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Vie des entreprises

Vue par la pub, la vie de bureau, c'est l'enfer

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.09.2006 | Sylvia Di Pasquale

Quand l'entreprise sert de décor aux spots de pub, elle en prend pour son grade. Infantilisation, violence, tension y sont mises en scène avec un humour souvent noir. Un torpillage relayé au bureau par le Net.

Plus besoin de la lumière de l'île Maurice pour filmer un produit. Aujourd'hui, les publicitaires tournent leurs spots au bureau, dans l'ascenseur, à la cantine, devant la machine à café ou dans la salle de réunion. Cette année, pas moins d'une vingtaine de campagnes mettent en scène le monde du travail, dans des décors plus tristes que les vrais. Du coup, l'entreprise que les créatifs donnent à voir n'est pas franchement glamour et le jeu de massacre est sévère, tous médias confondus. Seules les entreprises qui vantent leurs propres services se décrivent comme des boîtes où il fait bon travailler : les pompistes de Total cajolent leurs clients pour qu'ils ne viennent plus chez eux par hasard, le Bon Samaritain de la hot line SFR est capable de dépanner ses abonnés perdus en plein carnaval de Rio… Ailleurs, quand l'entreprise ne sert que de décor ou d'argument de scénario, l'ambiance est à la déprime.

Une descente aux enfers qui s'est faite graduellement, durant les trois dernières décennies. Dans les années 80, golden boys et executive women ont les dents blanches et restent d'attaque pour aller danser le disco après leur journée de travail. Version années 90, on se moque gentiment de l'esprit boulot, les salariés sont chambrés ; ils restent toutefois attendrissants. Mais, avec les années 2000, la guerre est déclarée. Le monde du travail vu par la pub est devenu un espace de violences psychologiques et sociales.

La réclame, nouvel instrument de revendication syndicale ? Christian Beaujard, directeur du planning stratégique de l'agence BDDP & Fils, le reconnaît : « Le travail est devenu un lieu de tensions, la pub se contente de les mettre en scène. » Le message délivré est cinglant. Comme dans le spot Freedent, qui montre un salarié à la limite de l'autisme et un autre en plein delirium. « Ils sont dans leur monde, sourit Jean-François Sacco, le créatif de l'agence CLM BBDO qui a conçu la pub, ils ne voient rien de ce qui se passe autour d'eux. » Effectivement, pendant qu'un employé fracasse son ordinateur et montre ses fesses dans le bureau d'à côté, un petit jeune continue d'expliquer très sérieusement à sa collègue que sa boîte de chewing-gums est bien pratique. Vision drolatique autant que désenchantée du monde du travail.

La pub s'est faite complice des salariés qui ne trouvent plus de sens à leur labeur. Infantilisés, ils oublient leurs soucis en boulottant des sucreries et en jouant comme des gamins. Comme dans la déjà longue série de spots Mikado. En pleine réunion, les salariés s'amusent à jouer à Star Wars avec les bâtonnets chocolatés. Ailleurs, ils passent le temps à coups de parties de morpion géant sur le parking de l'entreprise en déplaçant des Renault Modus. Parfois, quand l'humour est moins potache, il devient carrément noir. Et lorsque le héros d'un spot prend conscience de son « aliénation » dans son travail et décide de quitter son enfer quotidien après un rendez-vous avec un client d'une bêtise abyssale, il y retourne quand même, pour pouvoir s'offrir une nouvelle Audi.

L'entreprise décrite par la pub développerait les plus bas instincts. L'appât du gain, donc, mais aussi la paranoïa à travers cet autre spot, toujours pour une voiture allemande. Deux cadres se racontent le même refus d'augmentation qu'ils ont essuyé. Sauf que l'un entraîne l'autre dans sa nouvelle auto. C'est une BMW et son collègue est persuadé que, s'il a pu s'offrir un tel engin, c'est qu'il a été augmenté.

Ces spots, les salariés les découvrent le soir à la télé en rentrant du boulot. Mais les publicitaires captent aussi leur proie sur le lieu même qu'ils dénigrent à longueur de spots : le bureau, où leurs vidéos font un tabac via le Web. Y sont rediffusés les films télé, mais aussi des minispots exclusivement conçus pour ce média, que les collègues se transfèrent en se gondolant d'un ordinateur à l'autre. Parmi ces tubes du Net, on retrouve les petits films TGV pro, où un cadre fait, entre autres, des ombres chinoises en poussant le cri du loup devant un écran blanc en pleine réunion, car il a manqué de temps pour préparer ses transparents. Le fâcheux n'avait pas pris le TGV, symbole de ponctualité. « Ces films ont déjà deux ans, mais le site qui les diffuse continue de recevoir 20 000 visiteurs par mois », se réjouit Marion Combaluzier, de TBWA Interactive, qui a conçu la campagne.

Mais le vrai héros de la pub au bureau s'appelle Mike. Il a un minisite conçu rien que pour lui et ses gâteaux, et il est devenu interactif : l'internaute peut lui poser des questions et il y répond, toujours en vidéo. Effet poilant garanti. Tout autant que l'autre énorme tabac de la pub Internet (6 millions de visiteurs selon l'annonceur) : la saga King Coach. On y retrouve quatre leçons de coaching destinées à promouvoir les Post-it. Et si publicitaire et fabricant d'adhésifs y trouvent leur compte, les coachs et leurs clients n'en sortent pas grandis.

En quelques années, le travail de sape de l'entreprise est devenu, au même titre que la pub lessivière bucolique, un genre à part entière de la filmographie publicitaire. Avec, à la clé, un risque de déprime contagieuse. Même sur fond comique. Certains publicitaires refusent de porter ce chapeau. « Ma pub n'est pas là pour faire aimer l'entreprise ou pour la dénigrer, je vends un produit et c'est tout, s'insurge Jean-François Sac. Ma seule responsabilité est de convaincre en faisant rire. » Et puis ce nouveau genre de réclame a un côté plutôt pratique. D'une part, il permet de valoriser le produit au mieux puisqu'il se détache d'un univers terne. D'autre part, rien ne ressemblant autant à un cadre encravaté dans un bureau qu'un autre, qu'il soit français ou argentin, c'est tout bon pour les ventes à l'international.

D'autres professionnels sont malgré tout conscients de participer à la morosité ambiante. « De nos jours, qui travaille par passion ? s'interroge Éric Tong Cuong, directeur associé de l'agence La Chose et star multiprimée du secteur. Il ne faut pas oublier que nombre de nos créatifs ont une activité artistique à côté de la pub. Pour eux, c'est un boulot alimentaire et ils sont bien placés pour poser les bonnes questions sur le rapport que certains salariés entretiennent à leur travail. »

D'autant que les pubards n'ont pas tiré cette vision négative du travail de leur seul cerveau créatif. D'autres les ont précédés. Du cinéma (avec Ressources humaines, Violence des échanges en milieu tempéré, le Couperet) à la littérature (Extension du domaine de la lutte, Bonjour paresse) en passant par les séries télé (« Caméra café », « le Bureau »), l'époque est en effet au tir à vue et la publicité se contente de surfer sur la vague. Sauf qu'elle se moque de l'entreprise en général pour mieux mettre en valeur un produit tout droit sorti d'une entreprise en particulier. Entre schizophrénie et autodérision.

Les contre-feux de la pub de recrutement

Ils sont beaux, souriants, souvent jeunes et ravis de bosser en entreprise. Les annonces de recrutement n'ont pas fondamentalement évolué depuis les débuts de la communication ciblant les candidats.

Alors que les publicités de produits déboulonnent le mythe de l'entreprise, la plupart des annonces de recrutement continuent de la surpositiver à coups de slogans émulateurs du type « rejoignez une équipe qui gagne ». Mais les exceptions pointent leur nez et l'humour gagne aussi du terrain dans la communication RH.

Évidemment, pas pour miner le moral des troupes mais pour le remonter. « Nos campagnes doivent permettre aux candidats de s'autosélectionner, explique Didier Pitelet, vice-président de Publicis Consultants RH, de trouver la raison de postuler en connaissance de cause. »

Un travail qui porte ses fruits pour une enseigne de la distribution. La Halle aux Chaussures, un discounter a priori pas sexy pour les jeunes bac + 2 et 3, empile désormais les candidatures grâce à six vidéos mises en ligne en début d'année. « Le candidat voit la réalité du travail quotidien d'un responsable de magasin, commente Didier Pitelet. Mais filmée avec humour. Et même avec ce décalage de ton, on est fidèle à l'ambiance qui règne dans les magasins. »

Et la DRH de la chaîne de magasins d'approuver : « Ces saynètes illustrent bien ce que nous sommes, explique Sylvie Quetel, des professionnels qui travaillent dur sans pour autant se prendre au sérieux. »

Auteur

  • Sylvia Di Pasquale