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Vie des entreprises

Korian soigne davantage le social qu'Orpea

Vie des entreprises | Match | publié le : 01.12.2006 | Anne-Cécile Geoffroy

Salaires au smic, conditions de travail éprouvantes, les salariés des maisons de retraite privées ne sont pas à la fête. Mais, en matière de formation ou de dialogue social, Korian fait mieux qu'Orpea.

Un marché en or ! Avec le vieillissement galopant de la population française – en 2030, 8 millions de personnes auront plus de 75 ans, contre 5 millions aujourd'hui –, les groupes de maisons de retraite privés ont de beaux jours devant eux. Rachats, fusions et entrées en Bourse rythment le quotidien de ces établissements qui étaient, il y a encore cinq ans, détenus par une majorité d'indépendants. Dans ce secteur en plein essor, Korian et Orpea se disputent la première place. Né de la fusion de Suren et de Medidep, Korian, entré en Bourse fin novembre, fait figure de mastodonte avec ses 127 établissements, 10 500 lits et 6 537 salariés. À sa tête, Rose-Marie Van Lerberghe, arrivée à la rentrée, en provenance de la direction générale de l'AP-HP. Elle a été appelée par Jean-Claude Georges-François, l'ancien DRH d'Arcelor, devenu président du conseil de surveillance de Korian. En face, Orpea, ex-numéro un du secteur, rétrogradé au deuxième rang, compte 90 établissements, 8 500 lits et 3 150 salariés. Un groupe dirigé par un ancien médecin, Jean-Claude Marian, reconverti avec succès en chef d'entreprise. En quelques années, ce dernier a fait sortir de terre la quasi-totalité de ses établissements, en choisissant, en 2002, la filière de la Bourse pour financer son développement. Résultat, le titre introduit il y a quatre ans, à 12,80 euros, s'échangeait mi-novembre autour de 65 euros.

Dix-huit toilettes par aide-soignant. Reste qu'en coulisse les politiques sociales des deux leaders sont moins flatteuses que leurs cours de Bourse ou que les halls d'entrée soignés de leurs établissements.

Déjà, les conditions de travail en maison de retraite sont, à juste titre, réputées difficiles physiquement et psychologiquement. « Nous sommes en première ligne lorsqu'un de nos résidents décède, explique une aide-soignante du groupe Orpea [dont tous les salariés ont souhaité rester anonymes – NDLR]. Le travail est très stressant. Nous devons nous battre afin d'obtenir des moyens pour travailler. Un simple exemple : la direction de mon établissement rechigne à nous fournir suffisamment de gants et de serviettes pour assurer la toilette des résidents », poursuit cette salariée. « Nous accueillons des personnes de plus en plus dépendantes, ajoute une de ses collègues. Le soir, nous sommes 4 pour coucher 80 personnes, la majorité en fauteuil. La nuit, les lingères prennent le relais et apportent des soins aux résidents alors que ce n'est pas leur métier. Et, le matin, chaque aide-soignante doit assurer près de 18 toilettes. Nous accordons en gros dix minutes à chaque résident. Difficile de les bichonner. »

Un sentiment de frustration qui s'accompagne d'un climat social très tendu chez Orpea. « De manière générale, les salariés syndiqués sont très mal vus dans le secteur, décrypte Catherine Rochard, à FO Santé. Soit les directions cassent d'entrée ces salariés, soit elles les achètent. Nous venons par exemple de faire le ménage dans nos troupes syndiquées chez Orpea. » La direction du groupe vient aussi de se faire rappeler à l'ordre par la direction départementale du travail des Hauts-de-Seine. Saisie par l'Union nationale de la santé privée FO et la Fédération CGT de la santé et de l'action sociale, la DDT demande à Orpea de créer quatre comités d'établissement par grande région en lieu et place d'un seul CE pour 90 établissements.

Conventions tripartites. Chez Korian, le dialogue avec les syndicats, CFDT, FO et, plus récemment, CGT, est nettement plus serein. Mais l'antienne est la même quant aux conditions de travail. « La ficelle est toujours prête à craquer, souligne une aide médicopsychologique. Les plannings changent tout le temps. Quand l'une d'entre nous part en vacances, elle n'est pas remplacée. Et, quand on explique qu'il manque du personnel, la direction nous renvoie à la convention tripartite. »

Depuis la loi de janvier 2002, chaque établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes doit en effet signer une convention avec le département et les services de la DDASS. Celle-ci définit les conditions de fonctionnement des maisons, un taux d'encadrement minimal des résidents et leur impose d'embaucher du personnel qualifié. En échange, les partenaires prennent en charge les soins et les aides à la dépendance des résidents.

Turnover élevé. Aujourd'hui, 85 % des établissements du secteur sont conventionnés. Reste que ces conventions tripartites ont créé des besoins en personnel qualifié que les maisons de retraite peinent à trouver. Car le domaine de la gériatrie en France n'attire pas les aides-soignants, aides-médicopsychologiques ou infirmiers, qui se tournent plus volontiers vers le secteur hospitalier, plus noble à leurs yeux. Surtout, les maisons de retraite peinent à garder leurs salariés et font face à un turnover élevé. Chez Korian, celui-ci avoisine 25 %. Une désaffection à laquelle l'ensemble des maisons de retraite n'échappe pas. À cela s'ajoute un taux d'absentéisme record. « Nous recrutons essentiellement du personnel féminin. Certaines élèvent seules leurs enfants. Quand ils tombent malades, elles s'arrêtent », explique Stéphanie Calado-Cercas, responsable du recrutement et de la formation pour le groupe Korian. « Nous ne pouvons pas nous satisfaire de ces résultats, affirme Rose-Marie Van Lerberghe. L'un de mes axes de travail sera de développer l'attractivité du groupe en proposant des parcours qualifiants. »

Korian compte sur son réseau d'établissements afin de favoriser la mobilité professionnelle de son personnel. Il s'appuie surtout sur la formation pour doper les qualifications. Apprentissage, périodes et contrats de professionnalisation, VAE, Korian compte aussi sur l'organisme de formation Formadep, arrivé dans le giron du groupe avec Medidep, pour enrichir sa palette de stages internes. Korian y consacre ainsi 2,85 % de sa masse salariale.

En face, Orpea recourt aux mêmes méthodes pour professionnaliser ses troupes. Le groupe de Jean-Claude Marian a ouvert il y a deux ans un institut de formation d'aides-soignants au sein de son établissement vitrine de Saint-Rémy-lès-Chevreuse, dans les Yvelines. « La première promotion est sortie en janvier dernier. Il s'agissait d'une promo maison. La prochaine session accueille des personnes en reconversion. On sait déjà que ce sera plus difficile de les conserver », explique l'une des responsables du site. Mais les salariés doutent parfois de ces opportunités de formation interne. « Je travaille depuis quinze ans pour Orpea, explique une ancienne auxiliaire de vie. Pendant dix ans j'ai régulièrement demandé une formation d'aide-médicopsychologique. Ils ont enfin accepté il y a cinq ans, lorsque l'établissement négociait sa convention tripartite. »

Scotchée au smic. Côté rémunérations, les maisons de retraite du secteur privé ne sont pas réputées pour leur générosité. « Avec onze années d'ancienneté, je touche 1 100 euros net par mois, carte Orange incluse, et nous n'avons pas de treizième mois », explique une aide-soignante chez Korian. Orpea colle à la grille salariale du Synerpa, le syndicat de branche, scotchée au smic. Le premier niveau de classification, celui des auxiliaires de vie qui assurent le ménage dans les établissements, se situe même au-dessous du salaire minimum. Les salariés peuvent néanmoins compter sur la participation pour améliorer l'ordinaire. « Cette année nous avons touché près de 500 euros. Mais la direction a, dans le même temps, supprimé une prime que l'on touchait au prorata de nos jours de présence », précise une animatrice. Au chapitre des rémunérations, Korian se démarque de son concurrent. Si la politique salariale n'est pas encore homogène entre les différents établissements (certains sont alignés sur la grille du Synerpa, d'autres pas), Korian a décidé d'innover et d'associer l'ensemble des salariés à son entrée en Bourse via un plan d'actionnariat ouvert à tous. « Nous proposons des facilités de paiement sur dix mois et, pour 150 euros d'apport, l'entreprise abonde de 250 euros brut », précise Jean-Pierre Bareste, le DRH. Le cabinet Altedia a assuré la formation des responsables des ressources humaines dans le courant de l'automne, qui ont ensuite démultiplié la communication auprès des directeurs d'établissement. Des réunions d'information ont eu lieu dans tous les établissements et une plaquette a été éditée pour l'occasion.

Ce plan d'épargne constitue le « premier acte fondateur du groupe », selon Jean-Pierre Bareste. « Je compte, ensuite, mettre en place dans les deux ans une politique salariale homogène. » Une enquête de rémunération devrait également démarrer. « Nous avons peu de visibilité sur les pratiques des différents établissements », ajoute Rachid Aouchiche, responsable de la rémunération. Un travail d'inventaire et d'homogénéisation que Rose-Marie Van Lerberghe devra également mener sur des dossiers comme la retraite et la prévoyance pour rendre son groupe vraiment attractif.

Korian

Chiffre d'affaires : 515 millions d'euros

Effectifs : 6 537

Nombre d'établissements : 127

Orpea

Chiffre d'affaires : 194,6 millions d'euros

Effectifs : 3 150

Nombre d'établissements : 90

Un secteur dominé par le public

Dans la grande famille des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, le secteur privé commercial n'occupe en fait que 20 % du marché. Le public tient pour le moment le haut du pavé. Suivi par le secteur associatif. « La France compte 10 600 maisons de retraite qui hébergent 668 000 résidents. 60 % le sont dans le secteur public et 30 % dans l'associatif », dénombre Luc Broussy, ex-délégué général du Synerpa, reconverti dans le conseil et responsable du master Politiques gérontologiques, de Sciences po.

Reste que les entreprises à but lucratif sont les plus actives. Entre 1986 et 2003, elles ont ouvert plus de 100 000 lits quand le public en ouvrait 3 000. Korian annonce ainsi 5 000 nouveaux lits d'ici à 2009 et une diversification de ses activités vers l'aide à domicile des personnes âgées. En septembre, Orpea comptait sur l'ouverture de cinq ou six établissements d'ici à la fin de l'année. Un développement qui ne s'arrête pas à la France. Les groupes de maisons de retraite privés sont en train d'investir sur les marchés de nos voisins européens, confrontés au même phénomène de vieillissement de leur population.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy