La France affiche sa volonté d'attirer les étudiants étrangers de haut niveau. Mais, en ne leur ouvrant pas le marché de l'emploi, elle en décourage plus d'un et se prive de ceux qu'elle a formés. Et la loi sur l'immigration ne se donne pas les moyens de vraiment corriger le tir.
Des masters, des doctorats, des diplômes d'ingénieur, sinon rien. Comme tous ses voisins européens, qui suivent à la lettre les préconisations de la conférence de Lisbonne en l'an 2000 – faire de l'Europe l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d'ici à 2010 –, la France bataille pour séduire étudiants et chercheurs de par le monde. Pour leur faire choisir l'art de vivre à la française plutôt que le way of life américain. Étudiant chinois, Ming n'a pas réfléchi longtemps avant d'opter pour la France. « Je venais d'obtenir une licence et mon université signait tout juste un partenariat avec ParisTech, un consortium d'écoles d'ingénieurs parisiennes. J'ai sauté sur l'occasion, raconte le jeune homme. J'ai eu la chance de bénéficier du programme “50 étudiants chinois” et de m'inscrire à l'INA P-G, une école d'agronomie. » Arrivé en 2002, le jeune homme a commencé par apprendre le français pour suivre les cours. « Maintenant que je suis diplômé, j'aimerais bien rester ici deux ou trois ans pour travailler. » Comme Ming, 2 millions d'étudiants étrangers faisaient en 2003 une partie de leurs études dans un pays de l'OCDE. Un vivier dans lequel puisent tous les pays industrialisés. « Les moyens publicitaires déployés par certains pays sont faramineux. Quand nous participons à un forum international, les Allemands et les Britanniques en font dix », assure Thierry Audric, le directeur d'ÉduFrance, l'agence de promotion de l'enseignement supérieur à l'étranger.
Dans cette course aux cerveaux, la France n'est d'ailleurs pas trop mal placée, arrivant dans le peloton de tête des quatre pays les plus recherchés. Entre 1998 et 2004, le nombre d'étudiants étrangers présents dans l'Hexagone a bondi de 70 %. Au total, le coût d'accueil de ces 250 000 étudiants étrangers représente la bagatelle de 2,5 milliards d'euros. Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas les étudiants européens des programmes Erasmus ou des accords d'échange entre grandes écoles qui fournissent les plus gros contingents. Environ 80 % des étudiants étrangers viennent étudier en France dans le cadre d'un projet individuel, souvent financé sur leurs propres deniers. Plus de la moitié (51,2 % en 2003) des jeunes étrangers étudiant en France proviennent en effet d'Afrique du Nord et subsaharienne, suivis par les Européens (24,5 %) et les Asiatiques (16 %).
« En 1998, nous accueillions péniblement 150 000 étudiants étrangers par an et la majorité venait suivre des formations en sciences sociales », rappelle Thierry Audric. Depuis, les flux d'étudiants étrangers ont été réorientés vers des filières à plus forte valeur ajoutée. En 2004, tous cycles confondus, plus de 22 % étaient inscrits dans la filière économie-AES et 14,5 % dans celle de sciences-Staps. Et la majorité ? se trouve en troisième cycle (25,5 %), contre 14,8 % en deuxième cycle et 9,5 % en premier cycle. Dans cette compétition internationale, la France se fait néanmoins tailler des croupières par les États-Unis et la Grande-Bretagne qui aspirent respectivement 580 000 et 300 000 étudiants étrangers. Mais elle fait tout de même jeu égal avec l'Allemagne, talonnée de près par l'Australie et sans doute, dans les années qui viennent, par la Chine, qui ne compte pas s'en tenir à son rôle de grand exportateur d'étudiants.
Non seulement la dynamique est porteuse, mais les pouvoirs publics se chargent de la perpétuer. Ainsi, la récente loi sur l'immigration et l'intégration concoctée par Nicolas Sarkozy entend doper l'attractivité de la France en facilitant le séjour des étudiants et des chercheurs étrangers. Cette législation adoptée en juillet dernier crée, par exemple, une carte de séjour pluriannuelle pour les étudiants étrangers engagés dans une formation de niveau master. Mais, dans le même temps, la France souhaite sélectionner davantage les étudiants qu'elle accueille et favorise ouvertement ceux qui s'inscrivent en master et en doctorat dans des disciplines scientifiques et techniques. C'est dans cet esprit que le ministère des Affaires étrangères a ouvert dès l'an dernier des centres pour les études en France (CEF). Placés sous la houlette des ambassades à l'étranger, ils sont chargés d'étudier le sérieux du projet d'études des candidats et la validité des diplômes avant la délivrance du visa. Présents en Algérie, au Maroc, en Chine, au Vietnam, en Tunisie et au Sénégal depuis l'an dernier, au moins six nouveaux CEF verront le jour en 2006, notamment au Mexique et en Turquie. De nouvelles structures regardées de travers par les universités françaises. « Nous nous rendons bien compte qu'il faut organiser le recrutement des étrangers, concède Annick Weiner, à l'université Paris Sud. Mais certaines universités craignent que ces centres deviennent des outils de sélection à géométrie variable. » Mêmes réserves de la part de Bernard Bosredon, président de l'université Paris III (Sorbonne nouvelle). « Il ne faudrait pas qu'une sélection de type immigration se substitue à la sélection académique. Seules les universités et les écoles savent quels sont les bons étudiants. » Déjà, à l'université de Reims, on relève pour cette rentrée une baisse des inscriptions d'étudiants étrangers de 50 % en licence « en raison des restrictions imposées par les CEF », explique Thierry Côme, vice-président chargé des relations internationales.
Attirer, c'est bien, mais encore faudrait-il que la France retienne les étudiants qu'elle forme à grands frais. « Nous devons encore améliorer nos dispositifs de recrutement, d'accueil et de logement des étudiants étrangers. Mais nous disposerions d'un argument choc si nous leur facilitions l'accès au marché du travail pendant et après les études », assure Thierry Audric, directeur d'ÉduFrance. La France n'a jamais rechigné à laisser les étudiants étrangers travailler pendant leurs études. Elle est d'ailleurs un des rares pays à le faire. En 2005, les directions départementales du travail ont délivré environ 50 000 autorisations provisoires de travail. Jusqu'ici, elles fixaient comme limite une durée de temps de travail équivalant à un mi-temps sur l'année. La loi Sarkozy devrait permettre aux étudiants de travailler jusqu'à 60 % d'un temps complet. Une petite bouffée d'oxygène pour ceux qui financent ric-rac leur formation.
Équatorien, Manuel vient de boucler une licence de cinéma à Paris. Il doit prochainement renouveler sa carte de séjour et s'est inscrit dans plusieurs masters pour rester étudier en France. Le jeune homme est contraint de travailler car ses parents n'ont pas les moyens de l'aider à financer ses études. « J'ai fait plusieurs demandes de bourses depuis quatre ans, mais je n'ai rien obtenu. » Manuel a donc enchaîné tous les boulots : maçon, serveur, webmaster. « Je travaille maintenant en free-lance comme maquettiste. Ce n'est pas facile de concilier cette activité avec mes études, mais ça me permet de justifier de ressources suffisantes et de travailler plus que le mi-temps imposé. »
Karim, lui, travaille au noir pour compléter la bourse que lui verse l'État tunisien. À 28 ans, il prépare une thèse sur la mondialisation financière dans une université parisienne tout en travaillant comme veilleur de nuit. « La première année, l'ambassade de France à Tunis ne m'avait accordé qu'un visa de six mois. Je n'avais donc pas le droit de toucher l'aide personnalisée au logement ni de travailler, et j'avais beaucoup de mal à boucler mes fins de mois avec les 656 euros de la bourse. » Présent dans l'Hexagone depuis deux ans, Karim est réservé sur l'accueil que propose la France aux étudiants étrangers. « Tous ceux que je connais sont ici par défaut, assure le jeune homme. S'ils avaient les moyens d'aller étudier aux États-Unis, ils le feraient parce qu'ils savent qu'ils ont une chance d'y décrocher un boulot après. Si l'objectif de M. Sarkozy est de former les élites pour qu'elles repartent dans leur pays, il se trompe. Ce qui importe aux étudiants étrangers, c'est avant tout de savoir s'ils pourront ou non rester travailler ici et profiter des conditions de vie. »
Étudiante indienne, Swati est arrivée il y a deux ans avec un bachelor en poche. La jeune femme est inscrite à l'École nationale d'arts de Paris-Cergy et, contrairement à Karim, ne souhaite pas s'installer en France. « Mais j'aimerais bien avoir une première expérience professionnelle pour donner de la valeur à mon diplôme français lorsque je chercherai du travail dans mon pays », explique-t-elle.
Jusqu'ici, la législation française n'a jamais affiché clairement sa volonté d'ouvrir l'accès du marché du travail aux étudiants étrangers. D'autant plus que le taux de chômage des jeunes Français reste très élevé. Et, dans cette course à l'emploi, mieux vaux avoir le mental du coureur de fond que celui du sprinter lorsque l'on arbore une nationalité étrangère. En dépit de son profil idéal d'ingénieur agronome, Ming connaît aujourd'hui toutes les difficultés pour rester en France et y mener une première expérience professionnelle. « En sortant de l'école, j'avais décroché une promesse d'embauche chez Danone. Je venais d'y effectuer un stage de six mois. Mais, face aux tracasseries administratives, l'entreprise a reculé et m'a proposé un deuxième stage, rémunéré 1 000 euros par mois. » Bien que diplômé, Ming s'est donc à nouveau inscrit à l'INA P-G pour obtenir une convention de stage. « Cette fois-ci devrait être la bonne, espère le jeune homme. Danone va à nouveau présenter mon dossier à la préfecture. Mais la DRH a quand même fait appel à une avocate. On ne sait jamais. »
Un genre de mésaventure que connaît par cœur Christian Duhamel, maître de conférences à l'université d'Orsay, et qui a le don de l'agacer prodigieusement. « Nous avons formé des centaines d'étudiants roumains ces dernières années. Nous avons financé leurs études et, finalement, nous sommes incapables de leur proposer un boulot, qui plus est bien payé, s'énerve le mathématicien. Aujourd'hui, la majorité de ces étudiants travaille aux États-Unis. Cette situation est complètement absurde. » Jusqu'en 2002, la règle était en effet d'opposer strictement la situation de l'emploi aux étudiants étrangers. En janvier 2002, deux circulaires ont appelé les préfets à examiner avec « bienveillance » les demandes de changement de statut des étudiants étrangers. Une largesse prodiguée au compte-gouttes. « En 2004, nous avons enregistré 3 687 changements de statut, qui sont essentiellement des demandes d'étudiants. Les études représentent donc la deuxième porte d'entrée sur le marché du travail pour un étranger », explique Anne-Sophie Canihac, chef du bureau de la réglementation, des autorisations de travail et du regroupement familial à la Direction de la population et des migrations. « Jusqu'à présent, l'accès au marché du travail des étudiants étrangers dépendait de procédures longues dont le traitement variait selon les départements, explique Chantal Vié, chargée de mission à l'Agence française pour les investissements internationaux. Certaines dispositions de la loi de juillet 2006 faciliteront l'accès au travail des étudiants et amélioreront la politique française d'attraction des talents. »
La loi immigration et intégration donne en effet des signes d'ouverture. Elle institue une autorisation provisoire de séjour pour permettre aux diplômés de chercher un emploi et supprime l'opposabilité de la situation de l'emploi. Mais cette autorisation, non renouvelable, n'est valable que six mois et est réservée aux titulaires d'un master à la condition express que l'emploi soit en relation avec le domaine de formation du candidat. « La nouvelle loi lève quelques obstacles, mais elle ne franchit pas totalement l'étape suivante qui consisterait à faire de l'accueil des étudiants une source d'entrées à part entière sur le marché du travail », analyse Jean-Christophe Dumont, à la division des migrations internationales de l'OCDE. « Je regrette que la question des étudiants étrangers soit traitée dans le cadre de ce texte de loi sur l'immigration choisie, renchérit Thierry Audric, à ÉduFrance. Il ne faut pas s'imaginer que nous pouvons nous permettre de choisir les étudiants. La quasi-gratuité des études en France n'est même pas un critère décisif. Sinon les États-Unis n'auraient pas un tel pouvoir d'attraction. »
80 % des étudiants étrangers arrivent en France en dehors de tout échange académique
La France consacre 2,5 milliards d'euros à la formation des étrangers
L'Allemagne possède une longue tradition d'accueil des étudiants étrangers. Depuis les années 50, le Service allemand d'échanges académiques (Daad), implanté dans le monde entier et doté d'un budget de 247 millions d'euros en 2005, a distribué près de 640 000 bourses d'études à des étudiants étrangers. L'année dernière, 58 344 bourses (dont 27 323 pour l'Union européenne) ont été attribuées, tendance à la hausse. La professionnalisation de ce mode de recrutement est cependant un phénomène récent. Par exemple, pour l'université Ludwig-Maximilian de Munich, qui accueille 7 644 étudiants étrangers sur 46 885 : « Nous commençons seulement à développer une véritable stratégie internationale, explique Stephan Fuchs, responsable du département relations extérieures.
À l'exception de la médecine et du droit, nous avons restructuré nos cursus en intégrant les diplômes de bachelor et de master. Nous réorganisons maintenant les filières doctorales. Par ailleurs, nous participons de plus en plus à des salons internationaux et nous avons ouvert deux bureaux, l'un à New York et l'autre à Pékin, en collaboration avec l'Université libre de Berlin. »
Ce type de démarche s'inscrit de plus en plus souvent dans des structures chargées de vendre les universités allemandes aux étudiants étrangers. Le Land de Bavière finance le consortium Bavarian Universities, un organisme de promotion des universités bavaroises. Au niveau national, le Daad et la Conférence des recteurs d'université ont créé Gate Germany en 2001 : « Nous faisons du marketing-on-demand pour 113 des 370 universités allemandes. En échange d'une cotisation annuelle, nous gérons leur présence et leur image sur la scène internationale, dans les salons ou les publications, explique Olaf Köndgen, du Daad. Et quand une université ouvre un cursus international, nous nous chargeons de sélectionner les étudiants étrangers. » Thomas Schnee, à Berlin
« L'enseignement français a bonne réputation et les frais de scolarité sont relativement bas par rapport aux pays anglo-saxons », souligne Zhang Canghai, membre de la commission éducation à la mairie de Shanghai. La France est, après la Grande-Bretagne, la deuxième destination européenne choisie par les étudiants chinois. Environ 20 000 d'entre eux étudient dans l'Hexagone, dix fois plus qu'il y a dix ans. Les trois quarts des jeunes Chinois financent seuls leurs études à l'étranger. Parmi eux, les deux tiers confient leur dossier à des agences spécialisées. Apparues au milieu des années 90, elles se comptent par milliers et restent en majorité peu fiables. « Pour des prix ridicules, elles envoient les étudiants dans les pires conditions », ajoute le fonctionnaire. Depuis 1999, Pékin exige une licence attribuée selon des critères de qualité. Quelque 300 organismes la possèdent, mais les agences illégales subsistent en achetant à ces derniers l'utilisation de leur licence.
Du coup, sans l'avouer officiellement, Paris a aussi réagi en 2003 en créant le Centre pour les études en France (CEF), rattaché au consulat. Et de durcir au passage les critères d'obtention des visas. Depuis deux ans, les autorités françaises n'acceptent plus les étudiants au niveau linguistique insuffisant. Autre exigence, le parcours scolaire : les étudiants en deuxième et troisième cycle ont la priorité. Dernier critère : les ressources financières. « Les jeunes doivent pouvoir assumer les frais de scolarité sans avoir à travailler, explique Zhang Weijian, un responsable de l'agence EduShanghai International. Les autorités françaises veulent la garantie que l'étudiant n'abandonnera pas ses études pour un travail au noir. Or un grand nombre de Chinois n'ont souvent pas les moyens de payer plus de deux années universitaires. »
Résultat, le nombre d'étudiants partant pour la France progresse mais reste faible, comparé aux États-Unis, à l'Australie ou au Canada. « Dans notre agence, la France ne représente que 5 à 10 % des dossiers », constate Eddy Teng, DG de la CIIC. « Les étudiants attendent de leur séjour à l'étranger des perspectives d'installation, ajoute Zhang Weijian, d'EduShanghai. Ils savent désormais que la France n'est plus un pays d'immigration. » Joris Zylberman, à Shanghai