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Oxfam, partenaire number one

Dossier | publié le : 01.01.2007 | Léa Delpont

Partenariats, alliances, lobbying… la puissante ONG britannique a elle aussi changé de stratégie avec les entreprises. Sans renoncer à la dénonciation, si nécessaire.

En 2005, Oxfam a fait scandale en cosignant un rapport sur la pauvreté en Indonésie avec le géant Unilever. Car la plus puissante des ONG britanniques avait plutôt l'habitude de dénoncer les profits réalisés par les multinationales dans le tiers-monde que de collaborer avec elles. Mais si, il y a dix ans encore, Oxfam s'illustrait par de virulentes campagnes de dénonciation des mauvaises pratiques, aujourd'hui, sa stratégie est clairement orientée vers le dialogue et les partenariats avec les grandes entreprises. Quitte à recourir à des méthodes plus musclées quand elle n'arrive pas à se faire entendre. Fin octobre, devant le refus de Starbucks Coffee de reconnaître à l'Éthiopie le droit de posséder ses propres marques de grains, l'organisation a aussitôt lancé une pétition largement relayée par la presse. Pourtant, deux ans plus tôt, l'ONG avait conclu un accord avec la chaîne de cafés dans ce pays, moyennant un investissement de 150 000 euros à la clé.

C'est pour éviter ce genre de retournement de situation qu'Oxfam est très prudent avant de s'engager avec une entreprise. « On est très regardants sur l'argent que l'on accepte afin d'éviter tout conflit d'intérêts. Il faut protéger l'intégrité de notre nom », explique Robert Bailey, conseiller pour les relations avec le secteur privé. Seules une dizaine de sociétés sont officiellement ses « partenaires » et peuvent utiliser le logo de l'ONG dans leur communication. La Co-operative Bank édite une carte de crédit labellisée Oxfam et lui reverse 25 pence pour 100 livres d'achats, soit 3 millions d'euros depuis 1994. Taylors of Harrogate plante des arbres en proportion du nombre de paquets de thé qu'il vend. La Royal Bank of Scotland offre deux livres quand ses salariés en donnent une. L'écurie de Formule 1 de Renault reverse le fruit de ventes aux enchères de matériel de course, les magasins Coop collectent les téléphones portables, dont le recyclage a déjà rapporté 135 000 euros depuis l'an dernier. Tout récemment, Vodafone et Aviva sont devenus les premiers sponsors de 365 Alliance, un fonds d'urgence pour les catastrophes humanitaires, en s'engageant à verser de 750 000 à 1,5 million d'euros sur trois ans à Oxfam.

Oxfam fait miroiter aux entreprises le bénéfice de l'image qu'elles peuvent tirer d'une association avec une « marque » respectée, dont le taux de reconnaissance atteint 99 % au Royaume-Uni, forte de 600 000 donateurs réguliers et d'un réseau de 750 boutiques, visitées au moins une fois par an par un tiers de la population. Pourtant, leur soutien financier reste marginal : moins de 15 millions d'euros sur les 450 millions de ressources annuelles de l'ONG, auxquels s'ajoutent des dons en nature et des expertises gratuites. Plutôt que de lever des fonds, Oxfam préfère intervenir discrètement auprès des entreprises pour les inciter à adopter des pratiques responsables en matière de rémunération, de travail des enfants, de droits syndicaux… Un gros travail de lobbying souterrain, qui fait pendant à celui des entreprises auprès des gouvernements et des institutions internationales.

Les premiers contacts remontent au début des années 90, quand l'association a commencé à s'intéresser aux industries minières et pharmaceutiques. Mais ce n'est que l'an dernier qu'elle s'est dotée d'une stratégie globale. Quinze personnes travaillent dans le jeune service dédié au secteur privé. Lié par un pacte de confidentialité, Oxfam déclare discuter avec une trentaine de groupes d'assurance, de banques, d'enseignes de distribution, de fabricants de biens de consommation, de compagnies minières et pétrolières. L'ONG a essuyé des critiques pour avoir noué une alliance dans le commerce équitable avec de grandes chaînes de supermarchés britanniques comme Tesco, Asda ou Sainsbury's. Mais, encore une fois, le pragmatisme prévaut. « Neuf emplois sur dix dans les pays en voie de développement dépendent du secteur privé. Sur les 250 plus grandes puissances économiques mondiales, 191 sont des multinationales. Elles ont une influence immense sur le cours de l'économie », justifie Robert Bailey. L'ONG ne cache pas vouloir travailler aussi avec des banques pour développer le microcrédit.

Dans le camp des entreprises aussi, on a pris l'habitude de travailler avec l'ONG. « Même si cela se sait rarement, les sociétés travaillent beaucoup avec les associations, et Oxfam en particulier, assure Brian Cress, conseiller sur la responsabilité sociale à la confédération patronale CBI. Pour simplifier, les syndicats sont plus présents sur les débats nationaux, les retraites par exemple, et les associations sont mieux placées pour traiter les problèmes à l'étranger. S'il y a une affaire de travail d'enfants dans la chaîne de production d'une société anglaise, ce sont elles qui interviennent. »

REPÈRES

Créée en 1942, la méga-ONG britannique dirigée par Barbara Stocking, ex-patronne du National Health Service, lutte pour éradiquer la pauvreté dans le monde.

Oxfam dispose de plus de 450 millions d'euros de budget pour financer ses programmes de vaccination, reboisement, creusement de puits, construction d'écoles…

750 boutiques de charité de livres et vêtements d'occasion lui assurent près de 100 millions d'euros de revenus.

En 1995, Oxfam s'allie avec des ONG étrangères pour créer Oxfam International, et ouvre une antenne permanente de lobbying aux États-Unis, auprès du FMI, de la Banque mondiale et des Nations unies.

Orthodoxe en France

Les autres antennes nationales de l'ONG n'ont pas toutes la même approche avec le monde des affaires. En France, Oxfam n'accepte aucun don de sa part. « Nos actions d'interpellation publique nécessitent une indépendance totale », explique Caroline Maurel, d'Agir ici, qui a pris le label Oxfam en octobre. Cibles favorites de ses cartes postales : les enseignes de bricolage, sur le thème du commerce équitable dans la filière bois, l'industrie de la défense et les compagnies minières. Mais aussi ceux qu'elle juge responsables de l'exploitation des enfants dans le secteur textile, comme Auchan et Carrefour, visés par le collectif De l'éthique sur l'étiquette, dont Agir ici était à l'origine.

Le pétrolier français Total reçoit l'association tous les ans, à sa demande. « Ils nous écoutent mais n'ont toujours pas quitté la Birmanie, soutenant ainsi la dictature, et n'ont pas non plus renoncé aux clauses d'immunité dans les contrats qu'ils passent à l'étranger. Donc, pas de procès sur les conditions de travail chez les sous-traitants, par exemple. » Autre mode d'action, qui fait une légère entorse au principe d'indépendance : intervenir aux assemblées générales d'actionnaires, ce qui oblige à avoir un petit portefeuille de titres et implique d'en toucher quelques (maigres) dividendes. Mais la fin justifie les moyens.

Auteur

  • Léa Delpont