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Vie des entreprises

Anne Lauvergeon prépare les soldats d'Areva à la relance du nucléaire

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.09.2006 |

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Les salariés d'Areva dans le monde

Crédit photo

Mobilité, restructuration, dialogue social… Celle qui a présidé à la naissance du leader du nucléaire, il y a cinq ans, s'est attachée à bâtir un groupe cohérent. Reconduite à sa tête, il lui faut à présent répondre aux nouveaux enjeux du développement.

La reine de l'atome a finalement gardé sa couronne. Reconduite fin juin, pour cinq ans, à la présidence du directoire d'Areva, Anne Lauvergeon a su convaincre les plus hauts personnages de l'État du bien-fondé de sa stratégie. Celle d'un groupe présent dans tous les métiers du nucléaire – des mines d'uranium au retraitement des déchets en passant par la construction des composants de réacteurs – et même au-delà, depuis le rachat en 2004 des activités d'Alstom dans la transmission et la distribution d'électricité. Un positionnement qui permet à Areva de bénéficier à plein du retour en grâce de l'énergie nucléaire, porté par la lutte contre l'effet de serre, la hausse vertigineuse des cours du pétrole et du gaz, les besoins croissants de la Chine ou de l'Inde, le renouvellement du parc nucléaire occidental…

De quoi donner le sourire aux 59 000 salariés de la maison qui, après avoir connu l'époque des vaches maigres, retrouvent le cercle vertueux de la croissance. À l'image de l'usine de Saint-Marcel-lès-Chalon, spécialisée dans la fabrication de générateurs de vapeur et autres pressuriseurs, qui a embauché 400 personnes au cours des trois dernières années après avoir frôlé la fermeture en 2000 ! Un contexte porteur qui permet à Anne Lauvergeon et à Philippe Vivien, son DRH, de mener des politiques ambitieuses.

1 Miser sur la mobilité pour bâtir le groupe

À l'usine de retraitement des déchets de La Hague ou dans les ateliers de Saint-Marcel-lès-Chalon, on parle encore de la Cogema ou de Framatome plutôt que d'Areva NC ou d'Areva NP, dénominations officielles des deux filiales depuis le 1er mars. Pas facile de sauter le pas pour des employés qui, il y a seulement cinq ans, appartenaient à des entreprises rivales. Afin de dépasser les clivages, l'équipe dirigeante joue à fond la carte de la mobilité interne. Un outil informatique, baptisé e-talent, permet depuis l'an dernier aux salariés américains, allemands et français de postuler librement, et en toute confidentialité, à l'ensemble des postes à pourvoir. « On a opté pour un accès total aux offres d'emploi, de telle sorte qu'aucun salarié n'ait besoin de se comporter comme un candidat externe pour postuler », explique Philippe Vivien. Résultat, 400 postes sont constamment en ligne sur la bourse de l'emploi, déclinée aussi en version papier.

Sans surprise, c'est au sommet de l'entreprise que la mobilité joue à plein. La patronne a largement renouvelé les équipes dirigeantes, parfois sans ménagement, pour donner leurs chances à des cadres plus jeunes, pas toujours issus du sérail. « Anne Lauvergeon veut brasser les gens et imposer une culture du changement dans un bunker qui n'en avait pas. Je suis sidéré par le volume des nominations chez les cadres sup », remarque Jacques Besnainou, le patron des activités aval. Une technique redoutablement efficace pour casser les baronnies, éviter la routine et maintenir les managers sous tension. Mais aussi, disent les mauvaises langues, pour permettre à l'ex-sherpa de François Mitterrand de régner sans partage. Depuis trois ans, la grande majorité des cadres a changé de fonction, et souvent de secteur d'activité.

Du côté des ouvriers et techniciens, les mobilités choisies sont plus rares, malgré la signature d'un accord ad hoc en janvier 2004. « Le texte n'encourage pas assez la mobilité volontaire. Il ne prévoit presque rien pour les salariés qui changent de poste ou d'entité sans déménagement physique », constate le coordinateur cédétiste, Jean-François Martinez. Pour cette population, l'essentiel des transferts s'est donc déroulé sur fond de restructurations. En 2005, près de 120 collaborateurs d'Areva TD ont rejoint d'autres entités du groupe. « Les transferts se sont faits de façon défensive. Mais ça rentre maintenant dans la culture des gens de passer de Cogema à Framatome, ou inversement », juge Alain Roumier, le coordinateur CGT.

2 Faire des partenaires sociaux des acteurs du changement

Directe, franche, fiable. Les qualificatifs utilisés par les syndicalistes pour parler de leur présidente sont plutôt flatteurs. « Au comité de groupe européen, dont elle ne rate presque aucune réunion, elle nous a donné les moyens de bien faire notre travail », constate Jean-François Martinez. Un goût du social non feint, qu'elle cultive en rencontrant les syndicats lors de ses visites d'usines, ou en recevant les coordinations au siège. Son DRH, aussi, a plutôt la cote. Notamment auprès de la CFDT, dont il a fait son partenaire privilégié. « Il a le respect de la parole donnée. Quand c'est oui, c'est oui. Quand c'est non, c'est non. Avec lui, on sait à quoi s'en tenir », apprécie Jean-François Martinez. « C'est un habile man'uvrier, tempère Alain Roumier, de la CGT. Il aime les discussions de haut niveau, en traitant directement avec les fédérations, voire les confédérations. »

Depuis quatre ans, le dialogue social a été riche. Coordination syndicale, comité de groupe, épargne salariale, formation professionnelle, mobilité' une douzaine d'accords, toujours majoritaires, parfois unanimes, ont vu le jour. Et d'autres négociations doivent s'ouvrir, sur l'égalité hommes-femmes ou la diversité. Un sujet qui tient à c'ur à Anne Lauvergeon qui a demandé à Fodé Sylla, ancien président de SOS Racisme, d'y réfléchir. « Pour nous, la politique contractuelle a du sens. Le dialogue social doit être partie prenante de notre stratégie de développement », assure Marianne Naud, la directrice des relations sociales. Preuve parmi d'autres, les équipes RH ont suivi l'an dernier un programme de formation intitulé « Relations sociales, acteurs de changement ».

En négociation, la direction sait revoir sa copie. « Les discussions sur la formation ont duré quatorze mois. Qualitativement et quantitativement, il n'y avait rien dans le projet initial. C'était une reprise de la loi », explique Alain Roumier. « Quand on a une bonne idée, elle est reprise. Les projets ne sont pas ficelés une fois pour toutes », note Jean-François Martinez. Sur le terrain, les équipes RH font 'uvre de pragmatisme et de prudence. Notamment dans l'ex-Cogema, où les salariés défendent chèrement leurs acquis, qu'il s'agisse des primes ou des préretraites à 55 ans. « L'usine de La Hague fonctionne en ligne et l'on peut paralyser la production très facilement. Les syndicats ont des leviers pour nous obliger à discuter », explique le DRH du site.

3 Restructurer proprement

Depuis son arrivée, Anne Lauvergeon a considérablement fait évoluer le périmètre du groupe. Notamment en France, où l'entreprise a mené deux gros chantiers. Tout d'abord le sauvetage de FCI, filiale de Framatome spécialisée dans les connecteurs, constituée dans les années 90 pour compenser le repli du nucléaire et mise à mal par l'éclatement de la bulle Internet. « Plutôt que de vendre pour le franc symbolique, Lauvergeon a choisi d'investir afin de remettre FCI à flot. Le traitement social a été excellent. Finalement, on a sauvé 2 500 à 3 000 emplois », se félicite Jean-François Martinez. « Ils n'ont pas fait dans la finesse. Un vrai laminage avant la vente », conteste Alain Roumier. Fin 2005, la filiale a été vendue au fonds d'investissement Bain Capital pour un bon milliard d'euros.

Premier bénéficiaire de cette restructuration réussie : Philippe Vivien. Vice-président RH de FCI, il est nommé DRH groupe en janvier 2004, au moment où Areva rachète à Alstom son activité de transmission et de distribution d'électricité. Avec, à la clé, le deuxième grand plan de restructuration de l'ère Lauvergeon. « Philippe Vivien a tenté de faire une restructuration qui se passe bien. Les discussions ont duré plus d'un an, avec des groupes de travail pour réfléchir aux aspects économiques et sociaux, un accord de méthode à l'unanimité et des négociations sur la mobilité, les reclassements, les “préretraites amiante” », explique Jean-Yves Hémery, patron des syndicats CFE-CGC d'Areva. « On a signé au total neuf accords. Et on s'est engagé à ne laisser aucun salarié sans solution », confirme Laurent Mareschal, DRH d'Areva T & D.

Point d'orgue de cette restructuration, la fermeture de l'usine de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), lourdement déficitaire, où 300 salariés fabriquaient des transformateurs de puissance. En plus des préretraites à 57 ans et des reclassements, la direction a conclu en février 2006 un accord de « reconversion professionnelle » dans lequel elle s'engage à accompagner les salariés qui s'orientent vers un nouveau métier, en finançant jusqu'à dix-huit mois de formation et dix-huit mois de professionnalisation dans une entreprise tiers. « Faire de la reconversion avec des gens qui sont bobineurs depuis vingt ans et ne savent ni lire ni écrire, ça va être dur », prévient Jean-François Martinez. « Certains avaient annoncé au DRH un mouvement dur, avec des transformateurs jetés dans la Seine. Finalement, il n'y a eu que des mouvements sporadiques », constate Jean-Yves Hémery.

4 Préparer la relève

Hormis certaines activités aval, dont l'usine de La Hague, Areva doit aujourd'hui faire face à un plan de charge en forte croissance. « Dans les mines, on a assisté pendant quinze ans à l'effondrement du cours de l'uranium. Maintenant, c'est l'inverse. On doit pousser la production au maximum et relancer l'exploration », se réjouit Tim Gitzel, le patron de l'activité. Areva cherche des géologues, mais aussi des informaticiens, des ingénieurs de démarrage et de conduite d'essais, des gestionnaires de projet' « L'objectif est d'être prêt en 2010, lors du renouvellement des parcs nucléaires britannique et américain. D'ici là, il faut recruter, former, transmettre les savoir-faire », s'enthousiasme Philippe Vivien. Le groupe s'est donc lancé dans une politique de développement des compétences et de recrutement. Présence forte sur les campus, entretiens annuels d'évaluation, people reviews, comités de carrière, les RH sont au c'ur des enjeux, en France et à l'international. « On est confiant dans notre capacité à vendre à des jeunes Chinois ou Indiens nos perspectives de développement. Mais c'est le volume d'embauches qui pose problème », explique Laurent Mareschal, DRH d'Areva T & D.

En France, le groupe doit redéployer la voilure pour faire face, en particulier, aux départs à la retraite. Actuellement, 58 % des 29 000 salariés français se trouvent dans la tranche des 40-55 ans. D'ici à 2008, l'entreprise prévoit d'embaucher 3 500 personnes, dont 800 créations nettes d'emplois. Des chiffres sortis de l'Observatoire des métiers Areva, dont la première séance plénière s'est tenue en mars. « Dans chaque région on a identifié les individus et on a projeté leur situation professionnelle à trois ans. On veut donner le maximum d'informations pour aboutir à un constat partagé et bâtir ensemble des plans d'action », précise Marianne Naud. Un travail de prospective possible dans le nucléaire, où la durée de vie d'une centrale est d'au moins quarante ans.

Dates et faits

Né, en 2001, du rapprochement des frères ennemis Cogema et Framatome, le groupe Areva est le leader mondial du nucléaire. Détenu à 79 % par le CEA, il a réalisé l'an dernier 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires, pour un résultat opérationnel de 550 millions d'euros. Implanté dans 40 pays, Areva emploie près de 59 000 salariés, dont une grosse moitié dans l'Hexagone.

2001

Cogema, Framatome et CEA-Industrie donnent naissance à Areva.

2003

Areva remporte, avec Siemens, le contrat pour la construction d'un réacteur EPR en Finlande.

2004

Areva rachète à Alstom ses activités de transmission et de distribution d'électricité.

ENTRETIEN AVEC ANNE LAUVERGEON, PRÉSIDENTE DU DIRECTOIRE D'AREVA
“Les excès de rémunération des patrons ne méritent aucune indulgence”

Vous avez inauguré, fin juin, l'extension de l'usine de Chalon. On peut donc, en France, encore créer de l'emploi industriel ?

En 1999, cette usine, qui ne travaillait que pour EDF, était destinée à être fermée en tout ou partie. Je m'y suis opposée, car je croyais au renouveau du nucléaire. Et on a réussi. Le site fonctionne aujourd'hui à pleine capacité, à 70 % pour des clients internationaux. Nous avons embauché 400 personnes en trois ans. Cette usine incarne le pari industriel, et celui de la mondialisation, que nous sommes en train de gagner.

