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Politique sociale

Les gagnants et les perdants de la réforme Douste-Blazy

Politique sociale | publié le : 01.11.2006 | Valérie Devillechabrolle

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Évolution de la consommation médicale depuis 1994

Crédit photo Valérie Devillechabrolle

Pour guérir le système de santé, la réforme de 2004 visait à en responsabiliser les acteurs. Mais tous n'ont pas été mis à égale contribution. Grands perdants : les patients. Et les générations futures.

L'assurance maladie se porte mieux. Alors qu'en 2004 les comptes de la santé affichaient un manque à gagner de 11,6 milliards d'euros, le trou devrait être résorbé de près de la moitié en 2006. « Et, avec un déficit prévisionnel inférieur à 4 milliards d'euros en 2007, nous aurons divisé le déséquilibre par quatre en quatre ans. C'est du jamais-vu ! » fanfaronnait, à la rentrée, le ministre de la Santé et des Solidarités devant l'Association des journalistes de l'information sociale (Ajis). Selon Xavier Bertrand, ce redressement est à mettre à l'actif de la réforme d'août 2004, portée par son prédécesseur, Philippe Douste-Blazy. Présentée comme une énième « réforme de la dernière chance », elle visait à responsabiliser davantage les acteurs du système de santé, qu'ils soient usagers ou professionnels, grâce à une meilleure coordination des soins, symbolisée par la désignation d'un médecin traitant et l'instauration d'un parcours de soins ; la diffusion des meilleures pratiques médicales, sous l'égide d'une nouvelle Haute Autorité de santé publique, mais aussi par une augmentation des contrôles diligentés par la Caisse nationale d'assurance maladie. Sauf que, à l'heure des premiers bilans, tout le monde n'a pas payé son écot. Tandis que les payeurs, assurés et labos en tête, ont été priés d'apporter près de 6 milliards d'euros de recettes supplémentaires dans le régime général, les prescripteurs n'ont pas joué le jeu. La maîtrise médicalisée des dépenses n'a, jusqu'à présent, rapporté que 1,6 milliard d'euros sur les 3 milliards escomptés. « On assiste à une sorte de jeu de mistigri qui pousse chaque acteur (hôpitaux, médecins de ville, laboratoires pharmaceutiques) à se défausser de ses économies potentielles sur les autres grâce à des régulations sectorielles et partielles », note Claude Le Pen, professeur en économie de la santé à l'université Paris IX-Dauphine. Revue de détail des gagnants et des perdants de la réforme de 2004.

Les hôpitaux échappent à l'austérité

Exclus du champ de la réforme, les hôpitaux et, surtout, les cliniques privées continuent de mener grand train. Alors qu'ils représentent 44 % des dépenses de santé et qu'ils viennent de bénéficier de près de 6 milliards d'euros d'investissements, « les établissements de santé, à mon avis, ne participent pas suffisamment aux efforts collectifs », constate Jean-René Buisson. Le vice-président du Medef chargé de la protection sociale épingle leurs résultats en matière d'achats : sur les 850 millions d'euros d'économies attendus en 2005, seuls 157 millions d'euros ont été réalisés. Plus grave, avec la nouvelle tarification à l'activité, les dépenses des établissements de santé explosent depuis le début de l'année. Et les 60 millions d'euros d'économies attendus de la baisse des tarifs des cliniques privées annoncée en septembre n'y changeront rien. Finalement, les établissements de soins devraient dépasser d'au moins 670 millions d'euros leur enveloppe budgétaire en 2006, selon le Comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie. Quant aux dépenses de personnel, qui représentent entre la moitié et les trois quarts des coûts des établissements, elles n'ont pas fini de déraper. Les praticiens hospitaliers continuent de mettre la pression pour obtenir une amélioration de leur statut, et des négociations sont en cours dans la fonction publique hospitalière.

