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“Une entreprise solidaire peut rivaliser avec les multinationales”

Actu | Entretien | publié le : 01.10.2006 | Yves Aoulou

Le fondateur du Point Mulhouse puis de Point Afrique mise sur l'engagement de ses collaborateurs pour faire triompher la formule du tourisme éthique.

Point Afrique entend développer le tourisme éthique. Comment fonctionne l'entreprise ?

C'est une coopérative de voyageurs avec un statut de société anonyme. Les actionnaires sont les 150 premiers clients qui ont investi un peu moins de 100 euros chacun dans l'aventure. Point Afrique est une entreprise tournée vers l'économie solidaire, qui ne vise pas la rentabilité et dont les actionnaires ne perçoivent aucun dividende, bien que l'activité soit économiquement viable. Tous les bénéfices sont réinvestis dans des actions de développement : création d'entreprises locales, formation, réfection d'infrastructures touristiques, production agricole, financées grâce au microcrédit et à des subventions.

Avez-vous obtenu des résultats mesurables ?

En dix ans, Point Afrique a contribué à créer 500 emplois qui font vivre plus de 3 000 personnes au Mali. En Mauritanie, 6 000 personnes vivent des activités que nous avons aidé à développer sur place. Nous avons de nombreux projets. Ainsi, au Niger, Point Afrique participera à la création d'une compagnie aérienne et à la mise en place d'un satellite qui permettra aux populations rurales d'accéder à la téléphonie et à Internet à haut débit.

L'entrepreneuriat social peut-il résister à la concurrence mondiale ?

Sans trahir leurs idéaux, les sociétés coopératives peuvent rivaliser avec les multinationales dans des niches bien choisies. Point Afrique a pris son envol au moment même où des compagnies comme Air Afrique, Sabena ou Swissair s'écroulaient. Aujourd'hui, malgré la concurrence de groupes aussi puissants qu'Air France, le Club Med et Accor, nous proposons des vols à des tarifs défiant toute concurrence, jusqu'à cinq fois inférieurs à ceux pratiqués par les grandes compagnies. En 2005, nous avons réalisé un chiffre d'affaires de 45 millions d'euros et dégagé un bénéfice de 3 millions d'euros avant impôts. L'économie sociale a le vent en poupe dans de nombreux pays européens. En Italie, on dénombre aujourd'hui 7 500 entreprises de ce type, représentant 230 000 emplois ; au Royaume-Uni, 15 000 entreprises emploient 475 000 personnes. C'est la même vitalité en Espagne, où quelque 22 000 coopératives totalisent 242 000 travailleurs. On magnifie le gigantisme alors que de petites structures bien concentrées sur leur marché peuvent mieux réussir. D'autre part, les consommateurs sont de plus en plus sensibles à l'éthique.

Une entreprise solidaire nécessite-t-elle un mode de management particulier ?

Comme toute entreprise, une société coopérative doit être gérée avec rigueur. Mais ses dirigeants ont une arme supplémentaire : la motivation des salariés et surtout des cadres qui, en général, adhèrent au projet. Mes collaborateurs s'investissent sans compter. Ils ne réclament pas la semaine de 35 heures. Notre fonctionnement est proche de celui des start-up, à la différence notable que nous n'offrons ni stock-options ni salaires faramineux. En tant que président, je gagne moins de 5 000 euros par mois, guère plus que les autres cadres de l'entreprise. Cela crée forcément un rapport de proximité, une forme de démocratie authentique qui n'existe pas dans les entreprises traditionnelles. J'avance à l'intuition, en puisant dans ma culture personnelle, car l'économie solidaire est historiquement implantée en Alsace, ma région d'origine. Je ne me réfère à aucune théorie ni à aucun manuel de management.

Le modèle coopératif ne limite-t-il pas les possibilités de développement ?

Nous avons démarré sur fonds propres, avec une destination unique : Gao, au Mali. Nos six premiers vols se sont soldés par des déficits. Puis, progressivement, nous avons trouvé la bonne formule. Nous desservons aujourd'hui sept pays et prévoyons d'ouvrir de nouvelles destinations. Toutes nos opérations sont autofinancées, nous n'avons aucune dette. C'est bien la preuve que l'on peut grandir en restant dans un cadre solidaire. Cela dit, nous n'avons pas vocation à grossir démesurément. Pour être efficace, une entreprise solidaire doit rester à taille humaine. Point Afrique compte environ 200 salariés et la coopérative ne recrute pas d'autres membres que les 150 fondateurs. Le capital, modique, est toujours de 115 000 euros. Je réfléchis néanmoins à un modèle d'essaimage qui respecte l'idéal solidaire tout en offrant des possibilités d'épanouissement aux cadres qui ont porté cette entreprise.

MAURICE FREUND

Docteur en physique.

ÂGE

63 ans.

PARCOURS

1964 : fonde, à 21 ans, Le Point, première compagnie charter française.

1969 : crée Le Point Mulhouse et invente, du coup, le tourisme éthique.

1989 : prend la direction générale d'Air Mali.

1991 : conseille des organismes de coopération internationale dont la Banque mondiale.

1996 : lance Point Afrique, qui dessert sept pays africains.

2006 : teste l'essaimage solidaire en aidant des cadres de Point Afrique à créer leur coopérative sur le même modèle.

Auteur

  • Yves Aoulou