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Vie des entreprises

Michel Pélissier ouvre la Sonacotra aux plus démunis

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.01.2007 | Sarah Delattre

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Évolution du nombre de résidents (hors demandeurs d'asile)

Crédit photo Sarah Delattre

Créée il y a cinquante ans pour loger les travailleurs algériens, cette société d'économie mixte doit à présent accueillir tous les publics, y compris les exclus. Une évolution qui met son patron au défi de moderniser la gestion de ses salariés.

Roulements de tambour. Le 23 janvier, la Sonacotra révèle sa nouvelle identité devant ses 2 000 employés réunis à l'occasion de son cinquantenaire. Une renaissance censée gommer une image qui lui colle à la peau : celle des foyers d'immigrés insalubres. « Sans renier notre passé, notre nom doit aussi refléter nos nouvelles missions », explique son président, Michel Pélissier. Car la Sonacotra, premier opérateur national en résidences sociales, soit 25 % du parc, ne loge plus seulement les travailleurs immigrés, mais aussi les plus démunis. Cet élargissement répond aux sollicitations de l'État, son principal actionnaire (57 %), et permet à cette société anonyme d'économie mixte confrontée au ralentissement de l'immigration de conserver sa légitimité.

Nommé en 1998, Michel Pélissier, ancien préfet de Tarn-et-Garonne, l'a bien compris et a su imposer ses convictions à ses ministres de tutelle. Cet ancien chef de cabinet de Pierre Mauroy, qui a l'oreille de Jean-Louis Borloo, a assaini les comptes de la société, plombés par la longue grève des loyers des années 70 et les malversations financières de son ancien président, Michel Gagneux, poussé à la démission en 1992. Sous la houlette de Michel Pélissier, la Sonacotra s'est décentralisée et a donné plus d'autonomie aux directions régionales.

Renouvelé par deux fois dans ses fonctions, le président actuel est resté à la Sonacotra « parce que cette entreprise méconnue ne mérite pas les critiques dont elle fait l'objet ». Mais cet homme de terrain qui délaisse souvent la rue Cambronne, siège de la Sonacotra, pour prendre le pouls des foyers devra encore moderniser sa politique sociale, « paternaliste et archaïque » d'après certains syndicats qui s'inquiètent de l'entrée au capital de la Société nationale immobilière, filiale de la Caisse des dépôts, appelée à monter jusqu'à 49 %. Autre défi : accompagner les salariés, véritables pompiers du social, dans leurs nouvelles missions.

Ce grand commis de l'État orchestre la mutation de la Sonacotra après en avoir assaini les comptes
1 Accueillir de nouveaux publics

« C'était jour de fête le 11 novembre dernier, j'ai trouvé un logement… pour deux mois », se moque Philippe. Expulsé par leur propriétaire à la mort de sa mère, cet agent d'exploitation en sécurité incendie s'est retrouvé à la rue. Bien qu'il gagne environ 1 500 euros par mois, Philippe navigue d'hôtel meublé en association caritative avant d'atterrir, à 46 ans, à l'H24 de « la boulangerie ». Autrement dit le « logement de stabilisation » expérimenté par la Sonacotra dans une ancienne boulangerie militaire, boulevard Ney, à Paris. Associée à une plate-forme médico-sociale, cette structure permet à 50 sans-abri, en majorité travailleurs pauvres, de se poser deux mois au maximum. « Les volontaires s'inscrivent dans un parcours d'insertion sociale et professionnelle, précise le directeur, Michel Lesénéchal. En lien avec assistantes sociales, médecin, permanente de la maison de l'emploi de Paris, ils vont bénéficier d'un accompagnement renforcé, d'un bilan de santé ou d'une formation et rechercher une solution de logement pérenne. »

Hébergements d'urgence, résidences pour familles monoparentales, logements pour jeunes, aires d'accueil pour gens du voyage, centres pour demandeurs d'asile, la Sonacotra ne loge plus uniquement les travailleurs immigrés, mais aussi les plus démunis. « Comme les travailleurs migrants des années 60, les gens du voyage font partie des minorités visibles marginalisées », souligne Bruno Guillaumot, chef du département spécialisé créé en octobre 2005. La Sonacotra gère actuellement neuf aires d'accueil. En réponse aux sollicitations de l'État, elle est aussi devenue le premier opérateur spécialisé dans l'accueil des demandeurs d'asile et en reçoit aujourd'hui 5 332.

2 Développer la mission sociale des gestionnaires

L'hébergement de publics fragilisés et la transformation progressive des foyers de travailleurs migrants en résidences sociales depuis 1994 impliquent l'élaboration d'un projet en lien avec les villes, les conseils généraux et les associations spécialisées et modifient les missions des gestionnaires.

Pour Sylvie Lefebvre, directrice de l'agence de Boulogne, qui supervise 11 structures sur 8 communes et héberge 23 % de retraités, 42 % de salariés et 22 % de chômeurs, le rôle de la Sonacotra est devenu plus « politique ». « Nous ne pouvons plus nous permettre de vivre cachés. Pour favoriser le passage de nos résidents vers un logement de droit commun, nous devons développer les partenariats, participer aux commissions d'attribution en plus de notre travail de gestionnaire. »

Au quotidien, la tâche des responsables de foyer est devenue plus ardue. La prime à la difficulté de 20 à 80 euros brut par mois selon les foyers constitue une maigre consolation. Certes, pour les assister, la Sonacotra s'est dotée d'un intranet baptisé « la chouette » qui permet de déclarer n'importe quel fait d'insécurité : agression, dégradation de matériel, tentative de suicide, décès, proxénétisme… Les déclarations sont ensuite traitées en interne par un commissaire divisionnaire détaché du ministère de l'Intérieur.

Dans le même registre, « goéland », un numéro vert censé faire office d'écoute psychologique, a été mis en place. Mais il s'est brisé les ailes. Face aux nouveaux problèmes sociaux rencontrés par les résidents, il devient difficile de se blinder. « Avant, nos résidents traditionnels travaillaient, note Jacqueline Solary, directrice de résidences à Issy-les-Moulineaux et à Montrouge, qui hébergent aussi bien des jeunes, des familles monoparentales que des travailleurs provinciaux. Aujourd'hui, ils se retrouvent plus souvent au chômage, à la rue après un divorce… En plus des lavabos bouchés, nous devons désamorcer des conflits plus fréquents, frapper à la porte de l'assistante sociale pour résoudre les impayés… Nous faisons du social en permanence. » Pierrette Buou, gestionnaire de la résidence Perier à Montrouge, renchérit : « Des femmes seules rencontrent des difficultés d'autorité parentale, des résidents sont alcooliques… À moi de les diriger vers les services adaptés et de créer du lien social. »

3 Accompagner le vieillissement des migrants

Recrutés à tour de bras par la sidérurgie, l'automobile, le BTP lors des Trente Glorieuses, les « chibanis », souvent d'origine algérienne, pensaient revenir au pays. À présent retraités, ils sont restés dans les mêmes foyers, isolés dans des chambres minuscules. La moitié de la clientèle de la Sonacotra a franchi les 55 ans. « Ils sont dépendants relativement plus tôt et souffrent de diabète, de rhumatismes, de dépression, observe Anne Fevotte, gériatre recrutée en 2004. Victimes de conditions de travail difficiles et d'isolement, ils ont vieilli prématurément, d'autant qu'ils n'ont pas fait attention à eux, habitués à vivre chichement pour envoyer le plus d'argent possible à leur famille. » En plus de la construction de deux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes à Marseille et à Bobigny, la Sonacotra commence à aménager des foyers pour maintenir à domicile les plus autonomes.

Directeur d'agence, Grégory Bisiaux a supervisé la démolition-reconstruction de la résidence sociale Metzgerau à Strasbourg, qui datait de 1960. « Tous originaires du même village, les anciens travailleurs algériens, dont le doyen a 93 ans, ont parfois participé à la construction du foyer ; ils y ont pris une chambre qu'ils n'ont plus quittée. » Agrandis, certaines chambres et studios ont été équipés de lits médicalisés et d'appareils destinés aux personnes à mobilité réduite.

À charge pour les directeurs d'agence de solliciter les professionnels de la gérontologie et les associations d'aide à domicile. « Une mission qui exige beaucoup de travail, parce que ce n'est pas triste de se repérer dans ces réseaux », confie Muriel Joly, responsable du développement social et de l'insertion en région Sud-Est, chargée d'épauler les opérationnels dans l'accompagnement social.

La Sonacotra cherche des profils à la fois de gestionnaires et de travailleurs sociaux pour manager les résidences
4 Diversifier les formations et les recrutements

Pour accompagner l'évolution de ses métiers, la Sonacotra a accentué ses efforts en formation, y consacrant 2,46 % de la masse salariale. En deux ans, plus d'une trentaine de directeurs d'agence et de centre d'accueil de demandeurs d'asile (Cada) ont préparé un diplôme de responsable d'entreprise d'économie sociale et solidaire. Mais, pour la CGT et Sud, cette formation trop « sonacotrienne » s'avère inadaptée aux besoins des futurs directeurs de Cada.

En amont, la Sonacotra s'efforce de recruter des profils à la fois de gestionnaires et de travailleurs sociaux pour les postes de responsables de résidence. « Il n'est plus rare d'y trouver des diplômés de sociologie », observe Marcel Schmitlin, délégué syndical central CGT. Le métier s'est aussi féminisé – 61 % des responsables de résidence sont des femmes – à la faveur d'un accord de 1999, aujourd'hui remis en cause par la direction, qui fixe à 32 heures le temps de travail pour les activités d'exploitation et de maintenance.

Quant aux anciens militaires recrutés pour encadrer les foyers, ils appartiennent désormais à l'histoire. « Nous sommes progressivement passés des adjudants-chefs à des responsables plus à l'écoute », s'amuse Jean-Paul Roumagère, directeur régional pour le Sud-Est. Mais les comités de résidents continuent de dénoncer des pratiques peu orthodoxes pour lutter contre la suroccupation des foyers africains. « Sous prétexte de faire l'inventaire du matériel usagé, les gestionnaires entrent dans les chambres en l'absence des résidents. C'est une atteinte à notre vie privée », s'insurge Oumar N'Diaye, président de la coordination des foyers Sonacotra.

5 Doper la politique salariale

« À la Sonacotra, on y entre par hasard, on y reste parce qu'on a faim », martèle Sylvain Krum, délégué Sud, déformant l'antienne de Michel Pélissier : « À la Sonacotra, on y entre par hasard, on y reste par conviction. » Et d'expliquer que, « depuis 2002, les responsables de résidence qui ne garantissent pas un taux d'impayés et d'occupation suffisants peuvent être sanctionnés. La direction leur a confié de nouvelles missions sans revaloriser leurs salaires ».

Dans ces métiers, on démarre à 1 200 euros brut mensuels et on évolue peu. Un responsable de résidence avoue gagner 1 300 euros net mensuels avec quinze ans d'ancienneté, sans compter son logement de fonction. En 2002, après un conflit qui a secoué la Sonacotra, les salariés ont obtenu l'instauration d'une prime annuelle de 1 200 euros. Aujourd'hui, Sud et la CGT bataillent pour rattacher l'entreprise à une convention collective du secteur santé-sociaux. « Cela éviterait que l'employeur remette en cause les accords tous les quatre matins, note Sylvain Krum. Et permettrait d'intégrer une revalorisation des salaires en fonction de l'ancienneté et des diplômes, et ouvrirait des droits à la formation et à la retraite plus importants. Mais Michel Pélissier juge cette convention trop coûteuse. » À charge pour lui de trouver d'autres ressorts de motivation.

Repères

Avec 262 foyers traditionnels et 193 résidences sociales, la Sonacotra est le principal gestionnaire de foyers de travailleurs migrants. En 2005, elle a réalisé un chiffre d'affaires de 253 millions d'euros. Elle emploie plus de 2 000 salariés : directeurs d'agence, responsables de résidence, ouvriers de maintenance…

1956

Création de la Société nationale de construction pour les travailleurs algériens, présidée par Eugène Claudius-Petit, ancien ministre de la Reconstruction.

1962

La Sonacotral perd son « I » à l'indépendance de l'Algérie.

1975-1980

Grève des loyers : les résidents dénoncent une hausse de 30 % et les surveillances dont ils font l'objet.

1994

Début de la réhabilitation des foyers en résidences sociales, consacrées au logement des plus démunis.

2007

La société change de nom.

Évolution du nombre de résidents (hors demandeurs d'asile)
ENTRETIEN AVEC MICHEL PÉLISSIER, PRÉSIDENT DE LA SONACOTRA
“Il faut poursuivre l'effort sur le logement social car l'offre reste insuffisante”

Quelle est la population immigrée aujourd'hui hébergée dans les logements de la Sonacotra ?

