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Vie des entreprises

Christophe Cuvillier requinque les vendeurs de Conforama

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.10.2006 | Yves Aoulou

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Depuis 1996, Confo a créé en net 2 800 emplois en France.

Crédit photo Yves Aoulou

Vocation discount réaffirmée, investissements à la pelle, formation dopée : le patron de l'enseigne de meubles redonne de l'ambition à ses troupes. Mais, pour gagner le pari de cette réorganisation massive, il lui reste à convaincre les récalcitrants.

Pour passer de L'Oréal à la Fnac, Christophe Cuvillier n'a eu qu'à effectuer quelques centaines de mètres, à Clichy, dans les Hauts-de-Seine, où le leader mondial des cosmétiques et l'« agitateur culturel » ont, tous deux, leur siège social. C'était en 2000. Alors numéro deux de Lancôme, ce diplômé de HEC a été directement recruté par son ami François-Henri Pinault, fils du propriétaire de PPR.

Cinq ans plus tard, il quitte Clichy pour rejoindre Lognes, en Seine-et-Marne, QG de Conforama, l'enseigne de distribution spécialisée dans le meuble, dont il prend la présidence. Un sacré challenge que de relancer une société endormie sur ses lauriers. Arborant costume griffé, boutons de manchette et chaussures Gucci, l'homme de PPR a été accueilli comme un martien au « pays où la vie est moins chère ». « C'est un spécialiste du luxe qui vient ronger son frein en attendant de rebondir chez Gucci ou Yves Saint Laurent », affirmaient les uns. « Il va nettoyer les comptes en vue d'une cession déjà programmée », croyaient savoir les autres. L'intéressé ne tarde pas à balayer ces inquiétudes. Son discours : non, Conforama n'est pas à vendre. Non, mon job n'est pas celui d'un P-DG de transition. Pour preuve, il présente vite un projet de développement.

Dix-huit mois plus tard, il s'est converti en ardent défenseur du mobilier discount et a su rassurer les troupes sur l'avenir de Confo au sein de l'empire PPR. Il lui reste à fédérer les 14 000 collaborateurs (dont 8 500 en France) autour de son projet d'entreprise.

1 Redonner confiance aux troupes

Les salariés de Conforama ont fait la grimace en découvrant le montant de leur participation pour 2005, en baisse de 40 % par rapport à l'exercice précédent. Quelques semaines plus tôt, ils avaient aussi appris que les augmentations générales ne seraient que de 1,7 % cette année. La moitié de ce qu'ils réclamaient. Mais, depuis deux ans, l'enseigne cède du terrain à la concurrence. Ses résultats ne cessent de s'effriter malgré les tours de vis successifs. La marge opérationnelle est tombée à moins de 6 % au lieu de 9 %. Et les tentatives de relance se sont toutes soldées par un échec. Le P-DG précédent, Per Kaufmann, avait essayé d'attirer une clientèle de cadres en tirant la gamme et les prix vers le haut. Il n'avait réussi qu'à brouiller l'image de Confo auprès des consommateurs qui appréciaient sa politique low cost et ses promos fracassantes. Sans oublier les bides des chaînes spécialisées, Confo Cuisine et Nuitéa (consacrée à la literie), qui ont coûté cher et nécessité le reclassement en catastrophe d'une soixantaine de salariés. Christophe Cuvillier, troisième P-DG de l'entreprise en moins de six ans, n'a pas hérité d'une tâche facile.

Pour combattre la morosité, il fallait un remède à effet immédiat. « Nos atouts sont nombreux, je les ai mis en relief, sans embellir la réalité », explique-t-il. OK, Conforama a perdu de sa superbe, mais reste numéro un sur son marché, avec 17 % de parts de marché sur le meuble et même 30 % sur la literie. Et si la rentabilité a fléchi ces dernières années, la marge opérationnelle est encore confortable. Aux salariés de retrousser leurs manches. En contrepartie, Christophe Cuvillier a donné des gages. Pour commencer, il a annoncé un retour aux fondamentaux. Oubliée, la chasse aux ménages aisés. Confo redevient le discounter de choc de toujours. Ensuite, il a réaffirmé les ambitions de l'entreprise. Même si les futurs développements auront essentiellement lieu à l'étranger, le groupe va rénover ses points de vente en France, racheter certaines de ses 33 franchises et ouvrir deux ou trois magasins par an d'ici à 2010. Preuve supplémentaire que les salariés peuvent regarder l'avenir avec confiance, 1 500 personnes (dont 150 cadres) seront embauchées en CDI chaque année. S'y ajouteront plus de 400 CDD. Soit un solde positif de 400 emplois, compte tenu des départs.

Ce « discours-programme », présenté aux 100 top managers du groupe qui l'ont ensuite répercuté auprès de leurs troupes, a fait souffler un vent d'optimisme. « Les salariés de Conforama sont très attachés à leur entreprise. Ils étaient prêts à se mobiliser, ils attendaient qu'on leur présente des projets crédibles et enthousiasmants. C'est exactement ce qu'a fait Christophe Cuvillier », explique Caroline Le Bozec, la DRH du groupe, une ancienne de la Fnac arrivée dans les bagages du nouveau P-DG.

2 Réorganiser l'entreprise de fond en comble

S'il a su mobiliser ses troupes, Christophe Cuvillier doit encore gagner le pari de la réorganisation de Conforama. « Nous ne pourrons pas améliorer notre compétitivité sans modifier nos circuits d'achat, sans changer notre modèle logistique et sans revoir l'organisation des équipes au sein de nos magasins », a-t-il fait savoir. Il s'est d'abord attaqué au dossier des approvisionnements. Fini les petites commandes passées auprès de fournisseurs régionaux. Confo se fournira de plus en plus en Asie. Des bureaux d'approvisionnement ont été ouverts à Varsovie, Bucarest, Shenzhen et Hô Chi Minh-Ville et tournent à plein régime. Bon nombre d'acheteurs jusqu'à présent basés à Lognes et chargés de référencer et de suivre les petits fournisseurs en France devront changer de fonction.

Côté logistique, l'enseigne veut réduire le nombre de manipulations entre l'usine et le client final. Soucieux d'offrir des articles immédiatement disponibles, Conforama avait coutume de surstocker. Trop coûteux, a décrété Christophe Cuvillier. Désormais, les stocks sont centralisés dans des entrepôts régionaux – en un an, 70 000 mètres carrés supplémentaires ont été créés – et acheminés quotidiennement dans les magasins, au rythme des ventes. But : gagner du temps, mobiliser moins de personnel et libérer des mètres carrés dans les surfaces de vente. Enfin, le personnel commercial n'a pas été épargné non plus par le changement. Les vendeurs ont été invités à se rendre plus disponibles pour les clients.

Tout cela semble aller trop vite pour beaucoup de salariés qui, bien que séduits par le discours du nouveau patron, observent avec méfiance les nombreuses réformes engagées au pas de charge. Quant aux syndicats, ils réclament davantage de concertation. « Ces réorganisations risquent de se faire sur le dos des salariés », estime Manuel Marini, délégué central CGT, en agitant le spectre des suppressions d'emplois, notamment parmi le personnel administratif et dans les dépôts de marchandises. « 500 emplois pourraient disparaître », poursuit-il.

Christophe Cuvillier met ces inquiétudes sur le compte de la peur du changement. Il y a deux ans, la même effervescence s'était emparée du service après-vente lorsque Conforama avait décidé de le doter d'un nom de marque (Saveo) tout en l'ouvrant aux autres enseignes du groupe PPR. Les syndicats craignaient alors des réductions d'effectifs. Il n'en a rien été. Prudent mais déterminé, le P-DG continue d'assembler son Meccano.

3 Faire évoluer les compétences

Redevenu discounter pur et dur, Conforama n'a pourtant pas l'intention de réaliser des économies sur la GRH. Christophe Cuvillier vient d'accroître le budget formation de 45 % et de fixer à 50 % la proportion de salariés devant bénéficier d'au moins un stage par an. Un ratio qui devrait s'élever à 80 % dans les trois ans. « Plus les collaborateurs seront compétents dans leur métier, plus nous aurons de chances de redresser notre entreprise », affirme le P-DG. L'une de ses priorités a été d'embaucher une « directrice de la professionnalisation », rattachée à la DRH. Épaulée par 80 formateurs internes, elle a pour mission de monter des programmes de formation là où l'enseigne fait la course en tête. Exemple : la cuisine, un marché en plein essor (+ 5,6 % de chiffre d'affaires en 2005), qui favorise la vente d'appareils électroménagers encastrables. L'entreprise propose une formation de cuisiniste à tous les vendeurs de ce secteur afin d'offrir les mêmes services que les enseignes spécialisées. D'autres rayons devraient profiter de mesures identiques, comme celui de la décoration, dont le chiffre d'affaires pourrait doubler, à condition de disposer de vendeurs compétents.

