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“Le salaire ne devrait pas être la source de motivation”

Actu | Entretien | publié le : 01.01.2007 | Éric Béal

Experte reconnue en stratégie des ressources humaines, la professeur de la London Business School considère que seules l'implication et la collaboration des salariés produisent de la qualité et qu'il faut résister à l'individualisation à outrance des rémunérations.

Comment définir l'Entreprise démocratique, titre d'un de vos livres ?

Une entreprise démocratique est une organisation capable de créer l'engouement des salariés. Pour éviter les mercenaires, il faut donner aux salariés plus de choix. Le choix du lieu de travail, de leurs horaires et des moyens. S'ils pouvaient choisir, ils se transformeraient en citoyens engagés et cultiveraient un fort sentiment d'appartenance à leur entreprise. J'aurais d'ailleurs dû traiter dans mon livre de la question de savoir si les salariés devraient désigner leur P-DG par un vote. Plus vous permettez aux gens de prendre des décisions, plus l'organisation se développe avec succès, surtout lorsqu'elle est complexe.

Vous préconisez aussi de mettre l'être humain au cœur du business, ce que clament toutes les entreprises. N'est-ce pas un peu utopique ?

Je ne pense pas être utopique. Je ne préconise pas de ne plus licencier, par exemple. Les entreprises sont des entités commerciales qui doivent servir leurs actionnaires. Mais une entreprise sert activement ces derniers en adoptant une politique de développement du savoir-faire de ses salariés. British Petroleum ou ISS investissent beaucoup d'argent dans la constitution et la formation de leurs équipes. Leur but est de rendre les salariés fiers de ce qu'ils font. Car c'est le seul moyen d'obtenir un service de grande qualité. En 1996, H-P a diminué ses effectifs en Europe de 20 %, sans perdre l'implication de ceux qui sont restés, grâce à une procédure de licenciement intelligente.

Les intérêts des actionnaires et cette gestion de l'entreprise sont-ils contradictoires ?

Je ne crois pas. Mettre l'humain au cœur du business permet aux directions de multiplier les pratiques de coopération entre les salariés et de renforcer leur implication, ce qui aboutit à de meilleurs résultats financiers. Nokia comme General Electric ont adopté des pratiques de gestion RH très sophistiquées allant dans ce sens. Ils ne les ont jamais remises en question par la suite.

Comment se caractérisent ces pratiques ?

La première chose à faire est de sélectionner des managers sachant gérer leur équipe de manière équilibrée. Ce n'est pas tant une question de savoir-faire que de personnalité et de comportement. À travers les enquêtes que nous menons dans les entreprises, nous avons découvert que les équipes les plus performantes étaient encadrées par des responsables qui s'occupaient du mental de leurs collaborateurs. Il faut des cadres capables de coacher et de tutorer leurs collaborateurs. Ce choix est l'une des tâches primordiales de la fonction RH. Le corollaire, c'est que les DRH ne doivent pas hésiter à se séparer des managers colériques et agressifs envers leurs équipes. Enfin, une DRH doit également s'assurer que les process RH, particulièrement les rémunérations et la formation, sont organisés de manière à aider chaque salarié à améliorer ses résultats.

Les entreprises mettent pourtant l'accent sur la gestion individuelle des salariés…

Certes, les process RH doivent s'attacher aux individus, mais surtout à ceux qui savent travailler en équipe. Ce que nous savons de l'innovation nous prouve qu'elle intervient rarement grâce à une seule personne. L'un des challenges du DRH est de créer une organisation fonctionnant à travers des communautés d'individus. Cela vaut mieux que de porter ses efforts sur le recrutement de quelques stars, qui finissent toujours par vous quitter…

Ce type de management est-il compatible avec l'individualisation des salaires ?

Les entreprises ne devraient pas utiliser le salaire comme une source de motivation. Les revenus sont le plus souvent un objet d'insatisfaction. Les gens comparent leur salaire à ceux de leurs collègues et amis et chacun estime qu'il ne gagne pas assez. Plutôt que de perdre un temps fou à s'inquiéter du niveau des salaires, les entreprises auraient tout intérêt à payer leurs collaborateurs avec équité et à passer plus de temps à élaborer une politique managériale leur permettant de progresser en se formant. Les directions passent trop de temps à mettre en place des politiques salariales corporate très sophistiquées qui se révèlent peu incitatives pour les salariés. Chez Nokia, le salaire le plus élevé n'est pas celui du P-DG, c'est celui du responsable de la filiale américaine, car l'entreprise a dû respecter le niveau d'exigence des managers locaux pour recruter.

Néanmoins, l'individualisation des salaires reste une lame de fond…

Certes, mais nous devrions résister à cette américanisation rampante et garder notre modèle européen de gestion des ressources humaines. Si vous créez de la compétition entre les salariés en favorisant les rémunérations individuelles au détriment de modes plus collectifs que l'Europe conserve encore, vous incitez tout le monde à se replier sur soi. Chacun ne pense qu'à son intérêt personnel et ne cherche plus à coopérer.

LYNDA GRATTON

Consultante, professeur de management à la London Business School, elle est directrice du centre de recherche Lehman Brothers Centre for Women in Business.

ÂGE

52 ans.

PARCOURS

Docteur en psychologie de l'université de Liverpool, elle dirige le Leading Edge Research Consortium depuis 1992, un groupe de recherche sur le leadership, avec l'appui d'entreprises telles que Hewlett-Packard, Glaxo Wellcome et Citibank. Elle a notamment publié The Exceptional Manager, avec R. Delbridge et G. Johnson (Oxford University Press, 2006), Living Strategy (Prentice Hall, 2000), la Stratégie à visage humain (éditions Village mondial, 2002).

Auteur

  • Éric Béal