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Politique sociale

L'abandon de poste, tactique en vogue

Politique sociale | publié le : 01.12.2006 | Éric Béal

Du jour au lendemain, certains salariés ne vont plus travailler. Licenciés pour faute grave, ils ont droit à l'allocation chômage. Un stratagème utile lors d'un changement de métier ou d'une création d'entreprise.

Mon homme se fait arnaquer par son patron qui ne veut pas appliquer la convention collective ni payer ses employés comme il le devrait. Ça fait des mois que ça dure et mon mari pète un câble. Il me semble qu'en se faisant licencier à la suite d'un abandon de poste on peut prétendre aux Assedic. Qui pourrait me renseigner à ce sujet ? » Cet appel au secours, lancé sur un chat du site aufeminin.com, est loin d'être isolé. La Toile regorge de forums de discussion sur le thème du droit du travail, où des salariés demandent conseils et informations afin de réussir leur sortie. « Je ne souhaite plus retourner dans mon entreprise et je me demandais si un licenciement pour abandon de poste me permettra tout de même de toucher les allocations chômage », s'interrogeait, déjà, en 2004 un correspondant anonyme sur le site 123travail.com. Et la question est revenue si souvent que l'un des gestionnaires de ce site notait quelques mois plus tard avec un brin d'amertume : « Le thème : « je veux me faire licencier et toucher les Assedic » est sans doute, et je le déplore, de loin le plus répandu sur ce forum. »

Incontournable sur le Net, le sujet est également bien connu des inspecteurs du travail. « Il ne se passe pas une semaine sans que je sois interrogée par un salarié ou interpellée par un employeur sur l'abandon de poste », indique une inspectrice de Seine-et-Marne qui voit ce phénomène grimper en flèche dans son secteur. Difficile de le vérifier avec les statistiques de l'Unedic. Le régime d'assurance chômage ne s'intéresse qu'à la façon dont le salarié perd son emploi. S'il démissionne, il n'a pas le droit à une indemnité de chômage. À l'inverse, s'il est licencié, il peut y prétendre. Et, dans la grande majorité des cas, un abandon de poste se solde par un licenciement.

Faute grave

Un salarié qui abandonne son poste de travail sans envoyer de lettre de démission peut s'attendre à recevoir une demande d'explication écrite de la part de son employeur, suivie d'une mise en demeure de revenir travailler. Au bout de deux ou trois tentatives de ce genre, l'employeur est en droit de lui adresser une lettre de licenciement pour faute grave, avec la mention « abandon de poste » (voir encadré page 38). Le salarié fantôme pourra alors se faire enregistrer par son Assedic. « L'assurance chômage comptabilise les mois de cotisation engrangés par le salarié mais ne juge pas les raisons de son licenciement », explique Pascal Guezenoc, DRH des Assedic de Paris. De fait, l'Unedic ne mesure pas le nombre d'abandons de poste. La seule indication que ses services peuvent fournir, c'est la part des nouveaux chômeurs indemnisés à la suite de licenciements pour faute grave ou lourde. En 2005, celle-ci s'élevait à 23,3 % du total des entrées après un licenciement. Les salariés concernés abusent-ils de ce stratagème pour percevoir une allocation chômage ? Ce n'est pas l'avis d'Ivan Béraud, secrétaire national de la Fédération communication, conseil, culture (F3C) CFDT. « Les salariés des SSII ou des sociétés de conseil sont nombreux à vouloir se faire licencier. Mais la plupart ont l'intention de prendre un autre job, indique-t-il. Car ceux qui changent d'entreprise et ne sont pas confirmés à l'issue de leurs quatre-vingt-dix jours de période d'essai se retrouvent sans revenus. À l'inverse, abandonner son ancien employeur pour le pousser à vous licencier permet de sécuriser cette période de transition. » Selon Laure Pourageaud, DRH de Sage, un éditeur de logiciels, « la plupart du temps, ces disparitions de salariés très qualifiés s'expliquent par un changement d'orientation professionnelle ». L'abandon de poste serait donc utilisé comme un substitut à la « flexisécurité », que les partenaires sociaux n'ont pas encore organisée.

Les “fantômes” existaient déjà il y a vingt ans dans la restauration, où la pénibilité est forte

DRH de XRT, un autre éditeur de logiciels, Monique Fournier est confrontée, depuis plusieurs années, à une multiplication de ce genre de comportement. « Cette année, je comptabilise 5 abandons de poste alors que je n'ai que 200 salariés en France. En 2004, un informaticien est même parti à l'heure du déjeuner en laissant son PC ouvert, et n'est jamais revenu. Au téléphone, sa femme m'a simplement dit qu'il avait trouvé autre chose. » Une explication vague qui peut également cacher une création d'entreprise. Percevoir l'assurance chômage durant quelques mois permet de peaufiner son projet en minimisant les inconvénients financiers.

Stress et turnover

Les jeunes loups de l'informatique ne sont pas les seuls à partir à la dérobée. Les secteurs où la pénibilité est forte, comme la restauration rapide ou la grande distribution, connaissent aussi des disparitions soudaines. « Le phénomène existait déjà il y a vingt ans. On appelait ces personnes les fantômes, explique Étienne Rémond, le DRH du groupe Flo, qui a commencé sa carrière dans la grande distribution. Mais il a pris de l'ampleur ces dernières années, en particulier chez les salariés les moins qualifiés. » Dans les centres d'appels, où les conditions de travail stressantes entraînent un turnover important, la tentation est grande d'obtenir un licenciement en disparaissant du jour au lendemain. « L'encadrement veut des résultats. Les collègues les plus en difficulté ont parfois besoin de souffler, mais ne peuvent se passer de revenus », justifie Alexandre Montigny, délégué CFDT chez B2S.

Chez Coriolis Omien 2, un centre d'appels picard, une quinzaine de salariés, sur un effectif de 550 personnes, ont été licenciés pour abandon de poste ou à la suite d'absences injustifiées au cours du dernier trimestre 2006. « Ils viennent nous voir pour nous demander de les aider à négocier leur licenciement, regrette Béatrice Desjardin, déléguée syndicale cédétiste. Nous nous contentons de leur expliquer leurs droits. » Le phénomène survient parfois dans l'artisanat. « À l'origine, il s'agit souvent d'une mésentente entre un patron et son salarié. Ce dernier s'en va sur un coup de tête. Mais cela reste anecdotique », assure Patrick Liébus, vice-président de la Capeb et maître couvreur dans l'Ain. Pour autant, d'après le ministère de l'Emploi, le cumul indemnité Assedic et travail au noir est courant dans ce secteur.

Même le régime d'assurance chômage n'est pas épargné par les abandons de poste. « Faute d'accord clarifiant la gestion de carrière des employés seniors de l'Unedic, un certain nombre de salariés âgés de 57 ans et plus ne se rendent plus au travail afin d'être licenciés », indique Josiane Chevalier, secrétaire de la branche assurance chômage de la fédération Protection sociale, Travail, Emploi de la CFDT. Une forme de retraite anticipée aux frais du régime d'assurance chômage dont l'existence est niée par la direction de l'Unedic. Mais, sur le terrain, les salariés, eux, sont de mieux en mieux informés sur cette forme d'autolicenciement et nombre d'entre eux adoptent une mentalité de mercenaire. La cohorte des « portés disparus » risque de donner de plus en plus de sueurs froides aux directions d'entreprise.

Gare au retour de bâton !

La majorité des DRH estime, à l'instar de Laure Pourageaud, chez Sage, qu'« il n'y a pas d'autre choix possible que de licencier si l'on veut remplacer le salarié disparu ». Une décision d'autant plus facile à prendre qu'elle ne coûte pas plus cher qu'une démission. Voire moins, puisque le salarié n'effectue pas son préavis et qu'il ne réclame pas de transaction. Mais une autre tactique est possible.

Responsable RH d'Accenture Technology Solutions, Capucine Naepels refuse de jouer le jeu. « J'ai eu plusieurs cas d'informaticiens venus négocier un licenciement pour créer leur entreprise. J'ai refusé. Lorsqu'ils ont abandonné leur poste, j'ai attendu qu'ils donnent signe de vie. Ils n'ont pas tenu très longtemps. » De son côté, l'avocat Henri-José Legrand rappelle que la démission ne se présume pas. « L'absence d'un salarié ne signifie pas que son contrat de travail est rompu, explique-t-il. L'employeur qui veut remplacer son salarié disparu doit préalablement procéder à son licenciement. » À condition d'y mettre les formes : la lettre de licenciement doit être précédée de plusieurs lettres invitant le salarié à reprendre son travail.

Mais rien n'oblige un patron ou un DRH à se presser. Jusqu'à une décision de la Cour de cassation du 13 janvier 2004, les employeurs avaient deux mois pour licencier un salarié ayant abandonné son poste. Ce n'est plus le cas. Prenant acte que l'employeur a réagi rapidement pour mettre le salarié en demeure de réintégrer son poste, la Cour a validé un licenciement pour faute grave, quatre mois après la disparition du salarié, ce délai n'ayant pas pour effet de rendre le licenciement sans cause réelle et sérieuse. De quoi inciter les DRH à laisser pourrir la situation et les salariés à réfléchir à deux fois avant de s'embarquer dans un bras de fer…

Auteur

  • Éric Béal