Les médecins tirent leur épingle du jeu

En dépit de leurs cris d'orfraie sur leur Ondam 2007, les praticiens n'ont pas à se plaindre de la réforme de 2004. La convention médicale de janvier 2005, qui a marqué la reprise d'un dialogue grippé depuis 1995 entre la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) et les syndicats médicaux, s'est traduite par de substantielles revalorisations d'honoraires, pour un coût de 1,5 milliard d'euros en année pleine, selon la Cnam, en contrepartie d'un engagement chiffré de réduction des dépenses. Mais, « comme toujours, ces augmentations sont certaines alors que les résultats de la maîtrise sont hypothétiques », note l'économiste de la santé Jean de Kervasdoué dans son Carnet de santé de la France 2006. D'autant que les médecins ont aussi tiré profit de la mise en place du parcours de soins, sous forme de revalorisation d'actes pour compenser une éventuelle perte d'activité dans certaines spécialités, ou de dépassement d'honoraires en cas de non-respect du parcours de soins. Au total, « qu'ils gagnent ou qu'ils ne perdent pas, les médecins bénéficient d'un jeu à somme forcément positive. C'est un comble ! » se désole Daniel Lenoir, directeur général de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF). « C'est un début de remise à niveau pour des actes dont la valeur s'était dépréciée au fil des ans », rétorque Michel Chassang, le président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), principal syndicat de spécialistes.

Reste que la pression des libéraux n'est pas près de se relâcher. Certaines catégories de praticiens continuent de se sentir maltraitées, à l'instar des généralistes, dont l'écart de rémunération avec les spécialistes a recommencé de s'accroître. Ensuite parce que « la démographie médicale va engendrer des situations extrêmement tendues », pronostique Pierre Costes, le président de MG France. Une situation que les généralistes comptent exploiter pour réclamer l'adoption d'un « plan Marshall de nature à rendre la filière attractive ». Quant aux spécialistes, ils ne seront pas en reste pour tirer partie de cette « opportunité historique ».

Les laboratoires rentrent dans le rang

Du côté de l'industrie pharmaceutique, en revanche, ça grogne. Alors que, « même au plus dur de la maîtrise comptable, l'industrie du médicament arrivait toujours à tirer son épingle du jeu avec un taux de croissance annuel de l'ordre de 4 à 5 % », rappelle l'économiste Claude Le Pen, 2006 devrait marquer une rupture, avec une progression du chiffre d'affaires limitée à 1,2 %. « C'est pour nous un coup de frein phénoménal particulièrement brutal, obtenu essentiellement par une approche budgétaire violente, de nature à mettre en danger l'investissement et l'emploi dans nos secteurs », se lamente Bernard Lemoine, vice-président des Entreprises du médicament (Leem). « La Sécu n'ayant pas vocation à rembourser tout ce qui est produit par les laboratoires et notamment les médicaments à service médical rendu insuffisant ou nul, il faut plutôt se réjouir de cette remise en ordre », rétorque Gaby Bonnand, secrétaire national chargé de la protection sociale à la CFDT.

Alors que la France reste le quatrième marché mondial du médicament, avec une dépense moyenne par habitant plus élevée que presque partout ailleurs, le gouvernement n'a pas l'intention de desserrer la pression sur les labos. La taxe sur le chiffre d'affaires, qui a été alourdie en 2006 (de 0,6 à 1,76 %), ne devrait pas être allégée d'autant en 2007. Et, pour compenser une montée en charge trop lente du plan médicament fondé sur le développement des génériques, Xavier Bertrand a décidé des baisses de prix supplémentaires. Quant aux prescriptions médicales, elles sont dorénavant étroitement surveillées par les nouveaux « délégués d'assurance maladie » envoyés par la Cnam.

Les patients passent à la caisse

Patients, salariés, contribuables ou épargnants, la facture des ménages s'est fortement alourdie. L'économiste Jean de Kervasdoué a fait les comptes : avec 3 milliards d'euros de contributions directes ou indirectes supplémentaires versées en 2006, les ménages ont été davantage pénalisés par la réforme de 2004 que les entreprises, dont la part s'est accrue de 900 millions d'euros. Certaines catégories s'en sortent mieux que d'autres, à l'instar des retraités soumis à une CSG minorée : « Alors qu'ils consomment la moitié des soins, ils ne contribuent au financement du régime qu'à hauteur de 5 % », rappelle un expert qui juge « choquant de voir les pauvres actifs payer pour les riches inactifs ».

Autre catégorie relativement épargnée, les 6,6 millions de patients pris en charge pour une « affection de longue durée » (ALD) dont le nombre s'est accru de près de 75 % en dix ans. La réforme prévoyait que seuls les soins liés à la pathologie justifiant la prise en charge en ALD soient pris en charge à 100 %. Or un rapport du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie de juillet dernier révèle que 81,4 % des dépenses de santé de ces patients étaient encore remboursés à 100 %, contre 82 % un an plus tôt.