C'est une tendance de fond ?

On recrute 7 000 personnes par an, dont 2 000 ingénieurs et cadres, à travers le monde. Ces embauches sont liées au développement de notre activité, mais aussi au renouvellement générationnel. En France, on a considérablement rajeuni nos effectifs. En trois ans, l'âge moyen est descendu de 48 à 42 ans.

Merci les préretraites…

Oui, on a fait des préretraites. Mais si on avait su, il y a cinq ans, que le nucléaire allait redémarrer aussi fort, on aurait fait partir moins de seniors. On a d'ailleurs lancé, notamment aux États-Unis, un programme expérimental pour en faire revenir certains.

Areva est considéré comme un exemple en matière de restructurations. Quelle est votre recette ?

Nous avons d'abord un principe de vérité. On ne raconte pas de belles histoires rassurantes aux salariés alors qu'on sait qu'on va devoir fermer un site. On est transparent, et on explique. Notre second principe, c'est celui de la solidarité. Les salariés qui sont dans le périmètre d'un plan social deviennent complètement prioritaires sur toutes les embauches dans le groupe, quelle que soit la formation à faire. C'est dans cette solidarité que l'esprit de groupe s'incarne le plus.

Considérez-vous la complexité du droit du licenciement comme un frein à l'emploi ?

La vision française de l'embauche est assez malthusienne. Le recrutement fait peur. La complexité et la rigidité de la réglementation jouent sans doute un rôle dans ce sentiment, mais tout ne se résume pas à ça. La confiance en l'avenir et la « niaque » sont tout aussi essentielles.

Que pensez-vous de la philosophie du CNE et de l'ex-CPE ?

Chez Areva, on n'était pas dans le c'ur de cible. Mais soyons pragmatiques ! Comme citoyenne, je trouve qu'il ne faut pas rejeter a priori les idées nouvelles. Il faut les expliquer, les tester et fixer un délai pour en faire le bilan. En pratique, ça pourrait passer par des opérations pilotes.

Que faites-vous en matière de non-discrimination ?

Historiquement, notre modèle dominant, c'est celui de l'homme blanc. Mais ça a changé. J'ai demandé à mes équipes qu'à égalité de compétences on choisisse une femme plutôt qu'un homme. Je préfère un système de ce genre à l'instauration de quotas, que je trouve un peu humiliants. Car alors, comment savoir si quelqu'un est promu du fait de son appartenance à une minorité ou de ses compétences ?

Vous qui avez intégré le conseil exécutif du Medef voilà un an, que pensez-vous de sa présidente ?

Laurence Parisot sent très bien la société civile. Vingt-quatre heures après la naissance du CPE, elle m'avait dit que la France serait dans la rue ! C'est une qualité fondamentale. Car il y a un travail considérable à faire pour changer le regard des Français sur l'entreprise, pour qu'ils la perçoivent comme un facteur de richesse et de développement et non d'exploitation.

Les récents scandales sur les rémunérations des patrons de Vinci ou d'EADS ne vont pas arranger vos affaires…

Personnellement, je ne suis pas très concernée. Je n'ai pas de stock-options et ma rémunération (496 893 euros brut en 2005, NDLR) reste très décalée par rapport à celle de mes homologues. Mais les excès, s'ils sont établis, ne méritent aucune indulgence, car ils contribuent au divorce, à la séparation des plaques tectoniques entre les directions et les salariés et, au-delà, entre les entreprises et les citoyens. Il faut donc s'attaquer au sujet, mais pas pour inventer une solution franco-française, hors du reste du monde.

Propos recueillis par Stéphane Béchaux et Denis Boissard

ANNE LAUVERGEON 47 ans.

1983

Agrégée de sciences physiques et ingénieur en chef des Mines, elle entre chez Usinor.

1985-1988

Chef de la division sous-sol à la Drire de l'Ile-de-France.

1990-1995

Secrétaire générale adjointe de l'Élysée.

1997-1999

DG adjointe d'Alcatel Telecom puis membre du comex du groupe.

1999-2001

P-DG de la Cogema.

DEPUIS 2001

Présidente du directoire d'Areva.