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Idées

Quel est le bilan social des mandats de Tony Blair ?

Idées | Débat | publié le : 01.11.2006 |

Britain is working ! Qu'il semble décalé ce slogan choisi par Tony Blair pour la campagne législative du printemps 2005 ! Réélu pour un troisième mandat, le Premier ministre britannique, usé et discrédité, passera la main courant 2007. Son meilleur atout, sa politique de l'emploi, est devenu son talon d'Achille avec la remontée du chômage outre-Manche. Quel héritage Tony Blair laissera-t-il à son successeur ? Les réponses d'un dirigeant d'entreprise, d'une économiste et d'un universitaire.

Laurent Fourier Directeur général d'International SOS et membre du Cercle d'outre-Manche.

“Les années Blair ont créé des richesses en amont pour mieux redistribuer en aval”

Trop libéral, pas assez social, le modèle britannique a longtemps été décrié en France. À l'heure du bilan des années Blair, il semblerait que les préjugés tombent peu à peu. Fort d'un taux de croissance moyen de 2,6 % depuis 1997 et d'un taux de chômage résiduel de 5 %, le Royaume-Uni a réussi à créer une société de plein-emploi et confiante en l'avenir. S'il existe un modèle britannique, c'est celui d'un pays focalisé sur la création de richesses dont les fruits sont redistribués dans des politiques sociales.

En complément des dispositifs du workfare, qui a pour but d'inviter la population active sans emploi à rejoindre la population active occupée, les gouvernements blairistes ont décidé de s'attaquer au chômage à l'aide de remèdes très ciblés. Grâce à cette méthode, le Royaume-Uni est venu à bout des poches dures de sans-emploi, et, en moins de dix ans, plus de 1,8 million de chômeurs de longue durée ont retrouvé un emploi. Cette politique s'est accompagnée d'une simplification des structures d'aide au retour à l'emploi. En termes de moyens, les politiques de New Deal coûtent à l'État britannique seulement un tiers des dépenses consacrées à l'emploi en France. Le Royaume-Uni est revenu de la rigueur budgétaire de l'ère Thatcher. Depuis cinq ans, c'est le pays européen qui connaît l'une des plus fortes croissances de la dépense publique. Ainsi, sa part dans le PIB a presque doublé en vingt ans : elle est passée d'une moyenne de 23 % dans les années 80 à plus de 43 % en 2005. Les gouvernements travaillistes ont investi massivement dans le contrat social. La politique des revenus est progressiste et les méthodes de réduction des inégalités n'ont jamais été aussi efficaces. Ainsi, grâce à la mise en place d'allocations destinées aux familles les plus démunies, depuis 1997, les 10 % des ménages les plus pauvres se sont enrichis plus vite que la moyenne de la population (+ 10,8 %), tandis que les 10 % des plus riches se sont appauvris de 4,4 %. Enfin, il faut noter que le salaire minimum britannique, mis en place en 1999, a atteint cette année un montant équivalent au smic français.

Une bonne politique économique et sociale n'est ni de droite ni de gauche : « ce qui compte, c'est ce qui marche ». Les années Blair ont permis au Royaume-Uni de créer des richesses en amont pour mieux redistribuer en aval. Ce pays, qui a placé l'emploi au cœur du cercle vertueux de sa croissance et de son Welfare, peut constituer une source d'inspiration.

Florence Lefresne Chercheuse à l'Ires.

“La politique budgétaire est à saluer, mais la qualité de l'emploi manque à l'appel”

La tentation à laquelle succombent la plupart des commentateurs est de relier mécaniquement les bons résultats britanniques en matière d'emploi et de baisse du chômage (4,7 % de la population active) aux vertus de la flexibilité. Une conclusion bien rapide. Certes, le contrat de travail fait l'objet d'un encadrement réglementaire très faible, mais cela n'a pas empêché le pays de connaître un chômage à 2 chiffres au début des années 90. Et la tendance serait plutôt celle d'un renforcement des protections (le salaire minimum est désormais à parité avec le smic) ; application des directives européennes sur le CDD et le temps partiel ; renforcement de la négociation collective). Les créations nettes d'emplois, plus nombreuses outre-Manche qu'en France dans la dernière décennie (1 million en plus), résultent en réalité de deux facteurs : d'une part, un différentiel de croissance significatif du PIB et, d'autre part, un tassement des ressources humaines du côté britannique. La croissance est soutenue par une politique budgétaire dégagée du carcan de Maastricht qui a permis de créer 700 000 emplois dans le secteur public depuis 1998, dont 300 000 dans l'éducation et 280 000 dans la santé. Certes, le retard était considérable et ces emplois sont majoritairement non statutaires et à temps partiel, mais le rattrapage fut spectaculaire et les dépenses publiques, en pourcentage du PIB, sont désormais plus fortes qu'en Allemagne.

Second non-dit : la clé du chômage faible réside en partie dans un report sur l'inactivité. Alors que la population en âge de travailler a crû depuis dix ans, le nombre d'actifs a stagné et même baissé chez les hommes. Les chiffres du chômage masquent un nombre impressionnant d'invalides – 2,7 millions –, soit 2,5 fois le nombre de chômeurs indemnisés ! Pour beaucoup les « gueules cassées » du thatchérisme. On peut donc sérieusement s'interroger sur l'efficacité d'une politique de l'emploi qui affiche un combat contre les « trappes à inactivité ou à chômage » à partir du double registre bien connu du contrôle assorti de sanctions et d'incitations. Les effets des programmes de retour à l'emploi (New Deal, en direction des chômeurs, et Working Tax Credit, soutenant fiscalement la reprise d'emploi) sont très limités, et lorsque ces politiques mordent sur l'inactivité ou le chômage, c'est en favorisant les emplois bas de gamme à temps partiel. Le bilan est clair : la politique budgétaire est à saluer, mais la qualité de l'emploi manque à l'appel.

Jean-Philippe Fons Maître de conférences à l'université de Rennes II et membre de l'Observatoire de la société britannique

“Ni la pauvreté ni la précarité n'ont été complètement éradiquées”

A l'heure d'une passation des pouvoirs annoncée avec le départ de Tony Blair, le succès britannique fait des envieux sur le continent. La bonne santé de l'économie doit néanmoins être appréciée à l'aune du bilan de la politique sociale du New Labour. Ce projet ne se limite pas à la mise en œuvre d'une stratégie de passage de l'assistance vers l'emploi ordinaire qui serait sous-tendue par une seule logique punitive. Il vient s'inscrire dans une réforme de plus vaste ampleur de la protection sociale, dans sa dimension d'assistance aux plus démunis. C'est bien l'une des spécificités de la stratégie d'activation. Le cœur du programme travailliste s'est recentré sur la redéfinition du rôle du citoyen et du rôle de l'État dans sa valeur providentielle. Le citoyen modèle y agit en toute responsabilité et se comporte de façon rationnelle, il travaille et épargne. Ainsi, pour atteindre l'objectif d'éradication totale de la pauvreté d'ici à l'horizon 2010 fixé par Tony Blair en 1999, l'incitation à l'emploi et la fiscalité ont été les principaux leviers activés par le gouvernement. De fait, le nombre de parents qui travaillent a crû nettement depuis 1997, en grande partie grâce aux programmes ciblés. S'agissant des retraités, dont on estime que près d'un quart vivaient dans le dénuement en 1997, l'essentiel de l'action gouvernementale a consisté à encourager les retours vers l'emploi, jusqu'à 65 ans ou plus.

Les travaillistes ont progressivement abandonné le principe d'universalisme au profit du ciblage des prestations sociales. Dans une large mesure, ils ont atteint l'ambitieux objectif fixé par Tony Blair : faire de leur pays un « phare » pour le reste du monde. Mais, malgré les mesures prises, ni la pauvreté ni la précarité n'ont été totalement éradiquées. Les mutations sur le marché du travail et dans le domaine de la politique sociale témoignent d'une profonde transformation de la relation entre l'État, les citoyens et les institutions partenaires de la régulation sociale.

Dans une tradition proche du self help héritée de l'ère victorienne, la « troisième voie » a redéfini l'équité sociale en se démarquant nettement de l'égalitarisme. Les gouvernements Blair n'ont eu de cesse de se focaliser sur la promotion de l'égalité des chances, au détriment de l'égalité des résultats. Le talent des individus, le mérite, la responsabilité et l'entraide dans une société « inclusive » sont devenus les piliers sur lesquels semble reposer le nouveau modèle social britannique.