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“L’emploi doit passer avant les retraites”

Actu | Entretien | publié le : 01.02.2007 | Sandrine Foulon

Pour gommer les inégalités face à la retraite, ce haut fonctionnaire militant prône un retour au plein-emploi grâce à des politiques engagées dans la durée.

Quelles sont les sources d’inégalités face à la retraite ?

La retraite est un risque assuré par des cotisations assises sur le travail. Son niveau est donc fonction de la durée de cotisation et du salaire. Ceux qui, pour une raison ou une autre, cotisent moins longtemps ou avec des salaires moins élevés acquièrent des droits plus faibles. Il est de ce fait nécessaire de mettre en place des mécanismes de solidarité pour compléter ce système assuranciel. Mais ces corrections sont partielles : ainsi, les périodes de chômage sont validées, mais sans report de salaire au compte. Pour gommer entièrement les inégalités face à la retraite, il faudrait se positionner dans un monde fictif où tout serait stable… et égal.

Mais ce meilleur des mondes n’existe pas.

Effectivement. Dès qu’un paramètre change, la question est de savoir qui va en profiter. Après 1945, nous sommes partis de retraites très basses mais, grâce au plein-emploi et à une croissance économique forte, nous avons rattrapé l’écart entre actifs et retraités. Ce beau mécanisme s’est déréglé. L’espérance de vie a augmenté. Les surplus à distribuer chaque année sont deux fois moins élevés que dans les années 60. Enfin, et surtout, tout le monde n’a pas accès à l’emploi durable. Par exemple, au bout d’un an, un allocataire du RMI ne valide plus rien. À terme, il risque d’être pris en charge par le filet de sécurité du minimum vieillesse (610 euros mensuels), parfois inférieur au seuil de pauvreté.

Comment conforter la retraite par répartition tout en luttant contre le chômage ?

La logique, comme le bon sens, commande d’augmenter la durée des cotisations plutôt que de les accroître – ce qui renchérit le coût du travail – ou de baisser les prestations. En ce sens, la réforme de 2003 affirme un bon principe. Mais cette solution exige un retour au plein-emploi. Les autres pays y parviennent grâce à des politiques très différentes, mais qui toutes impliquent vision claire, cohérence, engagement dans la durée et mobilisation de la société. En France, nous ne voulons pas du libéralisme américain et nous n’avons pas les valeurs et structures collectives des pays scandinaves. Nous nous contentons d’importations partielles de ces modèles. Nous pratiquons des baisses d’impôts sans en tirer toutes les conséquences, puis revenons en arrière et remettons en place des contrats aidés supprimés peu vant… Pour renouer avec un plein-emploi de qualité, il faut à la fois un niveau élevé de prélèvements obligatoires et une orientation prioritaire de ceux-ci vers l’emploi, pour financer la formation, l’initiative, l’innovation, le service public, l’économie solidaire… L’emploi, au moins temporairement, doit passer avant les fonctions collectives, retraites ou santé, pour mieux asseoir leurs bases.

Que pensez-vous des outils créés ?

Depuis quinze ans, nous avons mené de bonnes politiques mais les avons souvent inactivées. La CSG est une réforme intelligente qui devait soulager l’appareil de production. Elle a servi à accroître les dépenses. Les allégements de charges sur les bas salaires, qui devaient favoriser le recrutement des personnes peu qualifiées, ont compensé les hausses du smic. L’offensif est devenu défensif. Quant aux luttes contre l’exclusion, elles se sont montrées assez généreuses et créatives mais on n’a jamais accepté de payer deux fois : pour qu’un contrat aidé fonctionne, il faut qu’il soit long, à temps plein, associé à de la formation afin que les opérateurs saisissent bien l’enjeu. Ces conditions n’ont jamais été réunies. On n’a pas fait de développement durable mais créé de la précarité dans l’insertion.

Comment faire remonter le taux d’activité des seniors en France ?

Le rapport du COR a courageusement déploré la disposition qui prolonge, jusqu’en 2014, le dispositif conventionnel permettant aux employeurs de mettre à la retraite d’office les salariés au plein de leurs annuités. Or il y a urgence. Laissons les salariés dynamiques qui souhaitent travailler plus longtemps le faire, y compris dans les fonctions publiques. Les dispenses de recherche d’emploi à partir de 57 ans sont-elles légitimes ? Du côté des entreprises, des changements culturels dans la gestion des ressources humaines des plus de 50 ans sont aussi à opérer. Enfin, alors qu’on s’achemine logiquement vers une nouvelle augmentation de la durée des cotisations, pourquoi ne pas commencer par le secteur public ? En 1993, le privé a ouvert le bal, avec difficulté du fait des discriminations qui pèsent sur les seniors. Le public s’est aligné en 2003 mais, au fond, il a bénéficié de dix ans de grâce. Je ne sais pas s’il faut aller si loin – il sera sans doute jugé préférable d’opérer cet allongement simultanément pour le public et le privé – mais ce ne serait pas injuste. Il me semble en tout cas que ceux qui bénéficient de ce bien précieux qu’est la sécurité de l’emploi doivent apporter sous une forme ou une autre une contribution particulière à l’ensemble des régimes de retraite.

JEAN-BAPTISTE DE FOUCAULD

Inspecteur général des finances.

ÂGE

64 ans.

PARCOURS

Énarque, Jean-Baptiste de Foucauld est ancien commissaire au Plan. Proche de Jacques Delors, il a fait partie de son cabinet lorsque ce dernier était ministre des Finances, sous le gouvernement Mauroy. Il est aujourd’hui président de l’association Solidarités nouvelles face au chômage, qu’il a cofondée, et est membre du Conseil d’orientation des retraites.

Auteur

  • Sandrine Foulon