Ses deux principales composantes sont la demande d'asile et l'immigration africaine. La première est facile à gérer, car les demandeurs d'asile n'ont qu'un souhait, c'est d'obtenir des papiers et de s'intégrer dans la société. La migration subsahélienne, qui revendique de vivre en conservant certaines particularités et traditions, interroge, en revanche, la société française sur son rapport à l'autre. Ces personnes souhaitent conserver des modes de vie communautaires organisés autour de la cuisine collective et de la salle de prière. Or ces lieux sont souvent à l'origine de la suroccupation des foyers et soulèvent de graves problèmes sanitaires et de sécurité, sans parler du travail clandestin des sans-papiers. En interne, nous avons des débats très vifs pour savoir jusqu'où nous devons prendre en compte les modes de vie de nos résidants.

Comment remédier à la suroccupation des foyers ?

La Sonacotra ne peut y remédier seule. Elle agit en lien étroit avec les municipalités et les services de l'État. Ainsi, la Ville de Paris s'est engagée à recenser tous les détenteurs d'un titre de séjour inscrits sur les listes de foyers depuis deux à trois ans et à reloger les suroccupants. Mais nous avons constaté en Seine-Saint-Denis que l'éclatement sur cinq sites d'un foyer suroccupé avait créé un appel d'air et recréé partiellement le problème.

La Sonacotra a engagé un gros programme de réhabilitation. Où en êtes-vous ?

La transformation des foyers de travailleurs migrants en résidences sociales se traduit souvent par une perte de capacité d'accueil qui risque de nuire à nos engagements. Dans certaines villes où le foncier coûte cher, la première difficulté est de trouver des terrains accessibles. Nous nous heurtons souvent à une levée de boucliers des riverains qui refusent de cohabiter avec ce qu'ils appellent des « foyers d'immigrés ». Leur accord implique un travail de longue haleine et la détermination des élus. Lorsque Jean-Louis Borloo a voulu construire quatre résidences en centre-ville à Valenciennes, il a fallu passer beaucoup de temps pour convaincre ses administrés.

La convention triennale signée en 2005 avec l'État prévoit l'hébergement de 10 000 jeunes. L'objectif est-il en passe d'être atteint ?

Nous hébergeons actuellement environ 3 000 jeunes, dans le cadre de conventions avec des missions locales, des organismes de formation, etc. Pour augmenter notre capacité d'accueil, nous avons notamment racheté Pacagest, une entreprise familiale spécialiste du logement étudiant, un foyer de jeunes travailleurs à Mulhouse et une résidence étudiante à Poitiers. La difficulté est d'adapter certaines résidences aux besoins de ce public, avec des salles informatiques, de réunion, etc.

Quel est aujourd'hui le profil d'un gestionnaire de résidence ou de foyer Sonacotra ?

Nous avons du mal à trouver des responsables de résidence car il n'existe pas de formation spécifique. Nos recrues ont souvent un profil de travailleur social ou de gestionnaire et débutent comme adjoint d'un responsable de RS. Nous avons renforcé notre politique de formation en proposant, par exemple, des modules sur la prise en charge du vieillissement, les problématiques sociales, la découverte de la réalité des pays des résidants… Ainsi, le Mali, l'Algérie et le Maroc sont au programme cette année. Nous proposons également aux salariés qui le souhaitent de passer un diplôme de responsable d'entreprise d'économie sociale et solidaire. Nous avons, par ailleurs, signé un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, et 80 % du personnel passe un entretien individuel avec son hiérarchique, ce qui permet de connaître les aspirations des collaborateurs et les besoins de formation.

Comment jugez-vous la politique actuelle en faveur du logement social ?

De gros efforts ont été consentis dans le cadre du plan de cohésion sociale mis en œuvre par Jean-Louis Borloo pour développer l'offre de logements. Un engagement fort des bailleurs sociaux a été pris. Mais il faut poursuivre l'effort car l'offre reste insuffisante.

Propos recueillis par Sarah Delattre et Sandrine Foulon

MICHEL PÉLISSIER

60 ans.

1968

Attaché de préfecture en Seine-Saint-Denis.

1976-1978

Énarque, entre au ministère de l'Intérieur.

1981-198

Chef de cabinet du Premier ministre Pierre Mauroy.

1993

Nommé préfet de Tarn-et-Garonne.

1996-1998

Directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation de Rhône-Alpes.

NOVEMBRE 1998

Devient président de la Sonacotra.

Auteur

  • Sarah Delattre