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Politique sociale

Prodi relance le dialogue social à l'italienne

Politique sociale | publié le : 01.11.2006 | Éric Jozsef,

Mis sous le boisseau par Silvio Berlusconi, le mode de concertation entre l'État et les syndicats scellé par les accords de 1993 va reprendre du service. Avec, au menu, des réformes délicates comme celle des retraites.

Plus qu'un symbole… Si Romano Prodi a embarqué dans son gouvernement de centre gauche pas moins de six anciens dirigeants syndicaux, dont Paolo Ferrero, un ancien leader métallo placé au ministère de la Solidarité sociale et, surtout, l'ex-secrétaire général de la puissante confédération CISL, Sergio D'Antoni, nommé vice-ministre pour le Développement économique, ce n'est pas pour qu'ils y fassent tapisserie. Revenu au pouvoir au printemps dernier, après cinq ans de parenthèse, Berlusconi, l'ancien président de la Commission européenne, entend renouer des liens avec les partenaires sociaux que le patron de Forza Italia avait délibérément ignorés.

Confrontation quasi institutionnalisée. Durant la campagne électorale, le leader de l'Union s'est juré de remettre en selle le modèle social italien et ne cesse, depuis, de le répéter comme un leitmotiv. À la mi-octobre, devant les patrons de la Confindustria réunis en assemblée générale à Milan, il a exalté les vertus de la « concertation sociale ». En clair, le Professore de Bologne veut en revenir à l'accord de 1993 qui avait permis à l'Italie de sortir d'une crise financière et politique sans précédent et de remettre les comptes en ordre pour adhérer à la monnaie unique, adoptant ainsi un « modèle social qui est un exemple original dans le panorama européen », selon le secrétaire confédéral de la CGIL, Mauro Guzzonato. Un modèle « fondé sur la confrontation quasi institutionnalisée entre patronat, syndicats et gouvernement », résume le dirigeant syndical. En 1993, alors que la Péninsule est au bord du chaos en raison notamment des affaires de corruption qui déciment la classe politique et des déficits budgétaires, le gouvernement, alors dirigé par l'ancien gouverneur de la Banque d'Italie, Carlo Azeglio Ciampi, réunit en urgence les partenaires sociaux. « Un accord était indispensable pour mettre sous contrôle la dynamique des salaires et des prix », rappelle Giuseppe Berta, professeur à l'université Bocconi de Milan.

Afin de rester dans les clous du traité de Maastricht, l'Italie ne peut plus compter sur l'artifice des dévaluations compétitives qui lui permettent de soutenir son industrie. Un premier volet de l'accord remet donc à plat la politique des revenus en réglementant la négociation salariale. Celle-ci va désormais s'effectuer à deux niveaux. À l'échelon des branches, tout d'abord, qui pose comme principe que la hausse des salaires ne peut être supérieure à l'inflation prévue. Au niveau de l'entreprise, ensuite, en fonction des gains de productivité réalisés. Les syndicats renoncent à toute forme d'augmentation générale des salaires et, de leur côté, les entreprises acceptent de s'engager à renégocier, à intervalles réguliers, le niveau des rémunérations. « Avec l'accord de 1993, nous avons effectué une mutation. Nous avons changé de peau », reconnaît Giorgio Usai, responsable des relations industrielles et des affaires sociales de la Confindustria, le patronat italien. D'autant que, dans son second volet, le protocole de 1993 va plus loin, prévoyant par écrit la convocation de réunions tripartites (syndicats, patronat, gouvernement) au moins deux fois par an, au printemps et à l'automne, pour discuter des grandes orientations économiques comme le débat budgétaire, ou à l'occasion de profondes réformes structurelles, telle la révision douloureuse du système des retraites en 1996.

Un système de cogestion. Loin des bisbilles franco-françaises dans ce domaine, l'accord de 1993 accouche d'un véritable système de cogestion, rendu possible par la forte légitimité des organisations syndicales italiennes qui comptent environ 10 millions d'adhérents. Le résultat est sans équivoque : l'inflation retombe rapidement, la dette nationale aussi, et le pouvoir d'achat est maintenu dans un contexte général de paix sociale. En 1995, un an après l'entrée en vigueur du protocole, des accords salariaux sont signés dans la métallurgie, cinq jours avant le terme prévu pour la fin des négociations. Par comparaison, dans ce secteur socialement très sensible, il avait fallu, en 1977, un mois et demi de blocage d'usines pour parvenir à un accord sur les salaires.

Sous l'éteignoir avec Berlusconi. C'est avec ce genre de pacte social que Romano Prodi souhaite aujourd'hui renouer. Car l'arrivée au pouvoir de Silvio Berlusconi, en 2001, a mis sous l'éteignoir ce mode de concertation sociale. D'autant que, peu de temps avant, la Confindustria avait porté à sa présidence Antonio D'Amato, le candidat des PME, qui rêvait d'en découdre avec les syndicats sur la flexibilité du travail et le droit du licenciement. « Dans les faits, la concertation a été vidée de sa substance, note Mauro Guzzonato, le patron de la CGIL. Les syndicats continuaient d'être invités à la table du gouvernement, mais par pure courtoisie. » « Nous avons signé des accords avec le gouvernement Berlusconi, par exemple sur l'emploi public, souligne pour sa part le secrétaire confédéral du syndicat UIL, Antonio Foccillo, mais, d'une manière générale, c'en était fini de la coparticipation. »

Le retour aux affaires de Romano Prodi devrait donc relancer la méthode éprouvée avec succès pour les salaires, en vue de l'appliquer à plusieurs gros chantiers : des allégements de charges pour les entreprises conditionnés à des investissements, les amortisseurs sociaux dont les indemnités de chômage, la situation du Mezzogiorno ou encore le système des pensions.

Un premier rendez-vous entre le gouvernement, le patronat et les syndicats a déjà été fixé au début de l'année prochaine pour discuter de l'aménagement de la réforme des retraites. Quant à la loi budgétaire 2007 en discussion depuis septembre qui prévoit plus de 30 milliards d'euros d'économies, elle fait l'objet de multiples discussions et négociations avec les partenaires sociaux. Le gouvernement Prodi n'a cessé de faire la navette entre les uns et les autres, répondant aux critiques des confédérations sur les coupes claires dans les crédits de l'éducation comme à celles du patronat qui s'inquiète d'une loi de finances « trop favorable aux syndicats ». Autant dire que le chemin est étroit pour le Professore. Mais, après l'échec du bras de fer engagé par Silvio Berlusconi avec la CGIL, qui a ranimé les conflits dans les entreprises sans parvenir à doper la croissance économique, Romano Prodi est convaincu de pouvoir redonner du lustre au modèle social italien.

La CGIL revendique 5,5 millions d'adhérents

La CISL revendique 4,2 millions d'inscrits

L'UIL revendique 1,9 million de membres

« La concertation sera un pilier de notre politique économique »

Secrétaire général de la Confédération italienne des syndicats de travailleurs (CISL) de 1990 à 2001, Sergio D'Antoni est l'un des artisans des accords de juillet 1993 sur la concertation sociale. Il est aujourd'hui vice-ministre pour le Développement économique dans le gouvernement Prodi.

Peut-on parler de modèle social italien ?

Je le crois. C'est un modèle social qui apporte une stabilité à travers le consensus. La recherche du développement économique et d'une meilleure justice sociale passe par le dialogue entre et avec les partenaires sociaux. L'exemple de la lutte contre la hausse des prix, au début des années 90, est éloquent. On s'est mis autour d'une table pour stopper la spirale inflationniste. Les entreprises se sont engagées à ne pas augmenter les prix, les syndicats à maîtriser les revendications salariales, le gouvernement à ne pas relever les tarifs. On a enclenché un cercle vertueux. La concertation est plus difficile quand les intérêts sont divergents mais elle doit toujours avoir lieu.

L'émergence du rôle décisif des partenaires sociaux n'est-il pas le fruit d'un affaiblissement de la classe politique ?

Il est évident que l'accord de 1993 a été obtenu dans un contexte de crise financière, économique, morale et politique avec les scandales de corruption. L'urgence de la situation a créé un climat permettant d'imposer la concertation. Mais je suis convaincu qu'il s'agit d'un modèle valable quelle que soit la situation.

Pourquoi la concertation a-t-elle subi un fort ralentissement ces dernières années ?

Pour que la concertation fonctionne, il faut que le gouvernement soit convaincu de la nécessité d'une confrontation avec les partenaires sociaux, ce qui n'a pas été le cas avec celui de Berlusconi. Il faut aussi que les parties impliquées se fixent des objectifs. Cela est vrai pour le gouvernement auquel j'appartiens et qui a annoncé que la concertation sera un pilier de sa politique économique. Nous allons ouvrir des discussions pour la réforme des retraites, un thème où il n'est pas pensable d'intervenir sans un accord préalable avec les syndicats.

Le modèle de concertation à l'italienne est-il exportable ?

Oui, à condition que les syndicats soient unis et qu'ils soient représentatifs du monde du travail. C'est le cas des pays nordiques. En France, les syndicats sont beaucoup plus divisés qu'en Italie.

Auteur

  • Éric Jozsef,