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Vie des entreprises

Heures de délégation et GRH

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.01.2007 | Jean-Emmanuel Ray

Si l'employeur est en droit d'être informé du départ du représentant du personnel en heures de délégation, le cas échéant via des bons de délégation, il ne peut exiger de délai préalable ni en contrôler l'usage. Pas question non plus, du fait de ses absences, de le cantonner à un poste moins intéressant ou de le différencier dans l'évaluation et l'évolution professionnelles.

Les heures de délégation sont un thermomètre, mais aussi un baromètre des relations sociales dans une entreprise. Quand elles sont civilisées, sinon harmonieuses, les délégués avertissent leur supérieur hiérarchique de leur absence une semaine à l'avance et cherchent à concilier charge de travail tant individuelle que du service avec la prise de ces heures. De son côté, la direction, estimant que c'est d'abord aux électeurs ou au syndicat de sanctionner d'éventuels abus, ne contrôle plus leur utilisation et paie rubis sur l'ongle toutes les heures déclarées, y compris celles excédentaires.

À l'inverse, quand les rapports sont exécrables, chaque prise d'heures peut être l'occasion d'une prise de bec avec le manager de proximité : les yeux rivés sur la productivité de son service et ses reportings hebdomadaires, il supporte mal ces départs répétés et ces absences inopinées qu'il doit intégralement rémunérer. Et, en fin de mois, pour la paie, le délégué qui a dépassé de quinze minutes son quota mensuel a intérêt à avoir de solides explications pour se les voir payer. Et, comme il s'agit d'un véritable conflit de logiques, les deux protagonistes peuvent monter jusqu'à la Cour de cassation pour 22,56 euros.

Conçues à l'époque et pour les délégués ouvriers de la forteresse industrielle de Renault Boulogne-Billancourt, ces heures posent aujourd'hui de nouvelles questions, en nos temps d'éclatement des lieux de travail mais aussi des autoroutes de l'information, pour des commerciaux et consultants en clientèle et forfait jours, et de crise des vocations militantes aboutissant fréquemment à un cumul des heures.

Sur le principe même, on ne peut cependant se lamenter du manque de représentativité réelle des « représentants du personnel » et se montrer fort sourcilleux sur les contacts qu'ils souhaitent et doivent naturellement avoir avec leurs mandants.

1° GESTION QUOTIDIENNE DU POSTE DU DÉLÉGUÉ

Certains départs sont éminemment prévisibles : soit parce qu'ils correspondent à une obligation légale (ex. : réunions mensuelles, non imputables sur le crédit d'heures), soit parce que le délégué a pris rendez-vous de longue date (inspecteur du travail, expert). Est-il alors possible d'exiger qu'il prévienne son supérieur ? C'est ce qu'avait pensé la cour d'appel de Bourges : « Si les représentants du personnel disposent d'heures de délégation, l'organisation collective du travail ne doit pas subir les conséquences de comportements individuels consistant à refuser de prévenir la hiérarchie de la prise de ces heures, ce qui perturbe l'organisation du travail : une telle information dans un délai raisonnable ne peut être considérée comme une atteinte aux droits syndicaux. » Raisonnement censuré par la chambre sociale le 8 novembre 2006, appliquant strictement le texte légal prévoyant seulement que le représentant du personnel informe de son départ immédiat : dans son propre intérêt, d'ailleurs, puisqu'il bénéficie alors de la législation sur les accidents du travail. Dans la pratique, des rapports sociaux harmonieux permettent d'obtenir de facto ce qui est de jure refusé à l'encadrement par cet arrêt.

