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Politique sociale

Le grand bazar de la flexisécurité

Politique sociale | publié le : 01.09.2006 | Valérie Devillechabrolle

Dans un Hexagone à court de recettes pour lutter contre le chômage, la formule fait florès. De gauche à droite, dans les syndicats, au Medef, chacun y va de sa référence au modèle danois, alliant flexibilité de l'emploi et sécurité des parcours. Mais avec quelle perspective et quels moyens ? c'est une autre affaire.

Après trente ans d'empoignades sur la meilleure façon de faire pièce au chômage tout en préservant la compétitivité des entreprises, partis politiques et syndicats semblent enfin avoir trouvé la pierre philosophale : la sécurisation des parcours professionnels ! Porté à l'origine par une poignée d'experts et expérimenté au Danemark sous l'appellation de « flexisécurité », ce nouveau concept fait mouche à gauche comme à droite, en passant par les organisations syndicales. Jusqu'au président de la République lui-même qui l'a mis en avant pour tenter d'éteindre le conflit du CPE. La raison ? « Ce concept offre une alternative à une économie fondée sur une flexibilité maximale, une basse productivité, des bas salaires et une faible protection sociale », explique Robert Boyer, économiste au Cepremap et auteur d'un récent ouvrage sur « la flexicurité danoise » (éd. Rue d'Ulm).

De la couverture professionnelle universelle, popularisée par le Parti socialiste, au statut du travailleur, défendu par la CFTC, jusqu'à la sécurité sociale professionnelle, soutenue à la fois par la CGT et par Nicolas Sarkozy, la déclinaison semble sans fin. Jusque-là peu diserte, Force ouvrière présentera ses propositions en la matière à la rentrée tandis que, revigorée par son congrès, la CFDT s'apprête à ouvrir le débat avec ses militants dans les entreprises. Quant au patronat, plutôt réticent, il vient de proposer aux syndicats « une délibération sociale » sur « la flexibilité, la précarité et la séparabilité ». Un néologisme inventé par Laurence Parisot, la patronne du Medef, pour désigner « un nouveau mode de séparation par consentement mutuel »…

Derrière ces intentions communes, le flou demeure et, surtout, les divergences resurgissent. Comme en attestent les quatre mois de tractations nécessaires pour rédiger la saisine déposée au printemps sur ce thème par la section travail du Comité économique et social. « Le patronat ne voulait pas en entendre parler. Le texte a donc été édulcoré », regrette-t-on au CES. Le sujet est apparu suffisamment sensible pour que la rédaction du rapport soit confiée à Édith Arnoult-Brill, présidente de la consensuelle Fédération… des auberges de jeunesse. Même prudence au Conseil d'orientation pour l'emploi qui souhaite présenter le sujet « de façon pédagogique et non idéologique d'ici à la fin de l'année ».

Sous des vocables identiques ou presque, syndicats et partis politiques sont loin de partager la même ambition. Ainsi, le projet de la CGT, tout comme celui des socialistes, d'ailleurs, vise à « construire une garantie interprofessionnelle pour attacher les droits aux salariés et ne plus les faire dépendre de l'entreprise pour laquelle ils travaillent ». Cela signifie, souligne Maryse Dumas, la secrétaire nationale qui pilote la réflexion cégétiste, que « chaque salarié disposerait de droits cumulés en termes de salaire, de carrière, de formation, dont chaque nouvel employeur devrait tenir compte ». « Pure utopie », dénonce le patronat qui soupçonne la CGT d'en profiter pour instaurer dans le privé « une logique comparable à celle de la fonction publique ». À rebours de l'ambition cégétiste, FO se défend de « vouloir inventer l'eau chaude tous les matins », selon l'expression de Jean-Claude Quentin. Le secrétaire national de FO chargé de l'emploi et de la formation rappelle qu'« en matière de sécurisation des parcours il n'y a pas de recette miracle : il ne peut s'agir que de consolidation, d'adjonction et de complémentarité par rapport aux dispositifs existants ».

Sous couvert de garantir les parcours professionnels, partis politiques et syndicats s'opposent aussi sur les recettes pour réduire la précarité. Là où, au grand dam du patronat, le PS, suivi par tous les syndicats à l'exception de la CFDT, préconise de taxer les entreprises qui abusent des contrats précaires, la centrale cédétiste, tout en rejetant l'idée de Nicolas Sarkozy d'un contrat de travail unique, qui se substituerait au couple CDD-CDI, préférerait « ouvrir une négociation sur le contrat de travail » pour en « rénover la rédaction et lui adjoindre de nouveaux droits transférables d'une entreprise à l'autre en matière de formation ou d'épargne salariale, par exemple », précise Laurence Laigo, nouvelle secrétaire nationale de la CFDT chargée de ce dossier.

Soucieux de lever les obstacles à l'embauche dans les PME, Nicolas Sarkozy est, lui, partisan « d'une acquisition progressive des droits dans le temps ». Qu'il s'agisse « de formation, du montant de l'indemnité de licenciement ou encore de la durée du préavis », précise-t-on dans son entourage. « Fausse bonne idée ! » estime Gabrielle Simon, coordinatrice de la réflexion sur le « statut du travailleur » à la CFTC. « Cela reviendrait à demander aux jeunes de se débrouiller tout seuls alors que ceux qui détiendraient une forte ancienneté seraient incités à ne plus bouger du tout. »

La palette des sensibilités est à peine moins large en ce qui concerne les droits et devoirs des entreprises qui licencient. Si seule la CGT se prononce encore en faveur du maintien du contrat de travail jusqu'au reclassement du salarié licencié, d'autres, la CFTC, mais aussi le PS et l'entourage de Nicolas Sarkozy, sont favorables à un « système d'incitation financière pour éviter les ruptures ». Par le biais du versement de 50 % de l'indemnité du licenciement à un fonds mutualisé de branche, comme le préconise la CFTC, ou par celui d'une « contribution supplémentaire au service public de l'emploi modulée en fonction de l'ancienneté », comme le suggère l'UMP. Si ces propositions ne manquent pas de déclencher l'ire du patronat, Laurence Laigo, de la CFDT, avoue aussi un certain scepticisme : « Il serait aberrant de penser que les entreprises disposent d'une marge de manœuvre qu'elles se refuseraient d'exploiter pour accroître la flexibilité des salariés. »

Quant aux souplesses dont les entreprises pourraient bénéficier en échange – thème cher à Laurence Parisot –, partis politiques et syndicats sont bien conscients qu'elles devraient viser « la réduction des incertitudes juridiques et financières liées aux contentieux sur les licenciements », pour citer Gaëtan Gorce, chargé des questions d'emploi au groupe PS de l'Assemblée nationale. Mais à la condition que « cette souplesse supplémentaire ne se traduise pas par un surcroît de précarité pour les salariés », prévient Gabrielle Simon, de la CFTC.

S'agissant des droits des salariés en matière de retour à l'emploi, tous semblent à peu près d'accord avec Jean-Claude Quentin, de FO, pour améliorer le reclassement. Sauf que les partis politiques ont déjà troublé ce bel unanimisme en rappelant, comme Gaëtan Gorce, que « tous les demandeurs d'emploi devraient bénéficier du même soutien renforcé, qu'ils soient indemnisés ou non ». Et surtout que, pour que cet accompagnement fonctionne, il va falloir, selon l'entourage de Nicolas Sarkozy, en passer par une réforme de structure du service public de l'emploi. Autrement dit par une fusion ANPE-Unedic. Un véritable casus belli pour le patronat et les syndicats gestionnaires de l'Unedic.

Les avis divergent enfin sur la nécessité de renforcer les contrôles (et éventuellement les sanctions) des demandeurs d'emploi en cas de recherches insuffisantes. Alors que, tout comme l'UMP, Martine Aubry, chargée de ces questions au PS, estime qu'il devrait y avoir « des sanctions en cas de non-respect des devoirs des chômeurs en matière de recherche effective et de manque d'assiduité dans le suivi des formations », les syndicats sont loin d'en être convaincus. « Il n'est pas question d'entrer dans une spirale négative visant à culpabiliser les demandeurs d'emploi car cela revient à les infantiliser et à leur retirer leur dignité », souligne Gabrielle Simon. « Avant de responsabiliser les chômeurs, il faudrait déjà commencer par discuter de la définition d'une offre valable d'emploi », renchérit Maryse Dumas, de la CGT.

À voir l'ampleur des gouffres qui séparent les uns et les autres derrière les slogans unanimes, on comprend mieux que « nul n'ait intérêt à sortir du bois trop tôt », comme le dit un spécialiste de ce dossier. Et encore moins à se montrer plus précis quant au coût d'une telle sécurisation des parcours. De là à trouver les voies d'un donnant-donnant possible avec le patronat, comme l'espère encore Laurence Laigo, il y a un fossé qui paraît difficile à franchir d'ici à la présidentielle de 2007…

Un concept porté par quelques experts…

En 1995, dans un rapport au Plan consacré au « Travail dans vingt ans », Jean Boissonnat proposait de « mutualiser la flexibilité » grâce à un « contrat d'activité », permettant à un salarié d'enchaîner activités et/ou formations tout en préservant sa rémunération.

Quatre ans plus tard, Alain Supiot élargit ce concept en suggérant de créer les « droits de tirage sociaux » dans son rapport Au-delà de l'emploi (Flammarion) réalisé sur la demande de la Commission européenne. En 2003, Bernard Gazier insiste, lui, dans son ouvrage Tous « Sublimes », vers un nouveau plein-emploi, sur la nécessité d'accroître « la transférabilité des compétences ». Il en profite pour présenter la réforme de 1996 du marché du travail danois.

En 2004, Michel Camdessus, chargé par Nicolas Sarkozy, ministre de l'Économie, d'identifier « les freins à la croissance », préconise l'adoption d'un « contrat de travail unique à durée indéterminée » et la création d'un système de « bonus-malus » sur les cotisations sociales payées par les entreprises selon leurs licenciements. La même année, deux économistes, Pierre Cahuc et Francis Kramarz, reprennent l'idée de contrat unique en l'assortissant de « droits progressifs en fonction de l'ancienneté ». Ils proposent de prévoir « un engagement mutuel » entre le chômeur et l'État grâce à un service public de l'emploi plus efficace, fusion de l'ANPE et de l'Unedic.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle