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Comment rebatir un pacte entre les générations ?

Enquête | publié le : 01.01.2007 | Valérie Devillechabrolle, Anne-Cécile Geoffroy, Jean-Paul Coulange

Les baby-boomers ont-ils vécu à crédit sur le dos des générations futures ?
Les baby-boomeurs ont manqué d'anticipation, mais les jeunes se trompent de combat : débat entre Bernard Spitz, auteur du Papy-Krach, et des représentants des deux générations, Jean-Louis Mandinaud et Julie Coudry.

Bernard Spitz : Deux générations se sont en fait concertées pour réaliser ce « hold-up du siècle ». Celle de l'après-Première Guerre mondiale a profité de la forte croissance des Trente Glorieuses pour obtenir une amélioration significative des minima sociaux et notamment des retraites. Après que le choc pétrolier a cassé cette dynamique économique, les baby-boomers ont continué sur la même lancée, mais en recourant de plus en plus à la dette. Si ce déficit avait au moins servi à financer des investissements d'avenir, nous serions fondés à demander aux jeunes d'en payer le retour sur investissement. Malheureusement, cet endettement a surtout servi à financer les avantages acquis et le train de vie de l'État. Si bien que nous n'avons plus aucune marge de manœuvre pour réaliser les ajustements nécessaires à un retournement démographique prévu depuis trente ans. Les jeunes sont donc victimes d'une double peine. Non seulement ils souffrent déjà d'un enseignement supérieur clochardisé, d'un taux de chômage désastreux et d'un transfert massif de ressources en faveur de leurs parents, mais ils vont aussi devoir rembourser la dette tout en payant la retraite de leurs parents et la leur. Cette situation ne résulte toutefois pas d'un complot des baby-boomers visant à spolier la génération future, mais plutôt d'un manque de leadership et d'anticipation des problèmes.

Jean-Louis Mandinaud : À la Libération, le système fonctionnait parfaitement bien. Certes, les salaires de départ étaient très modestes, y compris dans l'administration. Mais la retraite n'était pas une obsession, et le chômage n'existait pas. Le cercle vertueux s'est brisé quand le patronat a commencé à faire partir les plus âgés en contrepartie de substantielles primes de licenciement et d'une bonne retraite à 65 ans. Lorsque le travail a commencé à manquer et que les réserves de l'Unedic ont fondu, nous nous sommes contentés d'augmenter les cotisations pour lutter contre un chômage endémique. Nous pensions que nous pouvions continuer comme avant et que la France s'en sortirait toujours. Nous n'avons pas su adapter notre modèle social à la nouvelle donne.

Julie Coudry : Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, notre génération n'est pas assurée de vivre mieux, voire aussi bien, que les précédentes. Même s'ils ne sont pas totalement conscients du « hold-up » en cours, les jeunes ne croient plus à la promesse d'un progrès économique et social linéaire. Cette crise de la représentation de l'avenir se double de la difficulté des politiques à offrir une vision positive du futur, dans un contexte marqué par la montée des extrêmes.

N'existe-t-il pas malgré tout une solidarité entre les générations ?

J.-L. M. : Cette solidarité familiale va avoir une fin. Si ma génération peut encore se montrer solidaire envers ses enfants, je crains que la suivante ne puisse pas se le permettre. Et la crise risque d'être terrible.

J. C. : Les revenus de la rente étant désormais supérieurs à ceux du travail, la redistribution intergénérationnelle passe effectivement de plus en plus par la famille au détriment d'une solidarité plus collective.

B. S. : Il faut surtout tendre vers l'égalité des chances entre générations. Un objectif permettant de ne pas s'enfermer dans une logique comptable qui tend à bloquer le système. Cela éviterait aussi l'institution d'un système dual entre les contributeurs nets – qui, en plus d'avoir les moyens de s'éduquer, de travailler et de se protéger, ne voudront pas payer, au risque de partir à l'étranger – et les débiteurs, qui n'auront pas le choix…

Les jeunes générations ainsi spoliées n'ont-elles pas les moyens de réagir ?

B. S. : Quand les jeunes descendent dans la rue, ils obtiennent toujours gain de cause. Mais ils ne se servent pas de ce pouvoir d'influence pour défendre leurs intérêts et réclamer le rétablissement de l'égalité entre les générations. La mobilisation des jeunes contre la réforme LMD (licence, master, doctorat, NDLR) n'avait ainsi aucun sens, sauf à vouloir maintenir à tout prix des filières universitaires sans avenir. Les jeunes devraient plutôt être les fers de lance de ces réformes et notamment de la lutte contre les gabegies d'argent public.

J. C. : La bataille des jeunes menée contre le CPE et le bizutage social à l'entrée dans le monde du travail qu'il induit a révélé qu'ils pouvaient se montrer combatifs pour construire leur avenir. C'est justement pour ne pas nous tromper de combat et ne pas laisser dévoyer le désir d'avenir de la jeunesse par l'extrémisme ou la démagogie que la Confédération étudiante a été créée, il y a quatre ans. Et qu'elle a soutenu la réforme LMD, tout comme elle s'est battue pour le « oui » à la Constitution européenne. Mais, pour rebâtir un pacte générationnel plus large, il faudrait aussi que la génération au pouvoir accepte que la jeunesse soit un acteur du changement à part entière. Rien ne saurait être pire que de bercer les jeunes avec des discours compassionnels et plaintifs ou de vendre du malaise au kilo.

Pour rebâtir ce pacte social, par quelles réformes commencer ?

B. S. : En rétablissant d'abord l'équilibre des comptes sociaux. Il faut repousser l'âge légal de départ à la retraite, hormis pour les métiers pénibles, et faire davantage contribuer les retraités qui ne pourront pas toujours échapper à l'effort collectif. Il faut ensuite mettre le paquet sur l'enseignement supérieur et la recherche en donnant davantage d'autonomie aux universités et en établissant une cohérence entre les filières de formation et le marché du travail. Cela nécessite de transférer des moyens du secondaire vers le supérieur. Il faut enfin dégager des marges de manœuvre en engageant la réforme de l'État. Tout le monde l'a fait… Sauf nous. Ces choix collectifs sont à notre portée car personne ne se satisfait de cette désespérance à l'origine de l'anxiété collective et du caractère inflammable de la société française. La campagne présidentielle doit être l'occasion d'exprimer la pédagogie nécessaire pour sortir de la crise par le haut et éviter la guerre des générations. À charge pour les candidats d'obtenir la légitimité politique pour le faire.

J.-L. M. : Il est nécessaire de dire la vérité aux retraités. Ceux qui bénéficient aujourd'hui de bonnes pensions sont prêts à accepter de faire des efforts. Ce sera plus délicat pour ceux qui n'ont pas cette chance et qui s'inquiètent de ne pas pouvoir aider leurs descendants.

J. C. : S'agissant des retraites, les jeunes accepteront d'autant mieux de payer pour le régime par répartition qu'ils seront assurés d'en bénéficier. Cela suppose de bousculer les forces conservatrices qui cogèrent le système tout en le dénonçant pour, finalement, maintenir les choses en l'état. Prenons rendez-vous pour le débat sur les retraites de 2008 : nous verrons alors comment les organisations représentatives se positionnent et quelles priorités elles défendent.

J.-L. M. : La France est un pays riche mais où se juxtaposent des intérêts catégoriels… Pour lutter contre ces corporatismes, il nous faudrait un nouveau Grenelle, voire une nouvelle nuit du 4 août. Les syndicats y sont davantage prêts qu'il n'y paraît. Encore faut-il une classe d'intellectuels capables d'entraîner le pays.

JULIE COUDRY

Présidente de la Confédération étudiante.

BERNARD SPITZ

Maître des requêtes au Conseil d'État.

JEAN-LOUIS MANDINAUD

Président de la Confédération nationale des retraités.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle, Anne-Cécile Geoffroy, Jean-Paul Coulange