Des « bons » de délégation ne permettraient-ils pas d'aboutir indirectement au même résultat ? Là encore, réponse négative, malgré le terme « bon » qui implique l'idée – bien impropre ici – d'autorisation préalable. Car ce document écrit (ou désormais électronique sur serveur dédié), servant parfois de bon de circulation au sein de l'entreprise, ne figure dans aucun texte légal. Il doit donc avoir pour seule fonction de préciser contradictoirement, mandat par mandat le cas échéant, l'heure de départ et l'heure de retour afin de faciliter la paie. L'employeur ne peut y demander d'autres explications (lieu, durée prévisible, motif…). Et a fortiori en tirer des conséquences sur le paiement automatique en fin de mois (cf. Cass. soc., 12 juillet 2006). Tout détournement est sanctionné par le juge social, comme l'a rappelé l'arrêt du 10 mai 2006. En présence d'un accord d'entreprise sur le droit syndical et la circulation des représentants du personnel, l'employeur avait averti les représentants que les échanges téléphoniques entre délégués devaient désormais être comptabilisés en heures de délégation, avec un bon établi a posteriori : « Visant à avertir le chef de service de l'intention du représentant syndical de se mettre en délégation, la pratique des bons de délégation ne peut être détournée de son seul objet d'information préalable d'un déplacement pour l'exercice du mandat dans ou en dehors de l'entreprise. L'employeur ne peut étendre la pratique des bons de délégation prévue par l'accord d'entreprise pour la circulation des mandatés à un cas qui n'y est pas prévu. Le non-respect de cette disposition par le délégué ne pouvait justifier une sanction disciplinaire. » Cet arrêt ne signifie pas qu'un accord collectif ne puisse prévoir que le temps passé par les représentants du personnel au téléphone ou sur l'intranet avec des délégués, mais aussi les télétravailleurs et autres nomades joignables uniquement par mobile ou courriel, soit décompté du crédit d'heures. La charte du 27 juin 2002 sur les conditions d'accès aux systèmes d'information par les délégués des Chantiers de l'Atlantique prévoit à ce titre une imputation forfaitaire de deux heures de délégation par mois.

2° PRISES D'HEURES ET ÉVALUATION DU DÉLÉGUÉ

Même si, depuis 1982, ces heures si particulières sont « de plein droit considérées comme temps de travail » (et non plus « payées comme »), pour le responsable du service, le représentant du personnel est alors objectivement absent.

Si le délégué est titulaire d'un unique mandat il faut, si nécessaire, savoir adapter le poste en accord avec le représentant du personnel concerné : au-delà du fait que son statut interdit à l'employeur de lui imposer un simple changement de ses conditions de travail (Cass. soc., 21 novembre 2006 : du rayon poissonnerie au rayon alimentaire), le délégué n'est en effet pas toujours d'accord pour cette différenciation en forme de sous-charge parfois mal vue par des collègues en surcharge. Nombre d'accords sur le droit syndical prévoient que « les personnels mandatés doivent concilier l'exercice de leur mandat et l'accomplissement de leur activité professionnelle. Dans ce cadre, le salarié mandaté peut demander à son responsable hiérarchique direct d'étudier une adaptation de l'organisation de son travail qui devra préserver l'intérêt de l'emploi ainsi que les possibilités d'évolution professionnelle de l'intéressé » (accord EADS, 5 avril 2002).

Mais si le délégué cumule deux ou trois mandats et/ou que la convention collective applicable est très favorable, le poste devient vite ingérable au quotidien : contrairement au temps partiel où les horaires sont maîtrisés par l'entreprise, c'est le délégué et lui seul qui décide de partir en délégation quand il le souhaite. Problèmes garantis, comme le remarquait l'arrêt du 8 novembre 2006, où la cour d'appel avait pudiquement noté « une insuffisante information de l'encadrement relativement à la prise d'heures de délégation » : ce motif « ne constitue pas un élément objectif étranger à l'exercice du mandat syndical », répond la chambre sociale, concluant à une discrimination.

D'où, pour nombre de « grands élus » à plus de 80 heures mensuelles, la pratique apparemment fort sociale d'en faire des permanents. Or il n'est pas certain que cet état favorise le contact quotidien du représentant avec les représentés, toujours subordonnés et voyant d'un œil souvent critique ces fonctionnaires du social leur rendre parfois visite. Et, pour la hiérarchie, l'entretien de fin d'année prend alors des airs surréalistes : comment évaluer ces personnes qui ont si peu, voire jamais travaillé à leur poste habituel ? A fortiori pour un vendeur ou un commercial au variable très variable ?

« M. L. n'est pas motivé pour la vente de par ses nombreuses activités syndicales. Sa présence irrégulière ne permet pas un management correct et une implication satisfaisante de sa part. » Dans son évaluation annuelle écrite (!), le manager de ce technico-commercial de France Télécom avait fait preuve d'une grande naïveté juridique, mais requalifiée en véritable franchise par la cour de Grenoble : « Il s'agit d'une recherche d'explication objective des performances insuffisantes de l'intéressé ; M. X. ne justifie pas qu'il ait été entravé dans l'exercice de ses fonctions syndicales ni qu'il ait subi, du fait de son engagement, des mesures discriminatoires en matière de rémunération ou de promotion. »

Au visa de l'article L. 412-2 du Code du travail, dont elle élargit la lettre tout en respectant l'esprit, la chambre sociale rétorque qu'« il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'exercice d'une activité syndicale dans l'évaluation du salarié. Toute mesure contraire est abusive et donne lieu à dommages-intérêts ». Le paradoxe est que le supérieur doit littéralement « prendre en compte » l'activité syndicale s'il ne veut pas être condamné pour discrimination, qu'il s'agisse d'adapter le poste ou d'évaluer son collaborateur souvent absent.

S'agissant de grands élus et, a fortiori, de permanents, il est donc à tout point de vue risqué de le faire évaluer par son supérieur direct. C'est à la DRH, celle qui a mené la négociation sur le droit syndical, avec au besoin le soutien d'une commission paritaire de suivi, de le faire. On pourra aussi s'inspirer de la loi du 23 mars 2006 voulant éviter toute discrimination à l'encontre des jeunes mamans, qui prévoit qu'au retour de leur congé maternité elles doivent bénéficier non seulement des augmentations générales, mais également de la moyenne des augmentations individuelles de leur service.

Au-delà des nombreux procès en discrimination avec rattrapage (cinq ans pour les heures de délégation, mais trente ans s'agissant de dommages et intérêts) et des très médiatisées interventions du président de la très médiatique Halde qui dispose, depuis la loi d'avril 2006, de pouvoirs quasi juridictionnels, nombre d'employeurs ont aussi compris qu'un représentant du personnel qui ne se voit aucun avenir dans l'entreprise a tendance à se radicaliser.

FLASH
Revirement sur la mise à pied spéciale ?

En cas de faute grave, le Code du travail autorise l'employeur à mettre à pied de façon conservatoire le délégué fautif, avec effet immédiat mais obligation de commencer immédiatement la procédure statutaire de licenciement. Cette mise à pied spéciale et à durée indéterminée (à ne pas confondre avec son alter ego disciplinaire : l'autorisation de licenciement serait alors automatiquement refusée en application de la règle non bis in idem) suspend, comme toute mise à pied, le contrat de travail.

Mais le mandat ? Depuis son revirement du 2 mars 2004, la chambre sociale estime qu'il n'est pas suspendu : ce qui signifie que, contrairement à la volonté du législateur, le délégué peut pénétrer dans l'entreprise et y circuler librement. Toujours réaliste (le droit pénal n'encourage guère la naïveté), la chambre criminelle estimait à l'inverse que contrat et mandat étaient tous deux suspendus : le représentant du personnel ne dispose donc plus d'heures de délégation et n'a pas non plus à être convoqué aux réunions (C. crim., 5 mars 2002).

Mais l'arrêt du 30 octobre 2006 semble s'aligner sur la chambre sociale : s'agissant d'un délégué syndical mis à pied de façon conservatoire à la suite de graves incidents lors d'un conflit collectif et donc non convoqué à des réunions de négociation, la chambre criminelle stigmatise la volonté patronale « de le priver de la possibilité de circuler dans l'entreprise et d'exercer ses fonctions de représentation ».

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray