logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

Mais où est donc passé le papy-boom ?

Enquête | publié le : 01.09.2006 | Valérie Devillechabrolle

Image

Jeunes et seniors

Crédit photo Valérie Devillechabrolle

La belle mécanique du choc démographique annoncé pour 2006, départs massifs à la retraite et reflux du chômage, tarde à faire sentir ses effets. Et pour cause : la population active continue de croître. Une surprise qui n'augure rien de bon.

Et si le papy-boom faisait pschitt ? Pour la plupart des gourous de la prospective, tel Michel Godet, auteur du Choc de 2006, best-seller publié en 2003, l'affaire semblait entendue : les départs à la retraite des générations nées après 1945, les bataillons des baby-boomers, combinés à l'arrivée de classes creuses sur le marché du travail, devaient mécaniquement entraîner une baisse de la population active dès 2007. Et, du même coup, un reflux du chômage. En décembre dernier, une étude réalisée par la Dares et l'ex-Commissariat du Plan sur l'impact du départ des générations du baby-boom se montrait résolument optimiste : « Même avec un rythme de croissance du PIB modéré (2 % en moyenne par an), le nombre de postes à pourvoir à partir de 2006 atteindra des niveaux proches de ceux des années 1998 à 2001, lorsque le PIB augmentait de plus de 3 % par an. » Ce qui, d'ici à 2015, devrait représenter, selon les calculs de Christine Afriat, responsable du groupe Prospective des métiers et qualifications du Conseil d'analyse stratégique (nouvelle dénomination du Plan), qui a copiloté cette étude, la bagatelle de 750 000 embauches par an. Soit 200 000 de plus que dans la période 2001 à 2005. Dont 80 % consécutives à des fins de carrière. De quoi donner le moral aux jeunes arrivant sur le marché du travail et des sueurs froides aux recruteurs !

Erreur sur toute la ligne. La seule certitude, c'est que les départs massifs à la retraite ont commencé. Et avec deux ans d'avance sur le calendrier escompté, ce qui a totalement pris de court les caisses de retraite. La faute à la réforme des retraites votée en 2003. Celle-ci autorise en effet, depuis 2004, les salariés ayant commencé à travailler jeunes à prendre leur retraite à taux plein avant 60 ans, à condition d'avoir cotisé sur la totalité de leurs trimestres. Résultat, « depuis 2003, les liquidations ont augmenté de 26 %, ce qui représente plus de 100 000 retraités supplémentaires par an », indique André Fito, directeur délégué de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (voir graphique page ci-contre). Une anticipation qui a contribué à « lisser » le fameux choc démographique attendu en 2006, précise Jean-Jacques Marette, directeur général de l'Agirc-Arrco.

Sur le front des embauches, en revanche, aucune surchauffe. « Cela reste tout à fait gérable, alors même que nous commençons à ressentir la montée en puissance des départs à la retraite », témoigne Françoise Mataillet, responsable de la politique de l'emploi de la DRH des personnels au sol d'Air France. Depuis deux ans, les créations d'emplois ont tendance à s'accélérer, avec 46 000 emplois supplémentaires en 2004 et 97 000 en 2005, selon l'Unedic. Mais l'effet tant attendu du papy-boom est encore loin d'être perceptible : « Nous ne sommes pas capables d'établir un lien direct entre l'accélération des départs à la retraite et la reprise des recrutements », observe Olivier Marchand, chef du département emploi et revenus d'activité de l'Insee. « C'est encore trop tôt, renchérit Denis Ferrand, responsable de la conjoncture au sein de l'institut Rexecode. D'autant que, en réalité, nous nous apercevons que les entreprises ne les remplacent jamais poste pour poste. » Quand elles les remplacent ! Car « l'enjeu d'aujourd'hui n'est pas tant de voir comment les entreprises vont remplacer ces départs à la retraite que de savoir si elles vont les remplacer », indique Elisabeth Waelbroeck-Rocha, directrice générale du Bipe.

Et la patronne de cet institut de prévisions économiques ne cache pas ses craintes, notamment en raison de la faiblesse persistante de l'investissement industriel en France : après avoir reculé de 3 % en 2005, celui-ci reste très inférieur au niveau qu'il atteint ordinairement en période de reprise, relève l'Insee dans sa note de conjoncture de juin 2006. « Alors que les taux d'intérêt sont bas et que les entreprises disposent de marges de trésorerie, elles n'en profitent pas pour renouveler leur outil de production », pointe Elisabeth Waelbroeck-Rocha, qui attribue cette atonie à l'« absence de prise de risque, mais aussi de volonté de construire en France ». Une inquiétude largement fondée : sur les cinq dernières années, la contraction de 20 % du stock de capital employé dans l'industrie manufacturière française, autrement dit des actifs et immobilisations, s'est soldée par la disparition de près de 380 000 emplois industriels. « Pour faire face aux nécessités de la concurrence internationale, de nombreuses entreprises sont encore dans des stratégies de recherche de gains de productivité, mais aussi de réallocation de leurs moyens de production sur une base mondiale », explique Xavier Lacoste, directeur général du cabinet Altedia, spécialiste des restructurations. En clair, d'investissement ailleurs qu'en France. Et de citer l'exemple de Renault qui a préféré localiser la totalité de la production de son modèle bon marché, la Logan, en Roumanie et en Russie afin de conquérir ces nouveaux marchés… Quitte à importer ensuite les véhicules nécessaires pour satisfaire la demande des clients français.

Alors qu'au début de la décennie l'Insee pensait que le retournement démographique se produirait en 2006, les experts estiment aujourd'hui que la population active va continuer de croître jusqu'en 2015 puis se stabiliser au cours des années suivantes

Malheureusement, l'industrie ne devrait pas être le seul secteur à doucher les espoirs de ceux qui comptaient sur le papy-boom pour terrasser le chômage. Si l'on en croit l'enquête Dares-Commissariat général du Plan, le tertiaire ne devrait pas non plus réserver que des heureuses surprises (voir graphique). Car « l'informatisation entraînera des gains de productivité qui limiteront les besoins de personnels uniquement dévolus au secrétariat au profit d'autres fonctions plus qualifiées », écrivent les auteurs de l'étude. Pour Robert Rochefort, directeur général du Credoc, auteur de Vive le papy-boum (2000) et de la Retraite à 70 ans ? (2003), « il n'est pas illogique que les entreprises profitent dans un premier temps du papy-boom pour satisfaire leurs désirs de productivité. Il faudra en effet attendre, dans un deuxième temps, l'apparition des pénuries de main-d'œuvre pour forcer les entreprises à s'intéresser à la main-d'œuvre des plus âgés ».

Il ne faudra pas non plus attendre de miracles de la fonction publique. Même si Dominique de Villepin a déçu sa majorité qui ne souhaitait voir qu'un départ à la retraite sur deux remplacé dans la fonction publique d'État, 15 000 postes devraient être malgré tout supprimés l'an prochain, soit trois fois plus que l'année précédente. Les organismes de Sécurité sociale ne sont pas en reste. Alors que dans la période 2006 à 2009, 23 838 agents devraient partir à la retraite, soit 14 % des effectifs, le taux de remplacement est estimé entre 50 et 60 % des postes libérés, selon Dominique Didier, secrétaire à la Fédération CGT des organismes sociaux, qui a organisé en juin une grève préventive pour dénoncer « les suppressions d'emplois massives ».

Autre grosse désillusion, l'évolution de la population active ne prend pas non plus la tournure attendue. « Alors qu'il y a cinq ans nous tablions sur un net ralentissement dans l'évolution des ressources en main-d'œuvre, suivi d'un retournement aux alentours de 2006-2007, nous estimons aujourd'hui que la population active devrait continuer de croître, certes de plus en plus lentement jusque vers 2015, puis plafonner au cours des décennies suivantes », explique Olivier Marchand, chef du département emploi et revenus d'activité de l'Insee.

Les analystes de l'Unedic font aujourd'hui le même pronostic : sous l'effet des politiques d'emplois aidés, du recul des départs à la retraite et de la flexion du taux d'activité en période de reprise économique, la population active potentielle pourrait continuer de progresser. « De 9 000 personnes supplémentaires en 2006, 32 000 en 2007 et 25 000 en 2008… », soulignait une note publiée au premier trimestre. Plus surprenant encore, cette révision à la hausse de la population active serait également due au… « mamy-boom », pour reprendre l'expression de Bernard Préel, directeur scientifique du Bipe. Pour ce dernier, « plus que par un papy-boom à l'américaine, la France continue d'être impactée par une autre révolution historique, constituée par l'arrivée des femmes sur le marché du travail ».

Les dernières projections montrent en effet que celles-ci continuent de combler leur retard sur les hommes en matière de taux d'emploi. En particulier dans les tranches d'âge élevées. Dans la période 2003 à 2005, la tranche d'âge des 55 à 64 ans a diminué de 155 000 personnes chez les hommes, alors qu'elle a augmenté de 300 000 chez les femmes, d'après l'enquête Emploi 2005 de l'Insee, publiée au printemps dernier. « Leurs carrières étant plus souvent incomplètes que celles des hommes, les femmes sont davantage tentées de rester en activité jusqu'à 65 ans », commente Jean-Jacques Marette, le directeur général du GIE Agirc-Arrco.

Pour Robert Rochefort, « on commettrait une erreur en considérant que les seniors ne demanderont pas eux-mêmes à travailler plus longtemps ». Outre l'impact des réformes visant à allonger les durées de cotisation, l'augmentation du nombre de divorces vers 50, voire 60 ans, mais aussi la forte hausse du nombre d'enfants nés d'un remariage constituent, selon lui, des facteurs de nature à inciter les seniors à retarder l'âge de liquidation de leur retraite. Une analyse corroborée par une récente étude de la Drees : alors que 90 % des personnes âgées de 54 à 59 ans interrogées souhaitent toujours, « dans l'idéal », partir au plus tard à 60 ans, 30 % envisagent de différer leur départ, d'un an en moyenne, en raison de contraintes financières, familiales ou professionnelles. Sans parler de ceux qui désirent poursuivre une activité économique afin de ne pas constituer un fardeau pour leurs enfants et petits-enfants. « Une tendance qui émerge depuis six mois, surtout chez les cadres », selon Catherine Rousseau, consultante et animatrice-fondatrice du réseau RHSeniors, spécialisé dans la gestion des âges.

30 % des seniors de 54 à 59 ans envisagent de différer leur départ à la retraite d'un an en moyenne en raison de contraintes financières, familiales ou professionnelles

Enfin, dernier facteur atténuant l'impact du papy-boom : les flux migratoires. Si le nombre d'immigrés arrivés en France au cours des dernières années est sensiblement inférieur à celui enregistré par nos voisins européens, à commencer par l'Allemagne (autour de 210 000 personnes en plus par an), l'Italie (+ 330 000) et surtout l'Espagne, qui vient de réévaluer son solde à 550 000 personnes en plus par an, le solde est légèrement inférieur à 65 000 en 2004. Un chiffre que Denis Ferrand, de l'institut Rexecode, estime, en outre, largement sous-évalué. Tout laisse donc à penser que le marché du travail ne connaîtra pas d'électrochoc en 2006. « Je le verrai plutôt en 2012, lorsque la population âgée de 15 à 64 ans commencera à diminuer pour de bon », prévoit Denis Ferrand.

D'ici là, et si la croissance se maintient à son rythme actuel de 2 % par an, « le chômage ne baissera que lentement », résume Elisabeth Waelbroeck-Rocha, du Bipe. « Mais nous ne sommes qu'au début du phénomène, plaide Robert Rochefort, du Credoc. À l'image de la lente montée des océans, le papy-boom s'apparente à un changement peu spectaculaire. Mais si ses effets demeurent invisibles à l'œil nu, au bout de vingt ans, ils pourraient bien devenir dramatiques. » Après avoir vivement – et vainement – attendu le choc démographique de 2006, il faudrait désormais redouter celui de 2026…

PROJECTION DE POPULATION ACTIVE À L'HORIZON 2015

Population totale en 2006

27 814 382

en 2010

28 169 768

en 2015

28 310 981

Jeunes et seniors
Le coup de collier des agents des caisses de retraite

Pendant le papy-boum, les agents des caisses de retraite ne vont pas chômer ! Alors que le régime général attend une surcharge de travail estimée à 40 %, « les effectifs devraient être stables d'ici à 2008, avec une hausse de la productivité individuelle de 25 % depuis 2003 », prévient André Fito, directeur délégué de la Cnav. Dans les caisses de retraite complémentaire aussi, « les agents ont dû traiter 11 % de dossiers supplémentaires en un an », se félicite pour sa part Jean-Jacques Marette, directeur général du GIE Agirc-Arrco. Un coup de collier qui ne manque pas de générer « quelques tensions », selon Dominique Didier, de la Fédération CGT des organismes sociaux. Pour y parvenir, les directions des caisses ont employé des recettes comparables.

Les caisses sont ainsi en train d'alléger considérablement leur back-office administratif. Pour le régime général, la création d'un réseau de 250 agences de proximité devrait permettre de traiter 75 % des dossiers en front-office cette année, alors que seuls 32 % l'étaient il y a seulement cinq ans. « Cela a permis de responsabiliser les agents », se félicite André Fito, en précisant que l'essentiel des postes a été pourvu par « quelques mobilités géographiques mais surtout par les 1 200 recrutements anticipés depuis 2003 ». Les caisses complémentaires ont, de leur côté, misé sur la création de cinq centres d'appels et l'embauche de 110 salariés afin de permettre aux cotisants de « préremplir leur dossier et d'en accélérer le traitement », précise Jean-Jacques Marette.

Dans le même temps, les caisses en profitent pour « optimiser la gestion de leurs compétences », observe la consultante Catherine Rousseau. Outre la rénovation de son système de formation et de recrutement, la Cnav a accepté de revaloriser, à hauteur de 15 %, le salaire de ses techniciens chargés de la liquidation. Après avoir signé un accord de branche créant un observatoire destiné à « identifier les métiers sensibles d'ici à la fin de l'année », précise Jean-Jacques Marette, les caisses Agirc-Arrco se sont attaquées à un chantier plus ambitieux encore en ouvrant début mai une négociation sur la formation, la classification et la rémunération des agents. « En échange d'une attractivité de la branche et d'une sécurisation de leur parcours, nous souhaitons optimiser les 4 % de masse salariale consacrée à la formation et mettre en place une logique de rémunération plus souple et moins liée à l'ancienneté », poursuit le directeur du GIE qui conduit la négociation, côté employeurs. Ceux-ci parviendront-ils à un accord sur un sujet aussi sensible ? Réponse à la fin de l'année.

Une consommation profitable à l'emploi ?

À défaut d'être tous remplacés dans les entreprises, les jeunes retraités seront-ils eux-mêmes des moteurs de croissance ? Certains veulent y croire, d'autant que le niveau de retraite moyen de ces inactifs a bondi de 18 % en deux ans. De là à générer de nouveaux emplois, il y a un pas que Bernard Préel, le directeur scientifique du Bipe, ne franchit qu'avec prudence : « Ils n'entraîneront pas de créations d'emplois très nouvelles. Du moins pas autant qu'on pourrait se l'imaginer. » « C'est très difficile à dire, renchérit Robert Rochefort, du Credoc, dans la mesure où cette génération ayant eu une histoire de vie très différente de celles qui l'ont précédée, les besoins de consommation de ces dernières ne leur sont pas transposables. »

Quelques tendances se dessinent néanmoins au vu de la dernière enquête quinquennale de l'Insee sur le budget des familles, publiée en 2004. Comparés aux autres générations, les papy-boomers âgés de 55 à 64 ans paraissent comme de gros consommateurs… d'assurance vie : ils y consacrent 45 % de revenus de plus que la moyenne. Leur taux d'épargne, qui atteint des sommets à la veille de leur cessation d'activité, ne diminue que d'une façon très limitée. Pour le plus grand bonheur des gestionnaires de patrimoine. Indépendamment de cet effet plutôt défavorable sur l'emploi, les secteurs qui devraient le plus profiter de l'augmentation de ces inactifs sont ceux liés à l'immobilier, à la construction et à la rénovation de logements. « À l'image du marché du BTP de l'Arc atlantique, saturé par la demande des jeunes retraités », témoigne Robert Rochefort. Sous réserve de voir ce secteur, qui a déjà créé quelque 125 000 emplois en cinq ans, parvenir à repousser les limites de son attractivité. Autre secteur qui devrait être tiré par la consommation des papy-boomers, celui des services aux particuliers. À commencer par ceux liés à l'esthétique : les retraités y consacrant un budget de 13 à 20 % supérieur à la moyenne.

En revanche, pour ce qui concerne les aides à la personne, c'est moins une affaire d'âge que de culture. « À la différence des jeunes retraités installés dans le bassin méditerranéen qui ont volontiers recours à des emplois de services d'entretien ou de jardinage, ceux installés sur l'Arc atlantique y sont plus réfractaires ! » Quant aux emplois liés à la dépendance, les papy-boomers ne devraient y recourir qu'à l'horizon 2025 ! À moins que les progrès de la médecine n'aient d'ici là encore repoussé leur espérance de vie en bonne santé…

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle