuf Cegetel, après avoir suscité des départs volontaires, a été contraint de trouver 150 recrues en quelques mois. Encore convalescent après une sévère cure d’amincissement, H-P va devoir intégrer 250 personnes d’ici à fin 2007 afin de compenser des sous-effectifs dans certaines activités et pourvoir des postes non pourvus par la mobilité interne. Ça fait désordre, même si Pierre-Yves Tilly s’efforce de positiver : « La restructuration s’est accompagnée d’un gros chantier de mobilité interne. Les métiers pour lesquels nous avons embauché diffèrent de ceux dans lesquels nous avons licencié. C’est une opportunité d’injecter du sang neuf. »

Plutôt des licenciements secs

Voire. Car tous les DRH ne mesurent pas le contrecoup d’un plan de départs volontaires. Il y a deux ans, IBM France s’est vu citer devant les prud’hommes par plusieurs dizaines d’ex-salariés qui, après avoir encaissé leur chèque, réclamaient leur réintégration. « Nous déconseillons cette option aux entreprises, souligne Bruno Loustalot. Mieux vaut des licenciements secs que des départs provoqués. Car un salarié qui se retrouve dans l’impasse une fois parti peut se tourner vers les prud’hommes. »

Dur, également, de remobiliser des équipes temporairement désorganisées, démoralisées et souvent en sous-effectif. « Le plus difficile est de faire partager un nouveau projet d’entreprise quand on voit les manœuvres d’incitation au départ », note Isabelle Moulins, déléguée syndicale à EDS, une SSII qui a récemment mis en œuvre une centaine de départs volontaires. Certaines agences du groupe, initialement condamnées, ont été sauvées in extremis et les départs volontaires prévus annulés. Mais jusqu’à quand ? se demandent aujourd’hui les syndicats d’EDS.

Volontaires désignés

Vous êtes le maillon faible, au revoir. » La célèbre formule du jeu télévisé de TF 1 pourrait bientôt s’appliquer aux salariés dont les emplois seraient jugés compromis à terme par l’employeur.

En effet, jusqu’à présent, les départs volontaires ne pouvaient être envisagés que dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Un article anodin du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2007 ouvre une brèche dans ce dispositif.

À partir de 2008, il sera possible d’ouvrir des guichets en dehors de tout PSE, sur la foi d’un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, qui est devenu obligatoire.

Concrètement, l’entreprise, après négociation avec les partenaires sociaux, pourra supprimer des emplois qui n’entrent pas dans le champ de ses orientations stratégiques. Elle négociera une rupture amiable avec les collaborateurs concernés, en veillant à leur reclassement externe. Cela ressemble beaucoup au « divorce à l’amiable » que revendique le Medef depuis quelque temps.

En attendant la mise en application de cette miniréforme, les entreprises s’arrangent pour forcer la main à leurs employés lorsqu’elles souhaitent les voir partir. Ainsi, IBM France, qui vient de céder son activité d’infogérance à la société Montics, a indiqué aux 72 salariés concernés ce qu’ils doivent faire pour être certains de garder leur job : renoncer à leur contrat de travail chez Big Blue et se porter individuellement « volontaires » pour rejoindre Montics. Aucun PSE de prévu. Moralité : tous volontaires, désignés d’office. La méthode, originale, mais parfaitement légale, fait hurler la CGT, sans pour autant ébranler la détermination de la direction.

Auteur

  • Yves Aoulou