Le management de proximité va bénéficier régulièrement de stages ciblés. En mars dernier a été lancé le programme « Manager, ça m'engage », à destination de 1 200 encadrants. Quant aux chefs de produit, ils fréquenteront les bancs de l'ESC Reims . « Le discount n'est pas nécessairement synonyme de conditions sociales au rabais, résume la DRH. Il doit s'entourer des meilleurs pour être au top de l'efficacité et du professionnalisme. »

4 Fidéliser les meilleurs, recruter des talents

Chez Conforama, l'ancienneté moyenne est de huit ans, et le taux de démissions ne dépasse pas 6 %. Score exceptionnel dans ce segment de la distribution où les carrières se construisent en zappant d'une enseigne à l'autre. Explication : les rémunérations sont supérieures d'environ 10 % à celles des principaux concurrents. Les collaborateurs bénéficient d'un treizième mois, rarissime dans la profession. En outre, l'appartenance à PPR procure des avantages : perspectives de carrière élargies avec les autres enseignes du groupe, actionnariat salarié…

Mais derrière cette belle façade subsistent plusieurs motifs de mécontentement. Au siège de Lognes, certains cadres sont agacés de voir les P-DG débarquer avec leur garde rapprochée. « L'ascenseur social ne dessert pas les étages supérieurs », plaisante l'un de ces grognards. Le directeur général de l'enseigne, Jean-Brice Hernu, vient de Casino, Christophe Lotta, le directeur du sourcing, de la Fnac et le directeur de la logistique a été recruté chez L'Oréal… « Plus de 600 collaborateurs ont changé de poste en 2005, plaide la DRH. La plupart ont bénéficié d'une promotion ou d'une augmentation. 70 % des postes sont pourvus en interne. Ce qui n'empêche pas d'injecter du sang neuf et d'aller chercher à l'extérieur des compétences non disponibles en interne. »

Christophe Cuvillier s'attaque à un autre sujet sensible : la rémunération des commerciaux. Il souhaite réduire la part du variable, qui peut atteindre 80 % dans certains cas. L'idée étant d'offrir plus de sécurité aux salariés. Mais les syndicats font une tout autre analyse. « Le groupe cherche à réduire la masse salariale, s'insurge Pierre Joly, délégué FO. Il veut plafonner les revenus des vendeurs sans le dire. Le nouveau mode de calcul est basé sur le chiffre d'affaires et non sur la marge, comme auparavant. Or les prix de vente unitaires baissent pour la micro-informatique et l'électroménager. Du coup, il va falloir vendre beaucoup pour retrouver les niveaux de salaire antérieurs. »

Faux, rétorque la direction, faisant remarquer qu'elle élève les niveaux de qualification et donc les prétentions salariales de ses collaborateurs. Y compris chez les nouveaux embauchés. Entre une direction qui défend – fait inhabituel – le fixe et les syndicats le variable, c'est pour le moment un dialogue de sourds.

Dates et faits

Numéro un français du meuble, Conforama se situe au deuxième rang mondial, loin derrière le suédois Ikea.

Ses 246 magasins emploient 14 000 salariés (dont 8 500 en France) et réalisent un chiffre d'affaires de 3,1 milliards d'euros. L'enseigne a quasiment achevé son expansion dans l'Hexagone, bien quadrillé par 178 magasins.

Quatre foyers français sur cinq ont un Confo à moins de vingt minutes de chez eux. L'avenir passe donc par l'international. Le discounter est déjà implanté dans sept pays (Espagne, Portugal, Italie, Luxembourg, Pologne Suisse, Croatie).

1967

Le premier Conforama ouvre ses portes à Lyon.

1974

Premier point de vente à l'étranger, à Luxembourg.

1991

Rachat par le groupe Pinault.

2001

Naissance de la centrale d'achats IHTM.

2003

Conforama se lance dans le développement durable.

Depuis 1996, Confo a créé en net 2 800 emplois en France.
ENTRETIEN AVEC CHRISTOPHE CUVILLIER, P-DG DU GROUPE CONFORAMA
“Laisser les salariés libres de travailler le dimanche serait bénéfique pour l'emploi”

Quel bilan tirez-vous de ces dix-huit mois passés à la tête de Conforama ?

Quand je suis arrivé, les motifs d'inquiétude ne manquaient pas. Des rumeurs infondées de cession circulaient, suscitant une certaine méfiance entre la direction et les syndicats. La rentabilité baissait, entraînant une diminution de la participation. C'est pourquoi le premier challenge a été de motiver les salariés autour d'un nouveau projet d'entreprise, qui a été élaboré en 2005. L'année 2006 sera celle de la stabilisation et les résultats commenceront à se faire sentir à partir de 2007.

Dans votre secteur, activité à forte main-d'œuvre, faudrait-il remettre en cause les 35 heures ?

L'idée des 35 heures est généreuse mais n'apporte pas plus de flexibilité. Au contraire, elle provoque d'incroyables casse-tête. Des aménagements théoriques ont été négociés dans les entreprises, mais leur application s'avère très compliquée. À Conforama, nous avons annualisé le temps de travail pour disposer d'effectifs suffisants pendant les périodes de forte affluence. En réalité, elles fluctuent d'une année à l'autre, et certains collaborateurs ont des contraintes personnelles imprévues. Pour autant, je n'envisage pas de renégocier les 35 heures.

Que pensez-vous du débat sur le repos dominical ?

Si le dimanche est un jour de repos pour les catholiques, c'est le vendredi pour les musulmans et le samedi pour les juifs. Faut-il fermer les magasins du jeudi soir au lundi matin ? Certains commerces devraient être autorisés à ouvrir le dimanche. C'est déjà le cas pour le jardinage et le bricolage. L'ameublement et l'équipement de la maison bénéficient de dérogations, au cas par cas. Et pourtant, on n'achète une cuisine qu'une fois tous les dix ou quinze ans. C'est difficile de le faire en semaine. C'est pourquoi Conforama réalise 50 % de son chiffre d'affaires le week-end et 20 % le dimanche. Il est temps de faire évoluer la législation en laissant les salariés libres de travailler ou non le dimanche et en respectant le repos compensatoire comme nous le faisons. Ce serait bénéfique pour l'activité et l'emploi. Il y a quelques années, en Angleterre, tous les commerces étaient fermés le week-end. L'abrogation de cette législation a eu un effet bénéfique immédiat sur l'économie du pays.

Votre enseigne est fortement implantée dans les banlieues. Êtes-vous sensible au thème de la diversité ?

L'enjeu de la diversité est double. D'abord, il y va de notre performance économique, car les consommateurs sont de plus en plus sensibles à l'éthique. Ensuite, le respect de la diversité rejaillit sur notre image de marque en tant qu'employeur. C'est pourquoi le groupe PPR, dont fait partie Conforama, a été le premier, en 2004, à signer la charte de la diversité proposée par l'Institut Montaigne. Ce n'est pas une simple déclaration de bonnes intentions. Les entretiens d'embauche sont toujours menés par au moins deux personnes. En outre, nous réfléchissons à la mise en place d'un système d'alerte sur tous les cas de discrimination liée à la race, au sexe ou au handicap.

Concernant les déroulements de carrière, nous veillons à ce que les propositions d'évolution individuelle soient validées par au moins deux managers. J'ai moi-même étudié les dossiers d'une trentaine de personnes que j'ai reçues en entretien pour m'assurer qu'elles ont été traitées avec équité. Quant au respect de la parité, Conforama compte 53 % d'hommes et 47 % de femmes dans ses effectifs. L'écart est plus important dans le management où il n'y a que 41 % de femmes. En outre, les femmes accusent un léger désavantage salarial. Nous allons progressivement combler ces inégalités. À compétences égales, tous les managers ont pour consigne de favoriser la diversité.

Êtes-vous favorable au CV anonyme, prôné par Claude Bébéar ?

L'ensemble du processus de recrutement ne peut pas se faire sous anonymat. À un moment ou à un autre, il faudra bien que le candidat se dévoile. Dès lors, seul compte le sens éthique de l'entreprise qui embauche. Et légiférer en la matière ne changerait rien.

Propos recueillis par Yves Aoulou et Jean-Paul Coulange

CHRISTOPHE CUVILLIER

42 ans.

1984

Diplôme de HEC.

1986

Commence sa carrière chez L'Oréal en France.

1995

Directeur général de Lancôme France.

1998

Directeur général de L'Oréal, division produits de luxe pour la France.

2003

Directeur général de la Fnac.

2005

P-DG de Conforama.

Auteur

  • Yves Aoulou