Les patients les plus durement touchés par la réforme sont ceux dont les revenus sont situés juste au-dessus du plafond de la CMU, mais pas assez riches pour bénéficier d'une bonne complémentaire santé. « Ceux-là ont subi les déremboursements et les fortes hausses des assurances complémentaires », se désole Emmanuel Rodriguez, vice-président du Collectif interassociatif sur la santé. Quant au renforcement des contrôles des arrêts maladie, il a généré 432 millions d'euros d'économies. La baisse des remboursements d'indemnités journalières a représenté 60 % des économies générées par la maîtrise médicalisée des dépenses en 2005. « Cet effort demandé aux actifs paraît quelque peu disproportionné quand on sait que les IJ ne représentent que 6 % des dépenses de santé », estime Gaby Bonnand, au nom de la CFDT.

Les générations futures héritent du lourd fardeau de la dette

Au jeu des perdants, les générations à venir remportent la palme. La réforme Douste-Blazy leur a transféré 50 milliards d'euros de dette supplémentaire d'ici à 2007. « Soit, au total, une charge énorme et insupportable de 110 milliards d'euros à rembourser d'ici à 2024 », rappelle Jean-René Buisson, du Medef. Surtout, le gouvernement continue de charger la barque puisque, comme l'explique Daniel Lenoir, directeur général de la FNMF, « la question du déficit structurel de l'assurance maladie n'est pas réglée ». Le trou n'a jusqu'à présent été comblé que par des recettes de poche non pérennes telles que les prélèvements anticipés sur les intérêts des plans d'épargne logement en 2006. « En outre, poursuit-il, une partie du déficit du régime général a été transférée sur les autres régimes (comme celui des exploitants agricoles, Fipssa) ou encore dans le déficit des hôpitaux. » Au risque, conclut le directeur général de la FNMF, de « faire endosser quelques milliards d'euros de déficit supplémentaires dans les deux ans qui viennent aux générations futures… ». Autant dire que la réforme de 2004 n'a rien réglé et que l'assurance maladie continuera de figurer en haut de la pile des dossiers du gouvernement de l'après-2007.

L'État a repris la main

Sous couvert d'améliorer le pilotage du système de santé, la loi d'août 2004 en a aussi chamboulé la gouvernance, jusque-là tiraillée entre gestion paritaire et gestion étatique.

À l'usage, le grand gagnant de cette révolution de palais est l'État, dont le poids s'est affirmé à travers la place prépondérante occupée par le directeur général de la nouvelle Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam), doté de pouvoirs élargis. Sauf qu'en nommant à ce poste son ancien directeur de cabinet Frédéric van Rokeghem, Philippe Douste-Blazy a « politisé » la fonction. Conséquence, « les arbitrages sont souvent d'abord tranchés par le ministre avant même que l'Uncam ne rencontre les professionnels de santé », regrette Pierre Costes, le président de MG France. Parallèlement, « l'État s'est aussi affirmé au travers d'agences indépendantes », rappelle l'économiste Claude Le Pen en citant la Haute Autorité de santé publique, chargée d'évaluer la qualité des soins.

A contrario, les partenaires sociaux apparaissent comme les grands perdants de la réforme. « La loi leur a donné l'opportunité de se retirer sur la pointe des pieds, plutôt soulagés de voir quelqu'un d'autre se charger de serrer les boulons », corrige un expert. Si d'autres acteurs se sont vu attribuer un strapontin dans la nouvelle organisation, à l'instar des trois familles d'assurance complémentaire ou des associations de patients, celles-ci ne participent pas aux décisions politiques. « Alors que c'est de moins en moins justifié dans la mesure où les bénéficiaires et les recettes vont de moins en moins dépendre du monde du travail », regrette Daniel Lenoir, le directeur général de la FNMF.

Enfin, l'autre effet majeur de cette réforme, c'est assurément la perte de réactivité du système. « On a encore énormément compliqué l'organigramme en en exagérant un peu la complexité », regrette l'un de ses acteurs. Ce qui ne facilite pas le maniement du paquebot par gros temps…

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle