logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

La contestation monte chez les vendeurs

Enquête | publié le : 01.11.2006 | Yves Aoulou

À l'heure de la maîtrise des coûts, les commerciaux paient aussi leur écot. Les tensions sont à la hausse. Résultat : transactions et bras de fer juridiques se multiplient.

Doublez vos ventes ou votre salaire annuel sera réduit de moitié ! En seize ans de carrière chez l'éditeur de logiciels Oracle, Nicole n'a jamais subi une pression aussi brutale. Cette bagarreuse de 42 ans aurait relevé ce défi imposé par sa hiérarchie si elle ne le jugeait irréaliste. Impossible de réaliser un chiffre d'affaires de 2,6 millions d'euros dans la zone géographique qui lui est impartie, la seule région lyonnaise. « C'est à prendre ou à laisser », a tranché son manager. Nicole a préféré jeter l'éponge et saisir le conseil de prud'hommes. Le verdict sera rendu d'ici à la fin de l'année, après deux ans de procédure.

Un cas isolé ? Loin s'en faut. Rien que l'année dernière, la Chambre syndicale nationale des forces de vente a recensé 700 dossiers déposés aux prud'hommes par ses adhérents. « Un chiffre en augmentation de 20 % », précise sa directrice, Christine Derigny. Les plaignants ont récupéré environ 4 millions d'euros d'indemnités. À ces joutes judiciaires s'ajoutent les transactions amiables. À l'instar de celle conclue entre Georges H. et son ex-employeur, une PMI parisienne. Ce négociateur avait été embauché à prix d'or pour regarnir au plus vite le carnet de commandes de la société. Pour l'attirer, le chef d'entreprise lui avait fait miroiter une mirobolante commission sur la marge. En un an, ce supervendeur a réussi sa mission au-delà de toute espérance, au point de gagner plus que son patron. « Excessif », a estimé ce dernier, qui a alors tenté de renégocier le contrat à la baisse. « Inacceptable », a rétorqué le salarié, qui a menacé de saisir la justice. Les deux parties ont fini par transiger, sur la base d'une indemnité équivalant à un an de salaire.

Plus de chiffre pour le même prix. L'avocat Arnaud Doumenge est formel : rémunérations et objectifs arrivent largement en tête des motifs de conflits entre commerciaux et employeurs. Son étude, Lamartine Conseil, en a traité huit fois plus cette année qu'en 2004, et ce n'est pas un hasard. Dès qu'il s'agit de se serrer la ceinture, les entreprises pensent en priorité aux frais généraux et aux coûts de commercialisation, y compris les salaires des vendeurs, avec l'arrière-pensée de les amener à engranger plus de chiffre d'affaires pour une rémunération équivalente, sinon inférieure. La pratique n'est pas près de s'éteindre. Selon la Cegos, une entreprise sur trois envisage de changer le mode de rémunération de ses vendeurs d'ici à deux ans. Parmi elles, Henkel France, dont le DRH a découvert que les commerciaux d'une filiale récemment acquise vivent sur une rente de situation et émargent à un niveau de salaire digne de l'état-major du groupe ; Conforama, qui cherche la formule magique pour concilier motivation et maîtrise de la masse salariale. Ou encore Schneider Electric qui s'apprête à introduire une once de variable dans la paie de ses commerciaux, jusqu'ici entièrement payés en fixe. Autant d'opérations à haut risque social, qui nécessitent l'accord explicite de chaque salarié. Si les DRH des grandes entreprises, épaulées par des cabinets de conseil, négocient ces passages en douceur, beaucoup de PME et certaines filiales commerciales de groupes anglo-saxons vont au clash.

Imprécision du contrat. Indirectement liés à la rémunération, d'autres types de litiges opposent commerciaux et employeurs. Béatrice Duhalde, avocate parisienne, cite pêle-mêle les ventes réalisées mais non abouties (produit défectueux, retard de livraison, défaillance imprévisible du client, etc.) et donc non prises en compte dans le variable des commerciaux. Ces derniers contestant leur responsabilité dans l'échec des transactions. Il n'est pas rare que l'imprécision du contrat de travail mette le feu aux poudres. « Un contrat d'embauche bien verrouillé s'étale au moins sur six pages, observe Béatrice Duhalde. Mais combien de professionnels prennent le temps d'en étudier ses multiples clauses. Spécialement la non-concurrence, la mobilité et la zone géographique à couvrir. »

Un comble, dans un métier où peuvent cohabiter deux statuts différents : celui d'attaché commercial et celui de VRP, particulièrement protégé, qui n'existe qu'en France. Ironie du sort, certaines entreprises ont offert sur un plateau le statut de VRP à leurs commerciaux afin de les soustraire aux 35 heures. Elles s'en mordent aujourd'hui les doigts. Forts de leur statut qui prévoit notamment de fortes indemnités en cas de rupture, ces « VRP malgré eux » sont enclins à tenter le bras de fer judiciaire. L'Imprimerie nationale a fait les frais de la bronca d'une équipe entière de VRP. Et elle n'est pas seule à s'être laissé piéger.

700 litiges

recensés : 2005

4 millions d'euros

d'indemnités accordés aux commerciaux

Source : Chambre syndicale nationale des forces de vente

Auteur

  • Yves Aoulou